(Londres, 27 octobre 2023) – Les réponses des gouvernements européens aux hostilités entre Israël et les groupes armés palestiniens à Gaza ont des effets néfastes sur les droits humains en Europe, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les préoccupations portent notamment sur des réponses inadéquates aux informations faisant état d’une montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie, du recours à des politiques d'immigration qui risquent de discriminer les personnes perçues comme arabes, palestiniennes ou musulmanes, et des interdictions et autres restrictions de manifestations et expressions pacifiques propalestiniennes.
« Les autorités des pays européens ont la responsabilité de veiller à ce que chacun soit en sécurité et protégé contre la violence et la discrimination », a déclaré Benjamin Ward, directeur adjoint de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Il est également important que les autorités protègent le droit des citoyens à manifester et à s’exprimer pacifiquement et veillent à ce que les réponses sécuritaires des gouvernements face à la violence ne portent pas atteinte aux droits. »
Plusieurs pays ont signalé une augmentation des incidents antisémites depuis le début des hostilités le 7 octobre 2023. La police métropolitaine de Londres, la plus importante force de police du Royaume-Uni, a enregistré 218 incidents antisémites au cours des 18 premiers jours du mois d’octobre, par rapport à 15 incidents pour la même période en 2022. Des observateurs communautaires au Royaume-Uni ont reçu 600 signalements similaires au niveau national entre le 7 et le 23 octobre, par rapport à 81 pour la même période en 2022.
En France, le ministre de l'Intérieur a déclaré le 24 octobre qu'il y avait eu 588 actes antisémites et 336 arrestations liées à ces actes depuis le 7 octobre. En Allemagne, un organisme de recherche sur l'antisémitisme financé par l'État a enregistré 202 incidents antisémites entre le 7 et le 15 octobre, par rapport à 59 pour la même semaine en 2022.
Ces statistiques ne distinguent pas les agressions physiques, les menaces ou les discours de haine dirigés contre des personnes et les actes visant des institutions ou des maisons juives, tel que l’incendie criminel d’une synagogue ou le fait de taguer une étoile de David sur des maisons habitées par des personnes de confession juive. Cependant, elles soulignent le nombre croissant d’incidents depuis le 7 octobre et suscitent des inquiétudes au sein des communautés juives quant à la sécurité des personnes.
Les crimes de haine islamophobes ont également fortement augmenté là où de tels incidents sont enregistrés. Selon la police métropolitaine, il y a eu 101 délits islamophobes à Londres au cours des 18 premiers jours du mois d’octobre, par rapport à 42 pour la même période en 2022. Une organisation communautaire a enregistré 291 incidents islamophobes au Royaume-Uni entre le 7 et le 19 octobre, soit six fois plus que pour la même période en 2022.
Malheureusement, d'autres pays n'ont pas publié de statistiques sur les incidents islamophobes signalés depuis le 7 octobre, ce qui suggère qu'ils n'enregistrent pas les crimes de haine contre les personnes perçues comme musulmanes. Le manque de données fait obstacle à des réponses politiques efficaces à ces crimes de haine, selon Human Rights Watch.
Les autorités de plusieurs pays européens imposent depuis le 7 octobre des restrictions excessives aux manifestations et aux discours propalestiniens.
Les autorités françaises ont imposé une interdiction générale des manifestations propalestiniennes, une décision annulée le 18 octobre par le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative de France. Avant la décision, 64 manifestations avaient été interdites, selon les médias.
Les autorités berlinoises ont interdit au moins sept manifestations propalestiniennes, bien que plusieurs autres aient été autorisées. Les interdictions de manifester ont suscité l’inquiétude du commissaire à l’antisémitisme du pays, qui a souligné que « manifester est un droit fondamental ». Le 13 octobre, les autorités scolaires du Land de Berlin ont autorisé les écoles à interdire aux élèves de porter le foulard noir et blanc du keffieh palestinien et d'afficher des autocollants « Palestine libre », suscitant des inquiétudes quant au droit à la libre expression et à une éventuelle discrimination.
