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Une lettre de Human Rights Watch: Les Etats Unis doivent s'opposer à toute mauvaise utilisation de l'argument "anti-terrorisme"

New York, le 24 septembre 2001  
 
Le Secrétaire d'Etat Colin Powell  
U.S. Department of State  
2201 C Street, N.W.  
Washington, D.C. 20520 

Monsieur le Secrétaire d'Etat,  
 
Il est prévisible et totalement compréhensible que les Etats Unis vont désormais concentrer leurs efforts sur la traduction en justice des responsables des atrocités du 11 septembre. Le danger existe cependant que certains gouvernements fassent preuve de cynisme en saisissant ce prétexte pour justifier leurs propres répressions, exercées dans leurs pays, contre des opposants politiques supposés, des "séparatistes" ou des activistes religieux, dans l'espoir que les Etats Unis resteront désormais silencieux. Nous vous encourageons vivement à envoyer un signal ferme à tous ceux qui envisagent de se joindre à la coalition contre le terrorisme en affirmant que les Etats Unis ne tolèreront aucune attitude opportuniste suite à cette tragédie.  
 
Si cet effort de lutte contre le terrorisme initié par les Etats Unis se trouve associé à des attaques contre des divergences d'opinion paisiblement exprimées ou contre la liberté d'expression religieuse, tout ce que les Etats Unis et leurs alliés essaient actuellement de réaliser se trouvera compromis. Cependant, dans de nombreux pays où Human Rights Watch conduit son travail d'observation, le sentiment existe déjà que les Etats Unis pourraient maintenant fermer les yeux sur des actions commises au nom de la lutte contre le terrorisme alors que celles-ci auraient été condamnées par les Etats Unis, il y a peu.  
 
Ainsi, immédiatement après les attaques, le Président russe, Vladimir Putin a-t-il mis en avant des liens supposés entre Osama Bin Laden et les rebelles de Tchétchénie et déclaré que les Etats Unis et la Russie avaient maintenant "un ennemi commun", impliquant ainsi que la Russie attendait des Etats Unis une approbation tacite d'une campagne qui a visé, sans distinction aucune, des populations civiles. Le ministre chinois des Affaires Etrangères a déclaré que les Etats Unis devraient exprimer leur "appui et leur compréhension face à la lutte [de la Chine] contre les terroristes et les séparatistes", référence au Tibet mais aussi à la région musulmane du Xinjiang où les autorités chinoises se sont lancées dans une campagne d'arrestations et d'exécutions sommaires, avec peu ou pas de respect des règles du droit international.  
 
En Malaisie, les autorités ont pris prétexte des attaques pour justifier leur Loi sur la Sécurité Interne, qui limite l'expression non violente de toute divergence d'opinion. En Israël, avant les efforts actuels pour restaurer un cessez le feu, le ministre de la Défense, Binyamin Ben Eliezer s'est vanté que le jeudi immédiatement après les attaques, ses forces aient tué quatorze Palestiniens, "alors que le reste du monde restait totalement silencieux." Au Kirghizstan, le gouvernement a claironné avoir lancé des recherches contre des activistes "pro-musulmans". Lors de sa visite à Washington, la semaine dernière, la Présidente de l'Indonésie, Megawati Sukarnoputri a cherché à justifier la répression abusive exercée par Jakarta à Aceh, Irian Jaya et dans d'autres régions par l'argument d'une campagne contre "les terroristes et les séparatistes." Le Premier Ministre égyptien, Atef Abeid, a violemment critiqué les Etats Unis et le Royaume Uni "pour nous avoir invités à accorder à ces terroristes leurs 'droits humains'", faisant ainsi référence à des critiques contre l'usage de la torture et des procès injustes. "Après ces crimes horribles commis à New York et en Virginie", a-t-il ajouté, "les pays occidentaux devraient peut-être commencer à envisager la lutte de l'Egypte et ses propres peurs comme leur nouveau modèle." En Macédoine, le Premier Ministre Georgievski a déclaré que l'OTAN devrait maintenant apporter un soutien plus marqué à la campagne de son gouvernement contre les opposants musulmans et albanais. (Nous tenons à féliciter l'Envoyé Spécial des Etats Unis, James Pardew, pour sa condamnation immédiate de cette déclaration.)  
 
