Depuis des décennies, l'Europe et les États-Unis abordent l'Asie centrale de la même manière : la géopolitique d'abord, le respect des droits humains ensuite – voire jamais. La réunion du président Joe Biden avec ses cinq homologues de la région cette semaine semble s'inscrire dans la même logique.
Depuis l'invasion de l’Ukraine en février 2022, marquée par les atrocités des forces russes, l'Occident s’efforce de consolider ses relations dans la région. Les dirigeants ont exhorté les gouvernements d'Asie centrale de contrer les efforts déployés par Moscou pour utiliser les routes commerciales traversant leurs pays afin d'échapper aux sanctions.
Les dirigeants de ces pays, ayant longtemps vécu sous le joug russe et soviétique, entendent aujourd’hui les discours impérialistes de Poutine et assistent aux invasions militaires de leurs voisins. Il est de leur propre intérêt de renforcer leurs liens avec d’autres puissances étrangères.
Mais tout partenariat visant à assurer une véritable sécurité dans la région doit dépasser les vieux clichés. L'Asie centrale ne se résume pas à son « importance stratégique » ou à sa « richesse en ressources », toujours « au carrefour » de quelque chose que le monde extérieur veut.
Le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan ne sont pas simplement des alliés géopolitiques potentiels ou des sources de matières premières. Ils représentent, avant tout, leurs peuples.
Et les habitants de ces cinq pays sont depuis longtemps confrontés à de graves violations des droits humains.
Au Kazakhstan, les manifestations de janvier 2022 ont été réprimées par l’usage de la force létale, des arrestations injustifiées et des actes de torture. Le gouvernement doit encore mener une enquête et tenir pour responsables ceux qui ont commis ces crimes.
Le Kirghizstan représentait autrefois le plus grand espoir de la région, avec une société civile et des médias dynamiques. Toutefois, les autorités ont récemment entrepris de réprimer les deux.
Le gouvernement du Tadjikistan réprime violemment les rassemblements pacifiques, utilise des accusations forgées de toutes pièces contre les défenseurs des droits humains et les journalistes, et a dissous de nombreux groupes de la société civile.
Le Turkménistan est tout simplement l'un des pays les plus fermés et les plus répressifs au monde.
En Ouzbékistan, un programme de réformes attendu depuis longtemps a apparemment été mis de côté, et le pays avance à reculons. Les restrictions imposées aux médias et les poursuites de journalistes pour des motifs politiques se sont multipliées. La réaction brutale des autorités face aux manifestations de juillet 2022 n’a été suivie d’aucune réponse.
Toutes ces questions auraient dû être au premier plan, ou au moins mentionnées, lors du « sommet 5+1 » des dirigeants régionaux avec M. Biden mardi. Il s'agissait de la toute première rencontre entre un président américain et les cinq présidents d'Asie centrale, et il aurait été souhaitable de donner un rôle plus important aux droits humains dans la région. Il n’aurait pas non plus été déplaisant que les cinq présidents évoquent les violations commises aux États-Unis.
Finalement, il n'y a pas vraiment de quoi se réjouir. Le communiqué officiel de la Maison Blanche mentionne une « nouvelle initiative sur les droits des personnes handicapées », mais les détails sont vagues. (Nous nous penchons sur la question, affaire à suivre).
Ce n’est peut-être pas exact de dire que 5 + 1 = 0, mais presque.
Il est certain que les gouvernements d'Asie centrale sont des alliés difficiles, mais ils devraient être en mesure d'aborder des questions difficiles, ensemble. Et si les États-Unis et d'autres pays sont réellement intéressés par la coopération en matière de sécurité dans la région, ils devraient penser davantage à ses habitants.
Une stabilité à long terme est impossible lorsque les droits et les aspirations légitimes de tant de citoyens sont bafoués.