Au lendemain des horreurs la Seconde Guerre mondiale, le monde a fait la promesse du « plus jamais ça » : les nations ont posé les fondations d’un système de justice internationale – qui existe désormais - destiné à répondre aux pires crimes commis sur la planète. Aujourd’hui, les États-Unis s’emploient activement à démanteler ce système.
Le 4 septembre, l’administration Trump a imposé des sanctions à trois organisations palestiniennes de défense des droits humains de premier plan : Al-Haq, créée en 1979 et pionnière dans la documentation des violations dans les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie ; Al-Mezan Center for Human Rights, qui, depuis plus de vingt ans, recense méticuleusement les violations des lois de la guerre à Gaza ; et le Centre palestinien pour les droits humains, qui a longtemps apporté une assistance juridique aux victimes, notamment à Gaza.
En juin, l’administration Trump avait déjà sanctionné une autre organisation majeure œuvrant pour les droits des Palestinien·ne·s, Addameer, dans le cadre d’un autre ensemble de mesures.
Ces décisions s’inscrivent dans le cadre d’une initiative plus large de l’administration Trump visant celles et ceux qui défendent la justice pour les Palestinien·ne·s. Les sanctions de septembre ont été justifiées par le fait que les trois organisations auraient apporté leur assistance à l’enquête de la Cour pénale internationale sur Israël « sans le consentement d’Israël ». Mais le gouvernement des Etats-Unis s’en est aussi pris à des responsables de la Cour, qui a ouvert une enquête sur les allégations de crimes graves commis par les forces israéliennes à Gaza et, qui a conduit à des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, les acusant de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. L’administration a également visé par ses sanctions le procureur de la CPI, ses procureurs adjoints et six juges, ainsi que Francesca Albanese, Rapporteure spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés.
Au-delà de ce qui est infligé aux Palestinien·ne·s, l’administration Trump sape l’État de droit, la protection des droits humains et la justice internationale, qui constituent le socle d’un ordre mondial fondé sur le droit. Elle a considérablement réduit ses contributions financières aux Nations Unies et menacé d’opérer d’autres coupes, parallèlement à son retrait du Conseil des droits de l’homme. Elle a brusquement mis fin à la quasi-totalité de l’aide étrangère américaine, qui soutenait les défenseurs des droits humains et fournissait une assistance humanitaire vitale à travers le monde. Les coupes dans les subventions du Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail (Department’s Bureau of Democracy, Human Rights and Labor) du département d’État, ainsi que dans les bureaux chargés des réfugiés, des femmes et de la justice mondiale, ont encore affaibli l’engagement des États-Unis en faveur des droits humains.
Al-Haq, Al-Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains sont des organisations récompensées à plusieurs reprises qui, dans des circonstances extrêmement difficiles, ont documenté les violations des droits humains et du droit environnemental par les autorités israéliennes et palestiniennes, les groupes armés et les entreprises. Elles sont la voix des victimes palestiniennes, amplifiant des récits d’injustice qui, autrement, resteraient ignorés.
Ces organisations poursuivent leur travail courageux à Gaza depuis près de deux ans. Al-Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains sont basés à Gaza, tandis qu’Al-Haq, installé à Ramallah en Cisjordanie, dispose également de personnel sur place. Ils ont été confrontés à des bombardements qui ont tué ou blessé des membres de leur personnel ainsi que des centaines de proches, en plus de la famine et des déplacements forcés. Le 7 septembre, des bombardements israéliens ont rasé l’immeuble qui abritait le siège du Centre palestinien. Les bureaux d’Al-Mezan à travers Gaza ont été endommagés et détruits en 2024.
Les sanctions américaines ne vont pas seulement entraver le travail essentiel que ces organisations peuvent encore mener : elles envoient aussi un signal glaçant à l’ensemble des défenseurs des droits humains dont le travail met en cause des acteurs puissants ou leurs alliés. Les organisations palestiniennes ont exprimé leur soutien à l’enquête de la CPI sur la conduite d’Israël et ont transmis des dossiers au procureur de la Cour.
Nos organisations, Amnesty International et Human Rights Watch, travaillent en étroite collaboration avec ces organisations depuis des dizaines d’années. Fidèles à nos mandats indépendants de longue date pour défendre les droits humains, nous pouvons attester que leur travail est indispensable, non seulement pour la communauté des droits humains dans la région, mais aussi au niveau international.
Ce travail s’inscrit dans un mouvement mondial plus vaste en faveur de la justice pour les victimes et survivants des violations des droits humains. Un système de justice internationale crédible, capable de juger les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, est un élément essentiel pour promouvoir le respect des droits humains.
La Cour pénale internationale est un pilier central de ce système. Créée par un traité en 1998, la Cour constitue une instance de dernier recours. Les gouvernements ont voulu tenir la promesse du « plus jamais ça » de l’après-Seconde Guerre mondiale en établissant une institution permanente. Ce système n’est pas parfait, mais sa capacité à demander des comptes même aux plus hauts responsables peut contribuer à mettre fin aux cycles d’abus. Ce pouvoir du droit est aujourd’hui en danger.
De nouvelles sanctions ou d’autres mesures des États-Unis, notamment l’extension des sanctions à la Cour dans son ensemble, compromettraient les droits des victimes à travers le monde. Les gouvernements doivent se montrer à la hauteur pour protéger le système qu’ils ont créé.
Lorsque, en 2021, Israël a désigné comme « organisations terroristes » plusieurs ONG palestiniennes de défense des droits humains, dont Addameer et Al-Haq, neuf États membres de l’Union européenne ont rejeté ces accusations comme infondées. Cette réaction a sans doute été une raison majeure pour laquelle Israël n’est pas allé plus loin.
Jusqu’à présent, d’autres gouvernements ont réagi avec prudence aux sanctions américaines, de peur de provoquer l’administration Trump. Cette stratégie est bancale et inadaptée à l’urgence de la situation.
Les gouvernements doivent condamner les tentatives de saper l’indépendance de la CPI et de réduire au silence ceux qui documentent les abus. Ils devraient utiliser les législations régionales et nationales, comme le règlement de blocage de l’Union européenne, qui permet de neutraliser les lois extraterritoriales dans l’Union, afin de limiter l’impact des sanctions américaines sur ceux qui collaborent avec la Cour. Ceux qui ont contribué à créer la Cour internationale et qui prétendent défendre les valeurs qui la sous-tendent doivent aujourd’hui se mobiliser pour les protéger.