Le danger d'une telle réponse pourrait être particulièrement évident en Asie Centrale, région que les Etats Unis vont utiliser pour la mise en œuvre de leurs opérations contre l'Afghanistan. Cette région est confrontée à une réelle menace armée de la part du Mouvement Islamique d'Ouzbékistan, que le Président Bush a déclaré être lié à l'organisation d'Osama Bin Laden. Mais cette région abrite aussi des dictatures brutales qui utilisent, contre tout groupe politique ou religieux qu'elles ne peuvent contrôler, des outils de répression hérités de l'Union Soviétique. Depuis 1997 par exemple, l'Ouzbékistan a arrêté des milliers de fidèles musulmans non violents pour des délits tels que prier dans les mauvaises mosquées, lire la mauvaise littérature religieuse et écouter les mauvais sermons. Nombre de ces fidèles ont été sanctionnés par des peines pouvant aller jusqu'à vingt ans de prison.  
 
Le Président Bush a affirmé avec éloquence que la lutte mondiale contre le terrorisme ne doit pas se transformer en lutte contre l'islam. La répression conduite sans distinction par l'Ouzbékistan contre les musulmans qui pratiquent leur foi hors du contrôle de l'Etat affaiblit le message du Président. Si les Etats Unis sont perçus comme s'alignant, dans les semaines à venir, sur les positions de l'Ouzbékistan, il sera d'autant plus urgent que les Etats Unis s'opposent activement aux pratiques abusives du régime ouzbek. Une bonne façon d'y parvenir serait d'inscrire l'Ouzbékistan sur la liste des pays que la Loi sur la Liberté Religieuse Internationale (International Religious Freedom Act) doit surveiller de près, désignation totalement justifiée selon les termes mêmes de cette loi.  
 
Nous espérons que le Président et vous-même allez faire en sorte que la réponse aux horribles actes du 11 septembre soit une réaffirmation des valeurs qui ont été attaquées ce jour là. Ceci est la meilleure façon de l'emporter sur le terrorisme. Nous espérons en particulier que vous allez :  

  • Refuser de fournir assistance aux forces militaires, paramilitaires, de maintien de l'ordre ou de renseignements appartenant à des gouvernements responsables d'abus à moins que des mesures de protection dignes de ce nom soient en place pour s'assurer que cette assistance ne sera pas utilisée contre des opposants pacifistes ou pour commettre des violations des droits humains. Maintenir et utiliser toutes les protections actuellement offertes par le droit américain, y compris par l'amendement Leahy. 
  • Affirmer clairement dans des déclarations publiques, lors des auditions devant le Congrès et lors de rencontres diplomatiques privées que les Etats Unis attendent de leurs alliés ce que les Etats Unis exigent d'eux-mêmes, à savoir que les efforts de lutte contre le terrorisme respectent la vie des populations civiles innocentes et qu'une distinction soit faite entre ceux qui commettent des atrocités telles que celles du 11 septembre et ceux qui n'ont jamais eu recours à la violence, ni fait son apologie.  
  • Donner instruction aux ambassadeurs des Etats Unis, partout dans le monde, de prêter attention aux déclarations et aux actions des gouvernements qui profitent de ces évènements tragiques pour réaliser leurs campagnes de répression dans leurs propres pays. Leur donner également instruction de condamner publiquement ces campagnes quel que soit le lieu où elles se produisent.  
  • Continuer à dénoncer complètement et franchement toute violation des droits humains commise par les alliés dans la coalition contre le terrorisme et utiliser tous les instruments légaux disponibles telle que la Loi sur la Liberté Religieuse Internationale (International Religious Freedom Act) sans distinction basée sur la place de ce pays dans la coalition. Les Rapports par pays sur les pratiques en matière de droits humains envoyés au Congrès l'année prochaine devraient mettre en évidence toute tentative pour justifier des abus commis fin 2001, sur la base de l'argument de la lutte anti-terrorisme.  
  • Eviter des actions de coopération qui pourraient être interprétées par les gouvernements responsables d'abus - et par leurs innocentes victimes - comme des marques de soutien à ces pratiques abusives.  

Prendre de telles mesures n'implique pas d'écarter la coopération avec quelque pays que ce soit. Ceci serait simplement une façon de signaler clairement que la manière dont la coalition va mener sa lutte sera aussi importante, aux yeux des Etats Unis, que l'objet de cette lutte. Il est beaucoup plus judicieux d'envoyer un tel message dès le départ plutôt que d'attendre que des abus soient commis et d'entendre ensuite des pays affirmer que les Etats Unis leur avaient donné le feu vert.  
 
Nous nous réjouissons d'aborder ces questions cruciales avec vos collègues et vous-même, dans les semaines et les mois à venir.

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