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RD Congo : Des fosses communes attribuées au M23, soutenu par le Rwanda

Les preuves de crimes de guerre manifestes commis à Kishishe devraient être préservées

Deux hommes indiquent l’emplacement d’une fosse commune parmi des bananiers près de l’église adventiste, le 5 avril 2023. Plusieurs personnes ont été exécutées à proximité de l’église par le M23 en novembre 2022 à Kishishe, dans l’est de la République démocratique du Congo. © 2023 AFP/Alexis Huguet

(Nairobi) – Le groupe rebelle M23 soutenu par le Rwanda serait responsable de fosses communes contenant des dizaines de corps retrouvées dans le village de Kishishe, dans la province du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les corps seraient ceux de villageois et de miliciens capturés que les combattants du M23 ont exécutés entre novembre 2022 et le départ du groupe armé de Kishishe en avril 2023.

Le gouvernement congolais devrait demander l’appui des Nations Unies, de l'Union africaine (UA) et des gouvernements partenaires pour procéder à des exhumations de manière appropriée, restituer les corps aux familles et exiger que les responsables de ces crimes rendent des comptes. Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait ajouter les dirigeants du M23, ainsi que les responsables rwandais qui soutiennent le groupe, à sa liste de sanctions existante.

« La RD Congo, les Nations Unies, et l’Union africaine devraient aborder la question des preuves de plus en plus nombreuses selon lesquelles le M23 a commis de nombreux meurtres dans le village de Kishishe », a affirmé Clémentine de Montjoye, chercheuse au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. « Il est urgent de rassembler correctement les preuves, d'enquêter de manière impartiale et d'informer les familles sur le sort de leurs proches. »

Un garçon ramasse des douilles de mortier dans les ruines d’un établissement scolaire utilisé comme base militaire et prétendument détruit par les combattants du M23 à Kishishe, au Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, le 5 avril 2023. © 2023 AFP/Alexis Huguet

Human Rights Watch a documenté les atrocités du M23 à Kishishe en s’appuyant sur des témoignages ainsi que sur l’analyse d’images satellite, de photographies et de vidéos. Outre les exécutions, les combattants du M23 ont incendié au moins une maison contenant des corps, utilisé trois écoles comme bases, dont une qui a été détruite, et ont privé les élèves d'un accès à l'éducation en toute sécurité.

Les autorités congolaises, ainsi que Human Rights Watch, Amnesty International, et la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) ont enquêté sur les événements à Kishishe, mais une enquête internationale plus approfondie est nécessaire après le retrait des forces du M23.

Human Rights Watch a rapporté en février que, le 29 novembre, les rebelles du M23 ont sommairement tué au moins 22 civils à Kishishe à la suite de combats avec des factions des groupes Maï-Maï Mazembe, Nyatura et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). À l'époque, des informations crédibles recueillies par Human Rights Watch indiquaient que le M23 avait tué au moins 10 autres civils en recherchant des miliciens. D'autres rapports de l'ONU, ainsi que d’autres organisations, ont conclu que les combattants du M23 pourraient avoir illégalement tué de nombreuses autres personnes, y compris des combattants capturés.

En avril et en mai, après le retrait du M23 de Kishishe, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 21 personnes, dont certaines ont déclaré avoir été témoins d'exécutions ou avoir été forcées par le M23 à enterrer des corps. D'autres ont volontairement enterré des corps après que le M23 ait quitté la zone. Les personnes interviewées ont fourni des informations sur 14 fosses communes, bien que celles-ci ne semblent représenter qu'une fraction du nombre total de sites d'inhumation. Toutes les personnes interviewées pensaient que le M23, qui contrôlait Kishishe entre fin novembre et début avril, avait exécuté la grande majorité des victimes.

