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(New York) - Les troupes rwandaises ont envahi la République Démocratique du Congo à deux reprises lors de la dernière décennie. La presse annonce qu'elles ont à nouveau pénétré en territoire congolais. La violence et l'instabilité en RDC ont coûté la vie à trois millions de personnes au cours des cinq dernières années et l'envoi, à l'est du Congo, de soldats de la paix des Nations Unies n'est pas parvenu à rétablir la stabilité dans la région.

La spécialiste chevronnée du Rwanda, Alison Des Forges, conseillère principale à la Division Afrique de Human Rights Watch et bénéficiaire en 1999 du prix "Genius" décerné par la Fondation MacArthur, parle des événements survenus récemment au Rwanda et au Congo dans le Questions-Réponses ci-dessous.  
 
Les troupes rwandaises sont-elles en République Démocratique du Congo?  
Tout indique que oui. La mission des Nations Unies au Congo, la MONUC, détient des photos aériennes de soldats bien armés qui n'appartiennent pas à l'armée congolaise et qui se trouvent dans le nord-est du Congo. Les Congolais vivant dans la région disent que ces soldats font partie des Forces de Défense Rwandaises (FDR). Des combats auraient eu lieu dans cette région la semaine dernière. Depuis le 1er décembre, des soldats blessés des FDR ont été soignés dans un hôpital de Gisenyi, la ville rwandaise la plus proche de cette région du nord-est congolais.  
 
Que disent les autorités rwandaises?  
Les autorités rwandaises nient la présence de leurs troupes au Congo mais dans une lettre adressée fin novembre à l'Union africaine, le Président Paul Kagame déclarait que si le Rwanda envoyait des troupes au Congo, elles rentreraient au pays dans les deux semaines. Il ne disait pas clairement si les troupes avaient déjà pénétré en RDC. Dans un discours prononcé devant le sénat le 30 novembre, le Président Kagame annonçait qu'il était possible que des opérations militaires de ce genre aient déjà démarré. Le même jour, une lettre du Rwanda adressée au Conseil de Sécurité de l'ONU cherchait à justifier des opérations militaires au Congo mais ici encore, sans laisser clairement entendre qu'elles avaient déjà débuté. En privé, les responsables rwandais parlent de "frappes chirurgicales" ayant lieu au Congo.  
 
Pourquoi les troupes de l'armée rwandaise se trouvent-elles au Congo?  
C'est la troisième fois que le Rwanda envoie ses soldats au Congo (1996, 1998, 2004), invoquant à chaque reprise le besoin de veiller à sa propre sécurité. Le Front Patriotique Rwandais, un parti dirigé par des Tutsis, a pris le contrôle du Rwanda en 1994 après avoir renversé un gouvernement qui était aux mains des Hutus et avait perpétré un génocide contre les Tutsis. Le Rwanda prétend être menacé par les éléments restants de l'armée gouvernementale en déroute (Forces Armées Rwandaises, FAR), aujourd'hui ex-FAR, et par les membres des milices génocidaires interahamwe qui se sont réfugiés au Congo après leur défaite en 1994. Le gouvernement congolais affirme que le Rwanda cherche à s'emparer du contrôle des gisements de minerais congolais.  
 
Que font les groupes rebelles rwandais au Congo?  
Le groupe initial de soldats et de miliciens chassé du Rwanda en 1994 s'est considérablement réduit au cours des dix dernières années en raison des décès et des désertions. Mais il a été rejoint par de nouvelles recrues rwandaises non impliquées dans le génocide de 1994 mais opposées au gouvernement rwandais actuel. Bon nombre d'entre elles appartiennent à un mouvement connu sous le nom de Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), lequel dit vouloir retourner au Rwanda par la négociation ou par la force.  
 
Certains membres du groupe initial opèrent en bandes armées, exerçant un contrôle sur les communautés locales congolaises et commettant parfois des exactions contre les civils congolais, notamment des meurtres, des viols et des pillages. D'autres, par contre, se sont insérés dans les communautés locales et vivent de l'agriculture ou du commerce.  
 
Pourquoi l'armée rwandaise mène-t-elle actuellement des opérations militaires au Congo?  
Le gouvernement rwandais soutient que le 15 novembre, les FDLR ont tiré des obus sur le Rwanda à partir du territoire congolais. Les tirs d'obus ont été confirmés mais les responsables ou les raisons de ces attaques ne sont pas connus. Le Rwanda dénonce également d'autres violations de son territoire, sans donner de précision. Il avait déjà fait montre d'intervenir à nouveau au Congo en juin et en août mais les pressions de la communauté internationale l'en avaient dissuadé. Pour des raisons politiques, économiques et militaires, le Rwanda exerce une forte influence en partie par le biais de son allié local, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Goma (RCD-Goma). Au cours des derniers mois, le RCD-Goma s'est affaibli en raison de divisions internes et de la perte du contrôle administratif et militaire du Sud Kivu. La présence militaire rwandaise, même si elle n'est que temporaire, sert à rappeler l'intérêt que ne cesse de porter le Rwanda à cette région.  
 
