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France : De nombreux enfants à Mayotte privés d’éducation

Le projet de loi sur Mayotte est une opportunité pour lever des obstacles de longue date

Une école primaire dévastée par le cyclone Chido à Doujani à Mayotte, le 27 décembre 2024. © 2024 Lemor David/ABACA/Shutterstock

(Paris) – Un projet de loi examiné à l’Assemblée nationale portant sur la reconstruction du département d’Outre-mer de Mayotte devrait inclure l’accès à l’éducation et aux autres droits économiques et sociaux fondamentaux des enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Située dans l’océan Indien, au nord-ouest de Madagascar, Mayotte est depuis longtemps délaissée par les autorités françaises. Son système éducatif est confronté depuis des années à un manque d’infrastructures scolaires, à des classes surpeuplées et à une pénurie d’enseignants. Les enfants de familles sans papiers et ceux vivant dans des bidonvilles rencontrent de manière disproportionnée des obstacles à leur scolarisation. La sécheresse a provoqué de fréquentes pénuries d’eau, et un cyclone dévastateur en décembre 2024 a entraîné des destructions importantes des habitations, des écoles et des infrastructures.

« L’éducation n’est pas seulement un droit pour tous les enfants, elle est obligatoire en France de 3 à 16 ans », a déclaré Elvire Fondacci, chargée de plaidoyer à Human Rights Watch. « Pourtant, à Mayotte, des milliers d’enfants – en raison de leur nationalité ou de leur statut migratoire – n’ont pas accès à l’éducation ni à d’autres services sociaux essentiels. »

Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 40 enfants et parents, ainsi qu’avec des organisations de la société civile, des institutions indépendantes, des enseignants, du personnel éducatif, et des représentants des autorités locales et nationales, lors d’une mission de recherche de 10 jours à Mayotte en mai 2025.

Mayotte est l’un des 13 départements et territoires français d’Outre-mer, hérités de son passé colonial. C’est le département le plus pauvre de France, et l’un des plus défavorisés de l’Union européenne. Plus de 75 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté.

Près de la moitié de la population de l’archipel a moins de 18 ans, et 8 enfants sur 10 vivent dans la pauvreté. Le système éducatif était déjà sous pression bien avant le cyclone Chido, avec des écoles et des classes surchargées.

Une étude menée en 2023 par l’Université Paris-Nanterre a estimé que jusqu’à 9 % des enfants de Mayotte en âge d’aller à l’école n’étaient pas scolarisés. Le Défenseur des droits a signalé en octobre 2023 que jusqu’à 15 000 enfants n’avaient pas accès à une journée scolaire complète dans une école publique. Pourtant, selon la loi, l’instruction en France est gratuite, obligatoire de 3 à 16 ans, et devrait être accessible à tous les enfants, indépendamment de leur statut migratoire.

L’enseignement primaire relève principalement des municipalités, dont certaines imposent des exigences administratives supplémentaires pour l’inscription scolaire. Certaines demandent des documents délivrés récemment comme un acte de naissance ou une attestation de domicile sur lesquelles figurent l’adresse des enfants — des documents difficiles à fournir pour les familles vivant en habitat informel ou sans papiers.

Certaines collectivités sont également réticentes à construire de nouvelles écoles, perçues comme profitant avant tout aux enfants de familles immigrées, notamment originaires des Comores voisines, ou comme favorisant l’immigration. Priver des enfants de leurs droits fondamentaux, notamment celui à l’éducation, ne devrait jamais être utilisé comme moyen de dissuasion contre la migration, rappelle Human Rights Watch. Le Défenseur des droits a souligné début juin que les carences du système éducatif mahorais contribuent à exacerber et renforcer les inégalités existantes.

La crainte d’être arrêtés par la police aux frontières (PAF), notamment à proximité des écoles et des mairies, dissuade de nombreuses familles d’accompagner leurs enfants à l’école ou de recourir à des services publics essentiels comme la vaccination, et complique les démarches d’inscription scolaire.