© 2023 Planet Labs PBC

Les habitants de Kishishe qui ont été témoins d'exécutions ou qui ont enterré des corps ont déclaré que des fosses communes contenant jusqu'à 20 corps avaient été creusées après l'occupation de Kishishe par le M23. Après le retrait du M23, d'autres tombes ont été découvertes. Les habitants ont dit avoir creusé de nouvelles tombes pour enterrer les corps qu'ils ont découverts. Ils ont expliqué que certains des morts n'avaient pas été identifiés au moment de l'inhumation car ils avaient probablement été déplacés depuis d'autres localités de la zone.

Des témoignages indiquent que les combattants du M23 ont tué de nombreux civils et capturé des membres de milices après la fin des combats en novembre, et après qu'ils se sont emparés du village. Un homme capturé par le M23 a décrit la série de meurtres commis par les combattants :

J'ai vu quatre cadavres de voisins à côté de ma maison. … Un peu plus loin dans le village, ils ont tué un homme de la tribu Shi et ont recouvert son corps avec une couverture pour le cacher. À côté, quand nous sommes arrivés au marché, j'ai vu un voisin ainsi que sa femme et son fils. Ils ont tué les deux hommes et laissé la femme. Ils ont continué et ont trouvé une maison avec trois hommes cachés à l'intérieur. Ils les ont tués avec leurs houes. Ensuite, nous sommes arrivés à l'église [adventiste], ils ont fait sortir tout le monde et les ont exécutés. Il y avait peut-être une vingtaine de personnes tuées.

D'autres habitants et témoins ont corroboré la présence d'une fosse commune près de l'église adventiste susceptible de contenir entre 15 et 20 corps. Des images satellite de décembre montrent des zones de sol nu à cet endroit.

Une femme montre l’emplacement d’une fosse commune entourée de bananiers, où environ cinq hommes et garçons auraient été exécutés par le M23 en novembre 2022 à Kishishe, dans l’est de la République démocratique du Congo. © 2023 AFP/Alexis Huguet

Une proche d'une victime a déclaré que des combattants du M23 sont venus chez elle et ont emmené son oncle : « Ils l'ont abattu et ont jeté son corps dans un ravin. Nous l'avons enterré nous-mêmes. » 

Un habitant qui était trop malade pour fuir a déclaré qu'après les tueries de novembre, des combattants du M23 sont venus chez lui et lui ont dit de rassembler des bêches et des houes. « Ils m'ont dit qu'il y avait des morts à enterrer. … [A]vec neuf autres hommes, nous avons creusé une fosse dans laquelle nous avons enterré 15 personnes », a-t-il expliqué.  « Le lendemain, nous avons creusé d'autres tombes et enterré 17 autres personnes [dans différentes tombes]. Ils nous ont dit qu'ils étaient morts au combat mais ce n'est pas vrai. Ils sont tous morts de blessures par balle. Trois avaient reçu une balle dans la bouche. Les autres dans la poitrine et certains avaient les genoux brisés. »

Un homme se tient à l’extérieur d’une école, à côté d’un trou creusé dans le sol par les combattants du M23 pour y détenir des prisonniers, à Kishishe, au Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, le 5 avril 2023. © 2023 AFP/Alexis Huguet

Un homme de 22 ans a déclaré qu'après la capture de Kishishe par le M23, il a été enrôlé de force par le groupe qui lui a dit qu'ils allaient combattre les FDLR. « Nous n'avons pas trouvé de FDLR mais plutôt des agriculteurs qui travaillaient dans leurs champs. Tous ceux qu'ils ont trouvés sur leur chemin, ils les ont tués en disant qu'ils étaient des FDLR. » Quand il est retourné à Kishishe, il a trouvé les corps de son père et de son petit frère : « Ils ont dit "Regardez ces Maï-Maï que nous avons tués". J'ai dû faire semblant de ne pas les connaître pour ne pas qu'ils m'accusent d'être le fils d'un Maï-Maï et me tuent aussi. » Il a expliqué que lui et d'autres habitants ont enterré son père et son frère avec trois autres corps non identifiés dans une fosse.

