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Des ouvriers devant le stade Al-Medina à Rabat, le 18 décembre 2025, à l'approche de la Coupe d'Afrique des nations (CAN). © 2025 Paul Ellis/AFP via Getty Images

Dans une tribune au « Monde », le coordinateur sport et droits humains de l’ONG Human Rights Watch Vincent Sima Olé considère que l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations au Maroc ne doit pas se faire aux dépens des citoyens, et rappelle la responsabilité des instances sportives internationales vis-à-vis des droits humains.

Tous les deux ans a lieu la Coupe d’Afrique des nations, ou la « CAN », un évènement sportif majeur qui suscite l’enthousiasme des fans de football sur tout le continent. Pendant le tournoi, tous les yeux sont tournés vers le pays hôte, gagné par une effervescence toute particulière et un sentiment de fierté nationale.

La prochaine CAN débutera le 21 décembre au Maroc. Le pays nourrit de grandes ambitions dans le domaine du sport et, dans le cadre de sa stratégie de diversification économique, souhaite miser sur de grands événements sportifs pour attirer investisseurs et touristes. Le Maroc coorganise ainsi la Coupe du monde de football de 2030 avec l’Espagne et le Portugal, a accueilli une CAN féminine en juillet dernier et serait candidat à l’organisation d’un Grand Prix de Formule 1.

Selon plusieurs enquêtes journalistiques, les autorités marocaines ont dépensé des milliards pour les infrastructures destinées à la CAN et à la Coupe du monde de 2030, et construisent notamment un nouveau stade de football à Casablanca qui pourrait être le plus grand au monde. Ces projets ambitieux ont provoqué de vives réactions au sein de la société marocaine.

Dès le 27 septembre, des milliers de jeunes Marocains et Marocaines sont descendus dans les rues lors des manifestations du mouvement dit « #GenZ212 » menées dans tout le pays, réclamant une amélioration des systèmes de santé et éducatif, ainsi que la fin de la corruption. Les manifestants ont notamment dénoncé le fossé entre les stades et infrastructures flambant neufs prévus pour les compétitions sportives et les services publics défaillants. « Nous voulons des hôpitaux, pas des stades », ont notamment scandé les manifestants. Certains auraient appelé au boycott de la CAN.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les dépenses publiques du Maroc en matière de santé n’ont atteint que 2,3 % de son PIB en 2022, soit moins de la moitié du seuil international de référence fixé à 5 % minimum. Mais le Maroc devrait accorder autant d’importance à la santé et à l’éducation qu’au football.

Human Rights Watch a écrit, le 23 octobre, à la Confédération africaine de football (CAF), qui supervise l’organisation de la CAN, pour lui demander si elle avait évalué l’impact que cet événement aurait sur les services publics. Nous avions posé la même question à la FIFA, qui organise la Coupe du monde 2030, le 16 octobre. Aucune de ces deux instances n’a répondu.

Les autorités marocaines ont réagi de manière musclée à ces manifestations portées principalement par des jeunes en les interdisant et en les dispersant de force. Human Rights Watch a documenté des arrestations de masse et des poursuites judiciaires contre des manifestants, le meurtre d’au moins trois personnes, dont un étudiant de 22 ans et un homme de 25 ans, ainsi que de nombreux blessés. Nous avons également géolocalisé deux vidéos montrant des véhicules des forces de sécurité fonçant sur des groupes de personnes à Oujda.

Le gouvernement n’a pas répondu de manière concrète aux revendications des manifestants. Les autorités ont tenté de justifier l’usage létal de la force par les forces de sécurité et les enquêtes sur les abus policiers n’avancent guère. Fin octobre, au moins un millier de personnes étaient toujours en prison, dont des centaines qui faisaient l’objet de poursuites judiciaires. Parmi ces dernières figuraient au moins 330 enfants. L’Association marocaine des droits humains (AMDH) a rapporté que les manifestants avaient été condamnés à de lourdes peines pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison. Malgré certains incidents violents qui ont été signalés, de nombreuses personnes ont apparemment été arrêtées simplement pour avoir exercé leur droit de manifester pacifiquement.

Le président de la CAF, Patrice Motsepe, a rassuré les participants lors de l’Assemblée générale de la Confédération le 6 octobre en affirmant que les manifestations n’auraient aucune incidence sur le tournoi. Il a également indiqué que la CAF s’efforcerait d’ « organiser la CAN la plus réussie de l’histoire ». Mais cette CAN ne pourra pas être la plus réussie avec des préparatifs entachés de tels abus.

La Confédération africaine et la FIFA ont toutes deux la responsabilité de veiller à ce que leurs tournois respectifs ne génèrent pas d’atteintes aux droits humains et d’utiliser leur influence auprès du gouvernement marocain pour prévenir et atténuer les violations, avant, pendant et après les compétitions. La CAF et la FIFA devraient ainsi demander au gouvernement marocain – à la fois de manière publique et en privée – de libérer les manifestants injustement détenus, s’enquérir de l’avancement des enquêtes sur les abus policiers et souligner l’importance du respect de la liberté d’expression et de réunion pacifique.

De plus, la FIFA et le gouvernement marocain devraient, dans le cadre de leur stratégie en matière de droits humains pour la Coupe du monde 2030, veiller à ce que le tournoi renforce les droits des Marocains et Marocaines à l’éducation et aux soins de santé.  La CAN est l’occasion de célébrer l’amour du football sur le continent africain. La Confédération africaine devrait évaluer les risques de ses activités en matière de droits humains de manière exhaustive et inclusive avant chaque future CAN.

Les prochaines CAN et Coupe du monde de 2030 ne seront pas seulement un test pour les équipes nationales africaines, elles le seront aussi pour la CAF et la FIFA, qui devront prouver leur capacité à induire l’impact positif qu’elles entendent susciter via le football.

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