Des interdictions de manifestations propalestiniennes ont également été signalées dans la capitale autrichienne, en Hongrie et dans des parties de la Suisse.
La police de Londres a généralement adopté une approche nuancée par rapport aux manifestations propalestiniennes depuis le 7 octobre, y compris en ce qui concerne l'utilisation de slogans lors de manifestations qui ont été cités ailleurs en Europe pour justifier les interdictions. Ceci malgré les pressions politiques exercées sur la police par la ministre de l'Intérieur britannique pour qu'elle utilise « toute la force de la loi » dans le contexte de manifestations propalestiniennes, et une déclaration du ministre britannique des Affaires étrangères appelant les manifestants propalestiniens à rester chez eux. Ces déclarations, ainsi que la récente législation restreignant le droit d’assemblée, risquent d’avoir un effet dissuasif sur le droit de manifester et la liberté d’expression.
Le 13 octobre, un enseignant a été poignardé à mort dans une école en France. Les autorités affirment que le tueur présumé, un ancien élève, avait prêté allégeance à l'État islamique avant l'attaque. Le ministre français de l'Intérieur a indiqué penser qu’il existait un lien entre l'attaque et les événements en Israël et à Gaza, sans le préciser. Une attaque en Belgique le 16 octobre qui a entraîné la mort de deux supporters de football suédois ne semble pas avoir de lien avec le conflit.
Le ministre français de l’Intérieur a invoqué l’attaque au couteau dans l’école pour justifier le durcissement d'un projet de loi sur l'immigration déjà controversé, reporté en avril dernier, pour faciliter l’expulsion des ressortissants étrangers soupçonnés d’avoir des liens avec une « idéologie radicale ». Le ministre allemand de l’Intérieur a demandé l’expulsion des personnes exprimant leur soutien au Hamas.
Le ministre britannique de l'Immigration a demandé la révocation des visas des personnes qui propagent « la haine et la division », « incitent à l'antisémitisme » ou soutiennent des organisations interdites, parmi lesquelles le Hamas au Royaume-Uni et dans l'Union européenne. Il a déclaré que ce processus avait déjà commencé. Ces approches politiques et le contexte de leur introduction créent un risque de discrimination à l'encontre des personnes migrantes et des demandeurs d'asile musulmans et arabes, selon Human Rights Watch.
Les États ont l’obligation, en vertu du droit international des droits humains, de protéger le droit à la vie et à la sécurité de toute personne dans leur pays sans discrimination. Cela inclut la protection des personnes contre la violence haineuse antisémite et islamophobe. Les gouvernements devraient collecter des données ventilées sur la race et l’origine ethnique pour leur permettre de réagir plus efficacement aux formes structurelles et autres de racisme et de discrimination, selon Human Rights Watch.
Les autorités devraient veiller à exercer leurs fonctions de maintien de l’ordre et de sécurité sans discrimination et à protéger les droits de chacun. Mais la nécessité de lutter contre la violence fondée sur la haine et de protéger les personnes ne devrait jamais être utilisée pour justifier une discrimination étatique ni des mesures d'immigration abusives.
Pour protéger les droits à la liberté d’assemblée et d’expression, les autorités devraient éviter les restrictions aux manifestations à moins qu’elles ne soient absolument nécessaires et, si elles sont imposées, elles devraient être strictement proportionnées, sur la base d’une évaluation au cas par cas. L’interdiction des manifestations devrait être un dernier recours. Criminaliser ou interdire des symboles palestiniens généraux est une réponse discriminatoire et disproportionnée, constituant une ingérence injustifiée dans la liberté d'expression, a déclaré Human Rights Watch.
« Le droit de manifester et d’exprimer des critiques à l’égard des gouvernements est la pierre angulaire d’une société démocratique et un moyen important pour les citoyens de demander des comptes à leurs gouvernements, notamment en matière de politique étrangère », a conclu Benjamin Ward. « Interdire les manifestations pacifiques prive les citoyens de leurs droits démocratiques fondamentaux. »