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Salvador : Des policiers décrivent des abus

Des arrestations arbitraires sont fondées sur des quotas et sur des preuves fabriquées

Police El Salvador State of Emergency
Des policiers procédaient à des contrôles d’identité visant les passagers d'un bus arrêté au bord d’une route à Santa Ana, au Salvador, le 30 juin 2022, trois mois après l’instauration de l'état d'urgence décrété par le président Nayib Bukele.  © 2022 Marvin Recinos/AFP via Getty Images
  • Des entretiens avec des policiers et des documents internes de la police révèlent des pratiques abusives qui ont conduit à des arrestations arbitraires et à des abus de pouvoir au Salvador.
  • Leurs témoignages offrent un aperçu rare de la manière dont la police salvadorienne a fabriqué des preuves pour atteindre ses quotas d'arrestations, extorqué des personnes innocentes, contourné les procédures régulières et bafoué des décisions judiciaires.
  • La violence des gangs a diminué au Salvador, mais les Salvadoriens ne sont pas véritablement en sécurité, étant exposés au risque d’abus commis par des forces de sécurité incontrôlées. L'expérience montre que ces abus ne feront que s'aggraver et se propager si tout policier n'est pas tenu strictement responsable de ses actes.

(Washington) – Des entretiens avec des policiers et des documents internes de la police au Salvador révèlent des pratiques abusives ayant conduit à des arrestations arbitraires et à des abus de pouvoir, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Des policiers ont déclaré à Human Rights Watch que de nombreuses arrestations dans le cadre de la « guerre contre les gangs » en cours résultaient de pressions exercées sur les policiers pour qu'ils atteignent leurs quotas quotidiens d'arrestations, et reposaient sur des preuves douteuses ou même fabriquées. Ces policiers ont décrit des arrestations fondées sur de simples tatouages, sur des informations manifestement fausses figurant dans des rapports de police ou sur des appels anonymes non corroborés. Ils ont également décrit un climat d'impunité qui a conduit certains policiers à exiger des pots-de-vin et, dans certains cas, à exiger des relations sexuelles de femmes en échange de la non-arrestation de leurs proches.

« Le président Nayib Bukele présente sa politique de sécurité comme un modèle positif pour le monde, mais les policiers avec lesquels nous nous sommes entretenus racontent une tout autre histoire », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Leurs témoignages offrent un aperçu rare de la manière dont la police salvadorienne a fabriqué des preuves pour atteindre ses quotas d'arrestations, extorqué des personnes innocentes, contourné les procédures régulières et bafoué des décisions judiciaires. »

Depuis mars 2022, le Salvador est sous état d'urgence, dans le cadre duquel certains droits à une procédure régulière ont été suspendus. Depuis lors, les forces de sécurité auraient arrêté plus de 86 000 personnes, dont plus de 3 000 enfants.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 11 policiers salvadoriens, dont la durée de l’expérience professionnelle est comprise entre 9 ans et 31 ans. Neuf sont des membres actifs de la police. Les deux autres possèdent une connaissance approfondie des pratiques policières, et entretiennent des liens étroits avec leurs collègues actuellement en poste. Il s’agissait d’agents de police, de sergents, d’enquêteurs et de techniciens médico-légaux travaillant dans les États de San Salvador, de Santa Ana et de San Vicente. Quatre entretiens ont été menés en personne à San Salvador, les autres ont été menés par téléphone. Human Rights Watch s’est abstenu de divulguer les noms des policiers et d'autres informations permettant de les identifier, pour des raisons de sécurité. Human Rights Watch a corroboré leurs témoignages en examinant des documents internes de la police, des décisions de justice, ainsi que des témoignages d'autres policiers et de victimes d'abus.

Human Rights Watch a précédemment documenté des violations généralisées des droits humains commises pendant l'état d'urgence, notamment des arrestations arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que de graves violations des garanties procédurales. La grande majorité des détenus sont en détention provisoire, souvent dans des conditions abjectes.

Les onze policiers ont certes évoqué les graves problèmes de sécurité posés par les gangs et reconnu que la violence liée aux gangs avait considérablement diminué ; toutefois, ils ont dénoncé les tactiques imposées par les supérieurs hiérarchiques. Les policiers ont déclaré être souvent sanctionnés s'ils n'atteignaient pas les quotas quotidiens d'arrestations. Certains ont affirmé ne pas pouvoir quitter leur service, prendre un repas ou se reposer au commissariat tant qu'ils n'avaient pas atteint leur quota. Lorsque des policiers refusaient ou exprimaient des inquiétudes quant au manque de preuves justifiant une arrestation, ils étaient menacés de mutations indésirables, ou d'inculpation pour « manquement au devoir ».

Des policiers ont aussi affirmé que certains dossiers étaient fabriqués de toutes pièces. Un policier a déclaré : « Il n'y a pas d'enquête. La police se contente de créer des profils. Ce sont des actes arbitraires… Ce profil devient la “preuve” de l'appartenance à un gang. »

Un autre policier a déclaré : « [Une personne] appelait simplement pour dire que quelqu'un était un “collaborateur”, et nous allions l'arrêter. » Il a résumé cette pratique ainsi : « Détenir d'abord, enquêter ensuite. »

De nombreux policiers ont déclaré que les accusations reçues par appels anonymes, qui ont parfois conduit à des arrestations, se sont avérées fausses et fondées uniquement sur des conflits personnels. Comme l'a expliqué un policier : « Des gens étaient arrêtés simplement parce qu'un voisin ne les aimait pas. »

Certains policiers ont également déclaré avoir reçu des instructions interdisant la libération des personnes détenues. Ils ont décrit un « protocole » visant à créer un nouveau dossier contre toute personne dont la libération avait été ordonnée par le tribunal, afin de la réarrêter immédiatement ; parfois, selon un policier, un détenu libéré était réarrêté « dès qu'il franchissait les portes de la prison ».

Les policiers ont également expliqué que l'état d'urgence et l'absence d’obligation de rendre des comptes avaient engendré un climat d'impunité. Selon l’un d’entre eux, la police se sentait « toute-puissante ».

Plusieurs policiers ont ajouté que les conditions de travail difficiles, les bas salaires et les risques pour la sécurité personnelle – problèmes persistants au Salvador – favorisent la corruption et les abus de pouvoir.

Des policiers ont décrit comment certains collègues extorquaient des personnes et se livraient à des actes d'exploitation sexuelle. « [Ils disent aux gens] : "Si vous ne faites pas ce que je demande, je vous traiterai selon l’état d'urgence" », a expliqué un policier. « L'état d'urgence est devenu un outil de coercition. »

« La violence des gangs a clairement diminué au Salvador », a déclaré Juanita Goebertus. « Mais les Salvadoriens ne sont pas véritablement en sécurité : ils sont exposés au risque d’abus commis en toute impunité par les forces de sécurité. Or, l'expérience montre que ces abus ne feront que s'aggraver et se propager si tout policier n'est pas tenu strictement responsable de ses actes. »

Suite en anglais, comprenant des témoignages de policiers.

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