Les fosses ont été creusées près des positions du M23, d’une église, où des personnes ont pu tenter de chercher refuge, d’un poste de police, ou alors dans des parcelles appartenant à des habitants. Des corps ont été retrouvés dans des latrines. « Ce n'est qu'après le départ du M23 que nous avons découvert beaucoup plus de restes humains [et de fosses] », a déclaré un habitant. « Nous pensons que certains ont été détenus et exécutés [quand le M23 a quitté Kishishe]. » Cet habitant a ajouté que d'autres corps avaient été retrouvés le 28 mars de l'autre côté de la rivière Nyabihanda, à un endroit appelé « Matodi » par les habitants. « Il y avait 31 crânes dans un trou que le M23 avait lui-même creusé…. Le trou était juste à côté de leur position sur la colline. » Des images satellite montrent une position militaire faite de tranchées et d’abris sur la colline de l'autre côté de la rivière, au sud de Kishishe.

En avant-plan, des amas de terre sont visibles sur le site où se trouvait une maison incendiée à Kishishe, au Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. © 2023 Privé

Les habitants ont également déclaré que plusieurs maisons avaient été incendiées, dont au moins une avec des corps à l'intérieur. « Il y avait des [corps de] femmes, d’hommes et d’enfants mais je ne connais pas les chiffres exacts », a déclaré un témoin, qui a indiqué que les rebelles l'avaient capturé et lui avaient attaché les mains.  « Les combattants ont incendié la maison en versant de l'essence dessus et en y mettant le feu. J'étais avec eux. Je l'ai vu. » Human Rights Watch a identifié la maison à l'aide d'images satellite.

Dans une déclaration du 3 décembre, le M23 a rejeté les allégations de meurtres et a soutenu que huit civils avaient été tués par des « balles perdues » lors des combats à Kishishe. Le 6 juin, le porte-parole du M23 a déclaré à Human Rights Watch que le groupe armé niait les allégations selon lesquelles il aurait commis des exécutions, incendié des maisons ou occupé des écoles.

Le conflit armé dans l'est de la RD Congo est régi par le droit international humanitaire, aussi appelé le droit de la guerre, notamment l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier, qui interdisent les exécutions sommaires, le pillage, le recrutement forcé et d'autres abus. Les violations graves du droit de la guerre commises avec une intention criminelle – délibérément ou par imprudence – constituent des crimes de guerre. Les commandants peuvent être tenus pénalement responsables pour les crimes de guerre commis par leurs forces s'ils avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de ces crimes et n’ont pas agi pour les prévenir ou en punir les responsables. Des responsables rwandais sont susceptibles d’être complices de crimes de guerre du fait de leur assistance militaire aux forces du M23.

Les autorités congolaises, avec l'aide de partenaires internationaux, devraient garantir une enquête rapide et impartiale sur les meurtres et autres crimes commis à Kishishe depuis novembre 2022. Tous les responsables devraient être poursuivis équitablement, y compris en matière de responsabilité de commandement. Les conclusions des enquêtes devraient être rendues publiques.

Le gouvernement congolais devrait inviter des experts médico-légaux internationaux indépendants ou de l'ONU, notamment ceux ayant une expérience de travail devant les tribunaux pénaux, afin d’aider à préserver et à analyser les preuves dans les tombes et fosses communes. Des exhumations menées en l’absence d’experts médico-légaux risqueraient de détruire des preuves essentielles et de compromettre considérablement l'identification des corps. Les dépouilles des personnes retrouvées enterrées dans des tombes ou laissées sans sépulture devraient être restituées à leurs familles, a déclaré Human Rights Watch.

« Les autorités congolaises devraient autoriser la tenue d’une enquête indépendante avec la participation des Nations Unies sur l'occupation de Kishishe par le M23, et rendre ses conclusions publiques », a conclu Clémentine de Montjoye. « Des sanctions internationales devraient être rapidement imposées aux personnes impliquées dans les abus, y compris les commandants rwandais soutenant le M23. »

Le 14 juin, le porte-parole du M23 a envoyé à Human Rights Watch une déclaration, datée du 10 juin, niant que les forces du groupe armé avaient commis les abus documentés dans ce rapport.

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