Les politiques migratoires spécifiques à Mayotte sont de plus en plus restrictives —encore plus qu’en métropole— et ont entraîné une augmentation du nombre d’enfants qui se retrouvent sans papiers à 18 ans, quelle que soit la durée de leur présence ou même s’ils sont nés sur place. L'incertitude des enfants quant à leur avenir est une source d'angoisse et en conduit certains à abandonner l'école prématurément.

Un membre d’une association locale de soutien aux enfants non scolarisés témoigne : « À 13 ans, certains élèves se demandent déjà si cela vaut vraiment la peine de rester à l’école. »

Des milliers d’enfants à Mayotte vivent dans des bidonvilles, souvent dans des logements de fortune —appelés bangas— sans eau courante ni électricité. Certains étudient à la lumière d’une bougie ou du flash de leur téléphone ; d’autres laissent leurs cahiers à l’école pour éviter qu’ils ne soient abîmés en cas de pluie.

Les enfants vivant dans les bidonvilles souffrent souvent de malnutrition. Des enseignants rapportent que certains enfants s’endorment en classe ou n’arrivent pas à se concentrer parce qu’ils ont faim. À la différence de la métropole, où les élèves reçoivent un repas complet à midi, la plupart des écoles à Mayotte ne fournissent qu’une simple collation, qui constitue pour de nombreux élèves le seul repas de la journée.

« Depuis Chido, on n’a pas à manger. Mes parents ne trouvent plus de riz », témoigne une fille de 12 ans. « Un jour on mange, un jour on ne mange pas. C’est un jour sur deux. Je mange la collation au collège. »

Certains enfants, dont les familles ne peuvent pas payer le prix des collations —65 euros par an dans le primaire à Mamoudzou—, se retrouvent sans rien à manger. « C’est difficile de vivre dans un bidonville. Si on n’a pas payé la cantine, on ne peut pas manger. C’est très difficile d’aller à l’école quand on a faim », témoigne une élève de 15 ans.

Le français n’est pas la langue maternelle de nombreux enfants — y compris les enfants français nés à Mayotte, ceux vivant depuis longtemps à Mayotte sans avoir la nationalité française et les primo-arrivants— qui peuvent avoir une maîtrise limitée de la langue. Le manque de soutien adapté, de formation des enseignants, et de reconnaissance de la diversité linguistique entrent en contradiction avec les exigences nationales en matière d’éducation, rendent l’apprentissage extrêmement difficile pour les élèves et posent des défis majeurs aux enseignants.

Les enfants de demandeurs d’asile ou de migrants récemment arrivés d’Afrique centrale et orientale — notamment de République démocratique du Congo, du Rwanda, d’Érythrée ou de Somalie — vivent dans des conditions particulièrement désastreuses, dans des tentes délabrées, au sein d’un campement informel qui ne dispose pas de toilettes pour ses centaines d'habitants et n'offre aucun accès à l'éducation.

L’Assemblée nationale s’apprête à examiner un projet de loi qui définira les priorités et le cadre d’une politique publique spécifique pour la reconstruction de Mayotte.

Les députés devraient garantir aux enfants de Mayotte l’exercice de leurs droits fondamentaux, notamment le droit à l’éducation. Les autorités, nationales comme locales, devraient agir de toute urgence pour faire en sorte que les écoles soient à même de répondre aux besoins élémentaires des enfants (accès à l’eau potable, à l’assainissement, à une alimentation suffisante, à un environnement sûr) et mettre fin aux pratiques discriminatoires sans attendre de nouvelle législation, a déclaré Human Rights Watch.

« Le projet de loi en débat à l’Assemblée nationale est l’occasion de mettre fin à des décennies de sous-investissement, de mauvaise gestion et de manque persistant de volonté politique qui ont gravement compromis l’accès à l'éducation à Mayotte », a déclaré Elvire Fondacci. « Garantir le droit à l'éducation pour tous les enfants en France ne devrait pas être facultatif à Mayotte simplement parce qu'il s'agit d'un territoire d'Outre-mer. »

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