Skip to main content
Faire un don

Syrie : Crise humanitaire à Soueïda, liée aux combats et aux exactions

Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées, les services sont paralysés et le risque de représailles sectaires perdure

Des membres des forces de sécurité syriennes surveillaient les environs à Busra al-Harir, dans la province de Deraa qui jouxte la province de Soueïda dans le sud de la Syrie, le 21 juillet 2025.  © 2025 Omar Haj Kadour / AFP

(Beyrouth, le 22 juillet 2025) – Neuf jours d'affrontements dans le gouvernorat de Soueïda, dans le sud de la Syrie, accompagnés de graves exactions, y ont déclenché une grave crise humanitaire, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les combats qui ont opposé des groupes armés locaux dirigés par des Druzes à des milices de Bédouins ont été exacerbés par la manière dont le gouvernement syrien est intervenu, ainsi que par des frappes aériennes menées par Israël. Ceci a provoqué des perturbations généralisées de l'approvisionnement en électricité, en eau et en soins de santé, a attisé les discours de haine sectaire, et a accru le risque de représailles contre les communautés druzes ailleurs en Syrie.

Les récents affrontements ont débuté le 12 juillet, avec de violents combats entre d’une part des milices druzes loyales envers le cheikh Hikmat al-Hijri, chef spirituel de la communauté druze de Soueïda, et d’autre part des combattants bédouins fidèles au gouvernement syrien. Le 14 juillet, face à la propagation des violences dans la région, le gouvernement y a déployé des forces sous l’autorité des ministères de l'Intérieur et de la Défense, et a proclamé un couvre-feu dans la ville de Soueïda (capitale provinciale). Les autorités ont affirmé que ce déploiement visait à rétablir l'ordre, mais des habitants ont signalé des pillages, des incendies de maisons, des exactions perpétrées selon des critères sectaires et des exécutions sommaires, y compris de femmes et d'enfants. Des groupes armés bédouins et des milices druzes auraient également commis de graves exactions.

« Alors que des communautés de Soueïda ont été déplacées et manquent de nourriture, d'eau et de soins de santé, l'insécurité, les obstacles politiques et une profonde méfiance freinent l'acheminement de l'aide humanitaire », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Quelles que soient les forces qui contrôlent les divers territoires, elles devraient autoriser l’entrée immédiate d'aide humanitaire, sans interférence. »

Les Nations Unies ont signalé que depuis le 12 juillet, au moins 93 400 personnes ont été déplacées, la plupart dans le gouvernorat de Soueïda. Les dégâts causés par les combats terrestres et les frappes aériennes israéliennes ont paralysé les réseaux d'électricité, d'eau et de télécommunications dans une grande partie de la ville de Soueïda. La plupart des hôpitaux sont hors service en raison des dégâts matériels, du manque de personnel, des barrages routiers et des ruptures d'approvisionnement en carburant. De nombreuses familles déplacées manquent de nourriture, d'eau potable et de soins médicaux, ce qui accroît les risques pour la santé publique, y compris en raison de corps non enterrés gisant dans des zones résidentielles.

Le premier convoi d'aide humanitaire limité, organisé par le Croissant-Rouge arabe syrien (CARS, ou en anglais Syrian Red Arab Crescent, SARC), est entré à Soueïda le 20 juillet. Un porte-parole du ministère de la Santé a déclaré que Cheikh al-Hijri avait refusé l'entrée à la délégation gouvernementale qui accompagnait le convoi. Un travailleur humanitaire a indiqué que, le 21 juillet, le ministère des Affaires étrangères avait autorisé le CRAS à acheminer l'aide de manière autonome, un deuxième convoi étant attendu dès le 22 juillet.

« Nous sommes privés d'eau depuis neuf jours et d'électricité depuis le début des combats », a déclaré un habitant de Soueïda. « Toute notre nourriture est avariée, nous avons dû la jeter. Nous nous douchons dans notre propre sueur. J'ai gratté la moisissure d'une brique de yaourt et je l'ai donnée à mes enfants. Ce dont nous avons le plus besoin maintenant, c'est d'eau et d'électricité. »

Des témoins ont décrit les conditions de vie à l'hôpital national de Soueïda comme catastrophiques. Un habitant a déclaré que l'hôpital était débordé, sans accès aux équipements médicaux de base ni à l'électricité pour soigner correctement les blessés. « Mon cousin a été blessé par des éclats d'obus au coude et à l'abdomen et nécessite une intervention chirurgicale urgente », a-t-il déclaré. « Cependant, l'hôpital manque à la fois de l'équipement et des fournitures médicales nécessaires pour réaliser l'opération. »

Un journaliste local a déclaré avoir vu de nombreux corps à l'hôpital et à la morgue, dont des enfants et des familles entières. Un militant local a partagé des vidéos montrant ce qui semblait être plusieurs corps, dont ceux d'un jeune garçon et d'une adolescente de 14 ans, leurs noms étant collés sur leurs fronts. En l'absence de personnel médical, des groupes armés et des civils ont transporté les morts et les blessés dans des véhicules privés, tandis que des bénévoles ont recensé les décès.

Le journaliste a partagé avec Human Rights Watch une vidéo montrant des pages d'un registre des décès d'un hôpital, répertoriant les noms, les âges, les dates d'arrivée et les causes de décès. Human Rights Watch a recensé 306 noms, la plupart arrivés le 16 ou le 17 juillet, dont au moins 23 enfants. La plupart des décès ont été attribués à des blessures par balle – certaines à la tête – et d’autres à des blessures par éclats. Il a ajouté que de nombreux autres corps n’étaient toujours pas enregistrés, notamment ceux qui se trouvaient encore à l’hôpital ou qui étaient transportés vers des structures privées ou rurales.

