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“L’Algérie a besoin d’une presse critique”

Eric Goldstein, directeur de recherche à Humain Rights Watch à Liberté

Eric Goldstein, Directeur de recherches de la Division Afrique du Nord Moyen-Orient a Human Rights Watch, a repondu le 27 juin 2004 aux questions posees par le quotidien algerien Liberte. Il a denonce la campagne de repression menee contre la presse par le pouvoir algerien.

Liberté : Comment avez-vous réagi à la décision du pouvoir algérien de prononcer des peines d’emprisonnement ferme à l’endroit du directeur du journal Le Matin, du journaliste correspondant de Djelfa, du directeur de la publication du Soir d’Algérie et d’un journaliste de ce même quotidien ?

Eric Goldstein : Nous avons été consternés par l’emprisonnement de journalistes. Nous dénonçons ces attitudes et nous considérons que c’est un pas dans le mauvais sens. Surtout dans un pays qui se vante d’avoir une presse indépendante. Mettre des journalistes en prison pour de prétendues affaires de diffamation va à l’encontre de tous les principes de liberté d’expression, et c’est une violation de toutes les conventions internationales en la matière. Certes, il faut reconnaître aux victimes de diffamations leur droit à exercer un recours en justice. Mais l’emprisonnement de journalistes pour des écrits jugés diffamatoires ne saurait être jugé compatible avec les principes issus de la liberté d’expression tels qu’ils sont reconnus par la communauté internationale. Les amendements au Code pénal de 2001, qui prévoient des peines de prison pour diffamation ou outrage au président, aux institutions ou aux représentants de l'État, sont rétrogrades. Ils sont très utiles à ceux qui cherchent à museler les journalistes enquêtant sur les affaires de corruption et sur les abus du pouvoir.L’actuelle incarcération de quelques journalistes algériens confirme les craintes les plus profondes exprimées par ceux qui avaient dénoncé l’adoption de ces amendements.

Quel est selon vous, l’objectif recherché par le pouvoir en recourant à l’incarcération des journalistes ?
Il s’agit d’une politique insidieuse de punition de la presse critique. Le spectaculaire emprisonnement du directeur du Matin pour “transfert illégal de capitaux et infraction à la législation régissant le marché des changes”, la fermeture du siège social du Matin en raison de taxes impayées, ce sont là des exemples typiques du comportement adopté par les gouvernements désireux d’étouffer les critiques tout en continuant à clamer qu’ils respectent la liberté de la presse. De telles allégations ne tiennent pas la route si l’on considère la douzaine de procès pour diffamation qui ont été intentés contre les journalistes algériens par les autorités publiques, et la détention pour diffamation du journaliste Hafnaoui Ghoul à Djelfa, depuis le mois de mai.

Pensez-vous que le pouvoir soutienne la liberté d’expression comme il ne cesse de le clamer ?
Pas un gouvernement ne peut sérieusement prétendre soutenir la liberté de la presse s’il tolère et fait appliquer un Code pénal qui prévoit des peines d’emprisonnement pour diffamation d’agent public. Et comme de nombreux journaux privés algériens fonctionnent grâce à des subsides et crédits provenant du secteur public, les réclamations inopinées de remboursement sont devenues une forme de punition du journalisme critique.

Avez-vous interpellé le gouvernement américain sur ce que subit la presse algérienne ?
Nous discutons souvent de ces questions avec les responsables américains pour qu’ils jouent un rôle auprès des autorités algériennes et des pays limitrophes. Nous espérons que l’administration américaine, ainsi que d’autres pays amis de l’Algérie, prendront vigoureusement la défense de la liberté de la presse dans ce pays. Même si le scandale d’Abu Ghraïb a noirci l’image des États-Unis en matière de droits de l’Homme, il faut toutefois reconnaître le rôle essentiel joué par la presse américaine dans la recherche de la vérité sur cette affaire et ses efforts pour révéler la chaîne des responsabilités. L’Algérie a besoin d’une presse critique qui joue un rôle effectif dans sa vie publique. Ceci exige que le harcèlement juridique comme des pressions financières arbitrairement appliquées prenne fin.

Le harcèlement de la presse algérienne par le pouvoir intéresse-t-il les États-Unis ?
Il y a effectivement une solidarité auprès des organisations de presse et de celles de défense des droits de l’Homme.

Ce qui inquiète est que, l’Algérie est un pays dont la presse jouit d’une importante marge de liberté et qui pouvait se vanter d’une presse critique contrairement à d’autres pays, mais qui voit présentement sa situation se dégrader. Voir des journalistes sous les verrous est une situation très inquiétante. Il faut qu’il y ait une mobilisation nationale et internationale pour persuader les responsables algériens qu’en procédant à l’emprisonnement des professionnels de la presse, cela porte atteinte à leur image.

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