(Nairobi) – Les forces de sécurité éthiopiennes ont arrêté arbitrairement plusieurs journalistes et professionnels des médias depuis août 2025, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les autorités devraient cesser de harceler les journalistes indépendants et libérer immédiatement tous ceux qui sont détenus pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et d’opinion.
« Les efforts répétés des autorités éthiopiennes pour museler les médias indépendants visent surtout à éviter tout regard scrutateur des citoyens sur les activités du gouvernement », a déclaré Laetitia Bader, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités devraient cesser de cibler les journalistes et les professionnels des médias, et libérer immédiatement ceux qui sont injustement détenus simplement pour avoir fait leur travail. »
Récemment, le 3 septembre à Addis-Abeba, des policiers et des agents de sécurité en civil ont arrêté les journalistes Tigist Zerihun, Mintamir Tsegaw et Eshete Assefa, qui travaillent pour Sheger FM 102.1, une radio privée. Ces arrestations ont suivi la diffusion, le 29 août, d’un reportage sur les travailleurs de la santé en Éthiopie.
L’Autorité des médias éthiopienne, organisme de réglementation habilité à sanctionner et à retirer les licences aux médias, avait ordonné à la radio de retirer le reportage, l’accusant d’être partial et d’inciter à la violence, selon un reportage médiatique. Le 30 août, la radio a obéi, mais les forces de sécurité ont tout de même arrêté les trois journalistes.
Eshete Assefa a été relâché plus tard dans la journée du 3 septembre, mais Tigist Zerihun et Mintamir Tsegaw sont toujours détenus au Bureau d’enquête criminelle de la police fédérale. Lors de leur audience du 8 septembre, la police a demandé un délai supplémentaire pour achever son enquête. Le 17 septembre, le tribunal a accordé la liberté conditionnelle aux deux journalistes, mais selon les informations disponibles, ils n’ont pas été libérés par la suite. La police a fait appel de cette décision devant la Cour suprême fédérale, l’audience étant prévue le 22 septembre.
Le 13 août, des hommes armés masqués, dont certains auraient porté des uniformes militaires, ont enlevé Yonas Amare, rédacteur en chef du journal indépendant The Reporter, à son domicile à Koye Fiche, en périphérie d’Addis-Abeba. Un témoin a déclaré avoir vu des hommes masqués confisquer des téléphones portables et ordonner aux habitants de rester chez eux avant d’emmener Yonas Amare. La Commission de police d’Addis-Abeba et la Commission de police fédérale ont nié qu’il soit en détention. Son sort est resté inconnu pendant huit jours, jusqu'à sa libération le 22 août.
Selon le droit éthiopien et le droit international, l'arrestation ou la détention d'une personne par les autorités, suivie du refus d'admettre cette détention ou de la dissimulation de son sort ou de son lieu de détention, constitue une disparition forcée. Human Rights Watch a déclaré que les autorités devraient mener une enquête efficace, indépendante et transparente sur la disparition forcée présumée de Yonas Amare.
Le 5 août, des policiers de la région Somali, dans l’est de l’Éthiopie, ont arbitrairement arrêté Khadar Mohamed Ismail, journaliste à la chaîne Somali Regional Television (SRTV), contrôlée par l’État éthiopien ; il avait précédemment publié sur un compte de médias sociaux de SRTV une vidéo montrant des citoyens qui critiquaient le gouvernement régional. Khadar Mohamed Ismail a été présenté devant un tribunal le 9 août, mais plus d'un mois après, il n'a toujours pas réapparu. Un membre de sa famille a déclaré qu'il était toujours détenu sans inculpation.
Le 11 août, les forces de sécurité ont arrêté Abdulsemed Mohammed, animateur de radio à Addis-Abeba. Il a été maintenu en détention au secret jusqu'à sa libération le 22 août.
Ces cas de détention arbitraire d'au moins six professionnels des médias, y compris leur maintien en isolement ou en détention prolongée sans inculpation, renforce les inquiétudes concernant la liberté de la presse en Éthiopie, a déclaré Human Rights Watch. Le droit à des médias libres et indépendants est d'autant plus crucial en prévision des élections nationales prévues en 2026.