Le 20 juillet, le CRAS a signalé des agressions contre ses bénévoles locaux, l’incendie d’un entrepôt et des tirs contre une ambulance. La Défense civile syrienne a indiqué que le 16 juillet, des hommes armés avaient arrêté un secouriste, Hamza al-Amareen, alors qu’il répondait à un appel à l’aide de l’ONU. De tels actes mettent en danger les travailleurs humanitaires et entravent les opérations de secours, a déclaré Human Rights Watch.

Des sources bien informées ont indiqué que ces derniers jours, le ministère syrien des Affaires étrangères avait interdit aux agences de l’ONU et aux organisations humanitaires internationales d’entrer à Soueïda, invoquant des préoccupations sécuritaires. Une circulaire ministérielle du 20 juillet, consultée par Human Rights Watch, enjoignait aux organisations internationales et aux délégations diplomatiques de ne pas se rendre dans la zone sans autorisation préalable. L'accès des journalistes internationaux aurait également été restreint.

Toutes les parties au conflit, notamment les forces gouvernementales syriennes et les groupes armés contrôlant le gouvernorat de Soueïda, devraient immédiatement faciliter le passage en toute sécurité des convois d'aide et permettre aux ingénieurs de rétablir les services essentiels, a déclaré Human Rights Watch.

Les travailleurs humanitaires et les biens utilisés pour les opérations humanitaires doivent être respectés et protégés. Les attaques contre les civils et les biens civils, y compris les infrastructures civiles, sont interdites. Les efforts humanitaires doivent rester indépendants et exempts de toute ingérence indue, compte tenu notamment de la profonde méfiance entre les communautés locales et le gouvernement central. Les autorités syriennes devraient également accorder aux observateurs indépendants un accès complet aux zones touchées.

Le 16 juillet, la présidence syrienne a condamné les violations commises contre les habitants de Soueïda et s'est engagée à assurer la reddition de comptes. La police militaire a ensuite annoncé l'arrestation d'un soldat pour « violation des codes de conduite ».

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré que les attaques israéliennes contre Damas et Soueïda le 16 juillet visaient à défendre les Druzes et à imposer une zone démilitarisée dans le sud de la Syrie. Les frappes aériennes en cours ont alimenté une hostilité généralisée contre la communauté druze dans son ensemble, même si de nombreux hauts dirigeants et personnalités druzes ont publiquement rejeté toute intervention militaire étrangère et appelé à une solution pacifique négociée au niveau national.

Le 16 juillet, les États-Unis ont négocié un cessez-le-feu en vertu duquel les forces gouvernementales syriennes se sont retirées de Soueïda, rétrocédant la gouvernance locale et la sécurité aux structures dirigées par les Druzes sous l'autorité de Cheikh al-Hijri, rétablissant ainsi l'autonomie informelle du gouvernorat.

L'accord ne comportait aucune disposition relative à la protection des civils, à l'accès à l'aide humanitaire ou à la responsabilisation. Il n'abordait pas non plus les déplacements massifs, l'effondrement des services publics ni la menace croissante de représailles sectaires. Les représentants bédouins n'étaient pas impliqués dans les négociations.

Après le cessez-le-feu, des milliers de combattants bédouins venus de toute la Syrie se sont mobilisés vers Soueïda, après que les médias d'État ont rapporté des attaques de représailles menées par les combattants d'al-Hijri contre des civils bédouins. Les autorités ne semblent avoir rien fait pour empêcher leur mobilisation.

Dans le cadre des des affrontements, les menaces sectaires contre les Druzes se sont multipliées en ligne en Syrie : appels au boycott des entreprises druzes et au licenciement des travailleurs druzes, menaces d'expulsion des Druzes de Damas, et allégations selon lesquelles la communauté tout entière serait complice des actions des combattants d'al-Hijri et soutiendrait l'intervention israélienne.

Dans un discours prononcé le 19 juillet, le président syrien Ahmed al-Sharaa a qualifié les combattants druzes de « groupes hors-la-loi », et a salué la mobilisation nationale de combattants bédouins qui étaient prêts à se diriger vers Soueïda ; ceci a suscité des inquiétudes quant au risque d’encourager des représailles non étatiques, au lieu de promouvoir des mesures sécuritaires légales et garanties par l’État.

Le 21 juillet, un calme relatif est revenu à Soueïda grâce à un nouveau cessez-le-feu. Les autorités ont annoncé le retrait des combattants bédouins de la ville et les forces de sécurité intérieure ont pris le contrôle des axes routiers clés. Les familles bédouines de la ville ont été évacuées. Si les autorités ont affirmé que ce relogement était temporaire, des inquiétudes subsistent quant à la possibilité que ces familles ne puissent pas rentrer en toute sécurité sans garanties claires. Les habitants continuent de signaler des maisons détruites, un nombre croissant de victimes et l'effondrement des services.

« Le gouvernement syrien permet à des groupes armés d’opérer en dehors de son commandement ; ceci aggrave les conditions d’anarchie, alors que la Syrie a besoin de forces de sécurité professionnelles et responsables qui représentent et protègent toutes les communautés, sans discrimination », a déclaré Adam Coogle. « La désescalade des violences doit aller de pair avec la protection des civils, la garantie de retours en toute sécurité, le rétablissement des services et le rétablissement d’un climat de confiance. »

...............

GIVING TUESDAY MATCH EXTENDED:

Did you miss Giving Tuesday? Our special 3X match has been EXTENDED through Friday at midnight. Your gift will now go three times further to help HRW investigate violations, expose what's happening on the ground and push for change.