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Comment l’Europe peut-elle mieux protéger les droits humains des citoyens juifs ?

La lutte contre l’antisémitisme doit être axée sur le respect des droits, durant cette période marquée par la polarisation

Publié dans: eu-observer (en anglais)
Manifestation contre l’antisémitisme tenue devant un centre communautaire et une synagogue à Berlin, en Allemagne, le 20 octobre 2023. © 2023 Sean Gallup/Getty Images

Une synagogue incendiée. Un rabbin menacé avec un tournevis dans la rue. Des graffitis d’étoiles de David griffonnés sur des maisons de personnes juives. Ces épisodes rappellent de façon viscérale que l’antisémitisme en Europe est un problème très réel.

Les chiffres sont clairs : une forte hausse du nombre d’incidents antisémites a été observée depuis l’attaque menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et les hostilités qui ont suivi. Un sondage montre que de nombreux Juifs en Europe ne se sentent plus en sécurité. D'autres enquêtes suggèrent que les attitudes antisémites restent répandues dans de nombreux pays européens.

Des leaders politiques européens condamnent régulièrement l’antisémitisme et s’engagent à agir pour y remédier. L’Union européenne a adopté une Stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à la vie juive. Des normes des droits humains exigent que les États européens prennent des mesures efficaces pour lutter contre la haine, la violence et la discrimination à l’encontre des groupes stigmatisés. On aurait donc pu supposer que ce problème est en voie de résolution.

Mais ce serait une erreur.

D’un point de vue pratique, il est loin d’être évident que les réponses politiques des pays européens soient efficaces. Les réponses des États ont tendance à mettre l’accent sur les systèmes de justice pénale, qui sont largement réactifs, ont des bilans imparfaits dans la lutte contre les crimes de haine antisémites, et n’ont généralement pas su renforcer la confiance parmi les citoyens juifs, ce qui serait nécessaire pour que les victimes signalent les crimes de haine. En outre, les réponses des États ignorent souvent les défis structurels plus larges auxquels les Juifs d’Europe sont confrontés, ou la nécessité de renforcer au sein de la société une solidarité apte à marginaliser les agresseurs potentiels.

La politique et le débat public en Europe sur la lutte contre l’antisémitisme présentent souvent la sécurité et les droits des Juifs comme étant menacés par d’autres minorités, ce qui aggrave le phénomène de clivage au lieu d’y remédier. Par ailleurs, les réponses des États ne tiennent pas suffisamment compte du fait que des préjugés sont discernables à travers l’ensemble du spectre politique.

Alors que les Juifs européens subissent actuellement la propagation de la haine antisémite liée aux hostilités en Israël et en Palestine, les musulmans européens se retrouvent aussi marginalisés par ceux qui insistent qu’ils devraient condamner les groupes armés palestiniens, pour valider leur droit de vivre au sein de la société européenne. Cette approche risque de donner l'impression que les droits et la sécurité des juifs et des musulmans en Europe sont un jeu à somme nulle (« zero-sum game », avec un camp entièrement gagnant et un autre camp entièrement perdant) ; cela risque aussi de détourner l'attention de l'antisémitisme persistant de l'extrême droite et des autres segments de la société, ainsi que d'autres formes de racisme en Europe, notamment contre les musulmans.

Le droit international relatif aux droits humains exige que les pays prennent des mesures concrètes pour lutter contre les préjugés et la discrimination, renforcer la protection et garantir l’égalité de traitement. Le travail de nombreuses organisations communautaires montre qu’il est possible de mettre en place des réponses à l’antisémitisme, centrées sur les droits des Juifs en Europe, conçues pour durer à long terme, et qui abordent les défis structurels tout en promouvant des liens entre diverses communautés.

Il est important que les autorités surveillent et répondent aux divers crimes haineux, y compris les crimes antisémites, encouragent les victimes à dénoncer de tels crimes, et traduisent les individus responsables en justice. Mais aborder simplement le problème des actes antisémites après coup, c’est traiter les symptômes et non les causes.

S’attaquer aux causes des crimes haineux nécessite que le gouvernement et la société dans son ensemble reconnaissent que de tels actes découlent d’une attitude acceptant la marginalisation des Juifs et d’autres groupes minoritaires, et commencent par des affronts quotidiens visant les Juifs à l’école, au travail ou dans la rue.

Les États doivent rassembler des preuves pour comprendre l’expérience plus large des communautés juives, y compris les préjugés et la discrimination auxquels elles sont confrontées au quotidien, afin d’élaborer des politiques publiques qui cherchent à résoudre les problèmes structurels. Il pourrait s’agir d’initiatives visant à faire progresser l’éducation et le dialogue dans les sociétés multiculturelles et à relier l’expérience des Juifs à celle d’autres personnes qui sont également confrontées à l’intolérance et à la discrimination, afin de développer l’empathie et la compréhension, au lieu des sentiments de méfiance et de division.

Il existe de nombreux exemples positifs fournis par la société civile en Europe, sur lesquels les États peuvent s’appuyer.

L’éducation communautaire et entre pairs apporte une pensée critique ainsi que de l’empathie et une ouverture à l’établissement de relations, aidant ainsi à lutter contre les préjugés néfastes dans la société au sens large à propos des juifs et des musulmans. Citons à titre d’exemple le mouvement Coexister en France, semblable au réseau CoExist d’autres pays européens, Aktion Sühnezeichen Friedensdienste (ASF) et le Centre Anne Frank en Allemagne, ainsi que Parallel Histories et Solutions Not Sides au Royaume-Uni.

Les initiatives qui promeuvent l’inclusion et la coopération sociale, telles que KIgA à Berlin, ou Nisa-Nashim, Mitzvah Day et Sewa Day in au Royaume-Uni, contribuent à renforcer la reconnaissance et le soutien mutuels au sein de la société. Le travail de ces organisations montre que l’inclusion ne consiste pas seulement à accepter des groupes ciblés, mais également à accroître la tolérance de la société dans son ensemble.

Ces approches sont inclusives et innovantes et peuvent contribuer à changer les attitudes à long terme. Mais il n’est pas simple de les soutenir et de les développer. Cela nécessite des investissements importants, des recherches pour évaluer leur efficacité, une élaboration de politiques gouvernementales éclairées, ainsi qu’une dose de courage pour surmonter les cloisonnements et la politisation qui peuvent entraver la lutte contre l’antisémitisme.

Il existe également d’autres défis. Les principales préoccupations concernent la liberté d’expression et de réunion, en particulier dans le contexte des événements en Israël et en Palestine. C’est particulièrement difficile lorsque des individus antisémites utilisent le prétexte des hostilités en Israël et en Palestine pour exprimer leur haine contre les Juifs, ou à l’inverse lorsque l’accusation d’antisémitisme est utilisée à tort contre des personnes exprimant des critiques légitimes de la politique de l’État israélien, ou leur défense des droits des Palestiniens.

Ces défis ne seront peut-être pas faciles à résoudre. Mais il sera beaucoup plus facile de les aborder si l’on comprend clairement que l’antisémitisme doit être combattu tout comme diverses formes de racisme, et que l’on peut lutter efficacement contre l’antisémitisme et protéger les droits des Juifs tout en respectant les droits d’expression et de réunion des militants pro-palestiniens.

À long terme, ces efforts seront facilités si l’on considère la protection des droits des Juifs et des autres minorités comme un défi structurel qui nécessite un investissement important de l’État dans le changement social, en commençant par l’éducation. 

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