Les menaces du gouvernement à l'encontre des journalistes et des médias se sont intensifiées depuis début 2025. En mars dernier, sept journalistes de la chaîne privée Ethiopian Broadcasting Service (EBS) ont été arrêtés et visés par des accusations de terrorisme ; ceci faisait suite à la diffusion d'un reportage dans lequel une femme affirmait avoir été violée par des soldats éthiopiens en 2020, selon des sources médiatiques.
Cette femme a ensuite rétracté ses accusations sur une chaîne publique, et le fondateur d'EBS aurait présenté ses excuses. Bien que les sept journalistes aient été libérés, deux d'entre eux sont en attente de procès pour « diffusion d'informations haineuses ». L'organisme de régulation des médias (Ethiopian Media Authority) a suspendu la diffusion de l’émission d’EBS jugée responsable de « fausses informations susceptibles de tromper le public », a indiqué le Comité pour la protection des journalistes.
En avril, la police d'Addis-Abeba a effectué une perquisition dans un appartement utilisé comme bureau d'Addis Standard, un média indépendant populaire. Deux employés ont été interrogés et plusieurs appareils électroniques ont été saisis. Selon Addis Standard, des « logiciels de surveillance sophistiqués » ont été décelés sur ces appareils lorsqu’ils ont été restitués par la suite.
En juin dernier, un agent des services de renseignement a arrêté le journaliste Tesfalem Woldeyes, rédacteur en chef d'Ethiopia Insider, pour « diffusion de fausses informations ». Il a été libéré sous caution le 13 juin.
Cette nouvelle vague de répression contre les médias indépendants fait suite à l'adoption par le Parlement, le 17 avril, d'amendements à la loi sur les médias de 2021 ; ces amendements ont fait l’objet de nombreuses critiques.
La nouvelle loi renforce les possibilités d'ingérence politique, notamment en transférant des responsabilités importantes du Conseil d’administration de l’Autorité éthiopienne des médias à son Directeur général, nommé par le Premier ministre. La loi révisée supprime également l'interdiction pour les membres du Conseil d'appartenir à un parti politique, et exclut la participation de la société civile et des organisations de médias.
Les responsables gouvernementaux ont contribué à cette atmosphère hostile envers les médias. Dans une interview diffusée en juin, le Premier ministre Abiy Ahmed a accusé les médias de servir leurs propres intérêts et a affirmé qu'il n'existait pas de médias véritablement indépendants, nulle part dans le monde.
La police s'est également appuyée sur de vagues formulations énoncées en 2020 dans la Proclamation sur la prévention et la répression des discours de haine et de la désinformation (« Hate Speech and Disinformation Prevention and Suppression Proclamation »), pour enquêter sur des journalistes sur la base de vagues allégations ou accusations, afin de réprimer des reportages critiques. Ces dernières années, le gouvernement a expulsé deux correspondants étrangers, tandis que des dizaines de journalistes éthiopiens ont fui le pays.
Des organisations non gouvernementales qui militent ouvertement pour la sécurité des journalistes ont également été attaquées. Les autorités ont suspendu des importantes organisations de défense des droits humains, intimidé et surveillé des défenseurs de ces droits, et envisagent d'apporter des modifications de vaste portée à la loi de 2019 sur la société civile, ce qui porterait un nouveau coup à l'espace civique de plus en plus restreint du pays.
Les récentes modifications apportées par le gouvernement à la loi sur les médias, et potentiellement à la loi sur la société civile, indiquent un retour à des pratiques autoritaires qui freineraient la liberté d'expression et d'opinion, a déclaré Human Rights Watch.
À l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai 2025, 14 missions diplomatiques ont conjointement publié une déclaration exprimant leurs inquiétudes face aux restrictions de la liberté de la presse en Éthiopie. Les partenaires régionaux et internationaux de l'Éthiopie devraient condamner plus régulièrement l’offensive du gouvernement contre les médias indépendants et les organisations de la société civile.
« Les médias et la société civile éthiopiens devraient pouvoir contribuer aux prochaines élections pour garantir leur caractère libre et équitable, et non se trouver dans la situation actuelle où ils craignent les arrestations et pratiquent l'autocensure », a conclu Laetitia Bader. « Les autorités ont encore le temps de changer de cap et de mettre fin à leur offensive systématique contre les journalistes et les voix indépendantes. »
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