Le Rwanda et le Congo ne viennent-ils pas de signer un accord de paix?  
Le Rwanda et le Congo ont signé plusieurs accords de paix, encore dernièrement lors d'une grande conférence régionale qui s'est tenue le 20 novembre, et ils ont mis sur pied des mécanismes visant à résoudre des problèmes tels que celui des tirs d'obus du 15 novembre. En ce qui concerne le problème plus vaste des groupes armés rwandais qui se trouvent à l'est du Congo, la force de maintien de la paix de l'ONU et l'armée congolaise ont, quelques semaines avant les récentes opérations rwandaises, lancé une nouvelle opération de désarmement au Sud Kivu, destinée à persuader les combattants de retourner à la vie civile. Les efforts de désarmement, qui sont confrontés à de sérieux problèmes, n'ont pas encore eu l'occasion de montrer leur efficacité et tout espoir de succès en ce domaine pourrait se révéler considérablement amoindri en raison des opérations rwandaises.  
 
Que représentent ces opérations militaires pour les gens ordinaires vivant dans la zone de combat?  
Encore plus de morts, de blessures, de souffrances. On estime à trois millions le nombre de civils qui ont perdu la vie au cours des cinq dernières années de guerre au Congo. Les responsables rwandais prétendent que leurs "frappes chirurgicales" ne visent que les FDLR, mais il est souvent difficile de faire la distinction entre les combattants et les populations civiles. Par ailleurs, les civils sont souvent partagés entre les demandes d'assistance émanant des forces belligérantes et ils finissent par être punis pour avoir aidé l'autre camp, ou parce qu'ils sont soupçonnés de l'avoir fait. La semaine dernière, des villages auraient été incendiés et des civils tués. Des milliers de civils fuient la zone de combat, expliquant que de l'artillerie lourde est utilisée lors des affrontements. Certains chercheront refuge dans la forêt, d'autres dans les villes. Certains se rendront peut-être dans les pays voisins, le Rwanda, l'Ouganda ou le Burundi. Mais tous vivront dans la misère jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux pour constater que le peu de biens qu'ils avaient pu amasser depuis les derniers combats a disparu ou a été détruit.  
 
Quel impact cela pourrait-il avoir sur les tensions ethniques dans la région?  
La peur et la haine entre groupes ethniques se sont nettement intensifiées à l'est du Congo depuis six mois. La nouvelle d'une présence militaire rwandaise ne fera qu'attiser la colère à l'égard des Congolais d'origine rwandaise, en particulier les Tutsis. Les Congolais et les autres groupes croient que les Tutsis congolais -et un peuple proche connu sous le nom de Banyamulenge- appuieront une invasion de leur pays par le Rwanda. Lors des deux dernières guerres, beaucoup de Congolais d'origine rwandaise, surtout les Tutsis, ont effectivement coopéré avec les soldats rwandais et leur allié local, le RCD-Goma. Par ailleurs, les Tutsis et les Hutus du pays voisin, le Burundi, semblent se diriger lentement vers des arrangements constitutionnels et des élections pour mettre fin à dix ans de conflit. Les opérations militaires rwandaises au Congo, notamment si elles provoquent une propagation des violences ethniques, risquent de contrarier le processus de paix au Burundi.  
 
Que peut-on faire?  
La force de maintien de la paix de l'ONU, la MONUC, a reçu dernièrement un mandat clair du Conseil de Sécurité, en vertu duquel elle est habilitée à faire usage de la force, s'il y a lieu, pour protéger les civils et désarmer les combattants armés. Les troupes et le matériel supplémentaires nécessaires pour mener à bien ce mandat arrivent au Congo et doivent être rapidement acheminés vers l'est du pays. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies, les responsables internationaux, notamment le Président Olusegun Obasanjo du Nigéria et le Président Thabo Mbeki d'Afrique du Sud, ainsi que les responsables américains et européens doivent redoubler d'efforts pour désamorcer le conflit en insistant d'une part pour que le Rwanda garde ses troupes sur son territoire, et d'autre part pour que le gouvernement congolais veille à ce que les responsables militaires et civils de RDC n'offrent aucun soutien aux groupes armés. Les nations comptant parmi les principaux bailleurs de fonds ont des accords avec le Rwanda et le Congo qui prévoient des conditions visant à encourager la paix et la stabilité dans la région; ils ont, dans le passé, suspendu leur aide lorsque ces conditions n'étaient pas respectées.  

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