(Dakar) - Un tribunal sénégalais a annoncé aujourd'hui qu'il statuerait le 15 juin prochain sur le sort de Hissène Habré, l'ancien dictateur tchadien vivant en exil au Sénégal, et inculpé de complicité de torture.
Les organizations de défense des droits de l'homme se sont montrées optimistes, considérant cette décision comme le signe que les juges prendront le temps pour étudier les conventions et lois applicables à l'affaire Habré et qui déterminent clairement la compétence du Sénégal en cette matière.
Le Sénégal a ratifié la Convention internationale contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Boucounta Diallo, coordinateur du collectif des avocats pour les parties civiles, a noté qu'en raison des dispositions de l'article 5 de la Convention visant à assurer qu'aucun tortionnaire ne peut se soustraire aux conséquences de ses actes en s'installant rendant dans un autre pays, le Sénégal est obligé soit de poursuivre, soit d'extrader les personnes soupçonnées de torture se trouvant son territoire. En effet, en vertu de l'article 79 de la Constitution sénégalaise, "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois".
La Convention contre la Torture avait servi de base légale aux autorités anglaises lors de la arrestation récente du Général Augusto Pinochet par ces derniers.
Les avocats des victimes ont aussi souligné que d'après l'article 7 du code de procédure pénale sénégalais, la prescription des dix ans applicable en matière criminelle ne peut avoir commencé à courrir à l'égard des plaignants qu'à partir du jour suivant la chute du Président Habré en décembre 1990. Ce même article prévoit en effet que [l]a "prescription est suspendue par tout obstacle de droit ou de fait empêchant l'exercice de l'action publique."
"Nous sommes confiants que l'action se poursuivra" affirme Reed Brody, Directeur-Adjoint à Human Rights Watch, l'une des organisations qui a initié les poursuites contre l'ancien dictateur. "La position de Habré sur la question de la compétence est intenable en raison du texte de la Convention internationale contre la torture et les dispositions de la Constitution sénégalaise. L'époque où les tortionnaires pouvaient se réfugier tranquillement dans un pays voisin après avoir commis leurs forfaits est aujourd'hui révolue."
Les organisations locales ont exprimé leur déception profonde de voir le réquisitoire du procureur general prendre fait et cause pour Hissène Habré dans le débat mais elles ont souligné que la crédibilité du Sénégal est en jeu. "Aujourd'hui nous avons rappelé aux juges qu'en ratifiant la Convention internationale contre la torture, le Sénégal s'etait engagé a ne pas servir de refuge aux tortionnaires" a exprimé Alioune Tine de la Rencontre Africaine pour la defense des droits de l'homme (Raddho). "Cet engagement ne sera pas pris à la légère par les juges."
En février, Demba Kandji, le doyen des juges d'instructions du Tribunal regional hors-classe de Dakar avait inculpé Habré de complicité d'actes de torture et et l'avait placé en résidence surveillée.
Ce lundi, le juge Kandji qui continue à mener son instruction, a longuement entendu Mahamat Hassan Abakar, président de la Commission d'enquête sur les crimes et détournements d'Hissène Habré et ses complices. Pendant quinze mois, celui-ci a accumulé les preuves accablantes sur les crimes de Habré. D'après la commission qui a entendu 1,726 témoins les agents de l'ex président auraient tué environ 40,000 Tchadiens.
La cour a auditionné trois anciens détenus qui ont fait l'objet de traitements inhumains dans les geôles du dictateur. L'un d'eux Antoine Kenoue Tchoungre a dit au juge qu'en décembre 1987 il avait été soumis à des chocs électriques sous les yeux de Habré en personne.
Par ailleurs, 53 nouvelles victimes se sont jointes a la plainte déposée en janvier par sept plaignants Tchadiens. Dans l'intervalle, une Française dont le mari tchadien a été victime du régime Habré avait également déposé plainte. L'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad, qui représente 792 victimes des brutalités de l'ancien dictateur est également partie à l'affaire.
Habré avait pris le pouvoir au Tchad en 1982. Son régime, soutenu par les États-Unis et la France fut marqué par de multiples abus et campagnes de violence dont notamment les ethnies hadjerai (en 1987) et zaghawa (en 1989)ont été les principales victimes. Habré vit en exil au Sénégal depuis sa chute en 1990.