(Tunis) – La Tunisie a encore connu une régression en termes de droits humains et d’état de droit au cours de l’année 2023, en l’absence de réels contrepouvoirs face au pouvoir du président Kais Saied, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans son Rapport mondial 2024. Le gouvernement a pris de nouvelles mesures pour étouffer la libre expression, poursuivre des dissidents et réprimer des migrants et demandeurs d’asile.
« Au cours de l’année écoulée, le président Saied a fait emprisonner des dizaines de ses opposants et détracteurs, alimenté le racisme et la xénophobie à l’encontre des migrants et réfugiés noirs et menacé les activités de la société civile », a déclaré Salsabil Chellali, directrice pour la Tunisie à Human Rights Watch. « L’emprisonnement de dissidents et l’assujettissement de la justice sont plus poussés aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été depuis la révolution de 2011. »
Dans son Rapport mondial 2024, sa 34e édition qui compte 740 pages, Human Rights Watch analyse les pratiques en matière de droits humains dans plus de 100 pays. Dans son essai introductif, la directrice exécutive Tirana Hassan affirme que 2023 a été une année lourde de conséquences, non seulement à cause de la répression des droits humains et des atrocités liées aux conflits armés, mais aussi en raison de l’indignation sélective et de la diplomatie transactionnelle. Ces pratiques gouvernementales, indique-t-elle, ont profondément porté atteinte aux droits de tous ceux restés en marge de « deals » inavoués. Une voie différente et porteuse d’espoir est possible, affirme-t-elle cependant, appelant les gouvernements à rester cohérents en respectant leurs obligations en matière de droits humains.
À partir de février, les autorités tunisiennes ont multiplié les arrestations et les poursuites judiciaires politiquement motivées à l’encontre de figures de l’opposition de diverses tendances politiques, d’avocats, d’activistes et de journalistes. Au moins une quarantaine d’opposants ou d’individus jugés critiques envers les autorités étaient derrière les barreaux au mois de décembre, la plupart inculpés de « conspiration contre la sécurité de l’État » ou d’accusations douteuses liées au terrorisme, souvent pour la simple raison qu’ils se sont exprimés ou ont milité pacifiquement.
Les autorités tunisiennes ont continué de porter atteinte à l’indépendance judiciaire en ciblant des avocats parce qu’ils défendaient leurs clients ou exprimaient leur opinion, et en ignorant une décision judiciaire de 2022 qui ordonnait de réintégrer des juges arbitrairement limogés par le président Saied. Au moins 27 avocats étaient poursuivis devant la justice civile ou militaire au mois de septembre.
Les autorités se sont également servies d’un récent décret-loi sur la cybercriminalité, qui inflige de lourdes peines de prison pour la diffusion de « fausses nouvelles » et de « rumeurs » sur Internet, pour, de façon arbitraire, placer en détention, poursuivre ou enquêter sur au moins 21 personnes pour des délits d’expression ; dans un cas, la personne est poursuivie devant la justice militaire.
Après des déclarations publiques de Saied en février, qui mettaient en relation les migrants africains noirs sans papiers, la criminalité ainsi qu’une supposée conspiration visant à changer la composition démographique du pays, les étrangers africains noirs ont subi un déferlement d’agressions par des citoyens tunisiens.
Tout au long de l’année, la police, l’armée et la garde nationale tunisiennes, y compris les garde-côtes, ont commis de graves abus à l’encontre de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile africains noirs, notamment des passages à tabac, l’usage d’une force excessive, quelques cas de torture, des arrestations et détentions arbitraires, des expulsions collectives vers des régions frontalières dangereuses et des actions en mer périlleuses lors d’interceptions d’embarcations. D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, rien qu’en juillet et août, quelque 2 000 migrants et demandeurs d’asile, y compris des femmes et des enfants, ont été expulsés aux frontières tunisiennes avec la Libye et l’Algérie.
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