- Les autorités émiraties ont qualifié de « terroristes » 11 personnes – des dissidents politiques et leurs proches – ainsi que 8 entreprises ; ceci reflète l'utilisation indiscriminée par le gouvernement de sa loi antiterroriste d’une vaste portée, en l’absence de procédures régulières.
- La loi antiterroriste des Émirats arabes unis autorise le pouvoir exécutif à qualifier des individus et des entités de « terroristes », sans avoir à justifier cette désignation de manière objective.
- Les autorités émiraties devraient immédiatement annuler ces désignations injustifiées, et le Royaume-Uni devrait soutenir les 8 entreprises, toutes enregistrées dans ce pays.
(Beyrouth) – Les autorités des Émirats arabes unis (EAU) ont qualifié de « terroristes » 11 personnes – des dissidents politiques et leurs proches – ainsi que 8 entreprises qu'ils détiennent, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; ceci reflète l'utilisation indiscriminée par le gouvernement de sa loi antiterroriste d’une vaste portée, en l’absence de procédures régulières. Les autorités devraient immédiatement annuler ces désignations.
Le 8 janvier 2025, les autorités émiraties ont annoncé la décision du gouvernement d’ajouter les noms de ces 11 personnes et 8 entreprises à leur « Liste locale de terroristes », en raison de leurs liens présumés avec les Frères musulmans, de manière unilatérale et sans procédure régulière. Les autorités n'ont pas informé au préalable ces personnes ni ces entités de leur décision ; ces personnes n'ont eu aucune possibilité d’y répondre ou de contester ces allégations. Cette décision constitue une escalade de la répression transnationale menée par les Émirats arabes unis, ciblant non seulement les dissidents, mais aussi leurs familles.
« Inscrire 19 personnes et entreprises sur une liste de terroristes présumés, sans aucune procédure régulière et avec de graves conséquences sur leurs moyens de subsistance, bafoue les principes de l'État de droit », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur les Émirats arabes unis à Human Rights Watch. « Le gouvernement du Royaume-Uni devrait intervenir auprès des autorités émiraties pour défendre les entreprises britanniques visées par ces allégations fallacieuses, d'autant plus que Londres envisage de signer avec les pays du Golfe un accord de libre-échange qui semble dépourvu des protections les plus élémentaires en matière de droits humains. »
Human Rights Watch a constaté que les huit entreprises sont enregistrées exclusivement au Royaume-Uni, et appartiennent ou ont appartenu à des dissidents émiratis en exil ou à leurs proches. Au moins neuf des onze personnes sur la liste sont des dissidents politiques ou leurs proches.
Seules deux d'entre elles ont été accusées d'une infraction terroriste, voire condamnées ; ces accusations ont été émises dans des circonstances douteuses, selon des sources de l’ONG Emirates Detainees Advocacy Center (EDAC), qui soutient les défenseurs des droits humains emprisonnés aux Émirats arabes unis. Un homme a été condamné par contumace lors du procès collectif de 94 personnes, surnommé « UAE94 », un procès manifestement inéquitable de dissidents politiques tenu en 2013. L'autre homme était accusé dans une autre affaire liée à son soutien aux détenus « UAE94 ».
Les personnes figurant sur la liste n'ont appris cette désignation qu'après la publication de l'information par l'Agence de presse des Émirats arabes unis (Wakalat Anba'a al Emarat, WAM), sur son site web. « Ce fut un véritable choc, c'était très difficile », a déclaré l'une de ces personnes à Human Rights Watch.
Un autre individu s'est dit « surpris que nos noms apparaissent simplement dans le dossier terroriste », car il n'y avait « aucune affaire, aucune décision de justice ». Un troisième homme a affirmé : « Je n'ai jamais été condamné, et aucune charge ne pèse contre moi. »
Human Rights Watch a effectué une recherche concernant les 19 personnes et entreprises qualifiées de « terroristes » par les EAU, en cherchant leurs noms dans plusieurs listes internationales de sanctions visant des individus et entités terroristes, notamment les listes établies par les Nations Unies, par l'Union européenne et par le Royaume-Uni. Aucun des 19 noms ne figure dans ces listes internationalement reconnues.
La loi antiterroriste de 2014 des Émirats arabes unis utilise une définition excessivement large du terrorisme et permet au pouvoir exécutif de désigner des individus et des entités comme « terroristes », sans obligation légale de démontrer le fondement objectif de cette désignation. La loi ne définit pas de procédure claire quant à l'exercice de ce pouvoir, et ne prévoit aucun système de vérification.
Les personnes désignées comme « terroristes » sont immédiatement passibles d'un gel de leurs avoirs et de la confiscation de leurs biens, en vertu de la loi antiterroriste et de la décision n° 74/2020 du Cabinet émirati. Toute personne vivant aux Émirats arabes unis, y compris les proches ou les amis d’individus figurant sur la liste, risquent une peine de prison à perpétuité s’ils communiquent avec eux. Human Rights Watch a constaté que cette désignation en tant que « terroristes » a déjà eu des conséquences négatives sur la carrière et les finances personnelles de ces personnes, dont la perte d'opportunités professionnelles et de clients.
Des dissidents émiratis en exil ont déclaré que ces désignations s'inscrivaient dans le cadre de la répression continue des Émirats arabes unis contre la dissidence et l'opposition politique. « Ils veulent nous faire le plus de mal possible », a déclaré une personne dont le nom figure sur la liste.
Au cours des dix dernières années, les autorités émiraties ont ciblé à plusieurs reprises les Frères musulmans et leur branche émiratie, l'Association pour la réforme et l'orientation sociale (Al-Islah), dans le cadre d'une répression généralisée. Or, Al-Islah est un groupe non violent qui a participé à un débat politique pacifique aux Émirats arabes unis pendant de nombreuses années avant l’actuelle vague de répression, tout un prônant un plus grand respect des préceptes islamiques. Plusieurs détenus qui avaient été condamnés lors du procès collectif « UAE94 » de 2013, tenu de manière inéquitable, sont des membres d'Al-Islah. En 2014, les Émirats arabes unis ont désigné les Frères musulmans comme organisation terroriste.
« Le gouvernement des Émirats arabes unis rejette l'existence de toute opposition politique ou de toute opinion contraire à ses politiques, et cherche donc à faire taire toutes les voix [critiques] », a déclaré une personne figurant sur la liste.
La loi antiterroriste de 2014 permet aux tribunaux de designer des détracteurs pacifiques du gouvernement comme des « terroristes », et de les condamner à mor. Cette loi a été utilisée à maintes reprises contre des dissidents politiques. En juillet 2024, 53 défenseurs des droits humains et dissidents politiques ont été condamnés à des peines excessivement longues lors du deuxième plus grand procès collectif inéquitable du pays.
En 2010, le premier Rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste avait indiqué que les pays devraient définir le terrorisme, dans le cadre de leurs lois, de manière précise et restreinte. Il avait ainsi expliqué le motif : « L’adoption de définitions trop larges du terrorisme peut […] donner lieu à un usage abusif délibéré du terme […] et à des violations involontaires des droits de l’homme. »
« Les autorités émiraties abusent d'une loi antiterroriste vaguement formulée pour diffamer et ostraciser les dissidents, criminalisant même le simple contact avec eux », a conclu Joey Shea. « Elles devraient immédiatement revenir sur ces désignations insidieuses et cesser de réprimer l'expression pacifique. »
Suite en anglais (informations plus détaillées).
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