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Ouzbékistan : Exactions policières contre des manifestants dans une région autonome

Les forces de sécurité ont recouru à une force excessive et parfois létale au Karakalpakstan

Les forces de sécurité ouzbèkes ont tiré des grenades sur des manifestants à Kanlykul, dans la région autonome du Karakalpakstan, les 1er et 2 juillet 2022, tuant de nombreuses personnes et en blessant d’autres. © 2022 BaseKZ

(Berlin, le 7 novembre 2022) – Les forces de sécurité ouzbèkes ont fait un usage injustifié de la force létale pour disperser des manifestants pour la plupart pacifiques dans la région autonome du Karakalpakstan en Ouzbékistan les 1er et 2 juillet 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; leur réponse aux manifestations a aussi été excessive d’autres manières.

Les forces de sécurité ont utilisé de manière inappropriée des armes légères et divers types de grenades ; ces armes sont susceptibles de causer des blessures graves et la mort, lorsqu'elles sont utilisées de manière imprudente. Au moins 21 personnes sont mortes, dont quatre agents des forces de l'ordre, et plus de 270 ont été blessées lors des manifestations. L'Ouzbékistan devrait ouvrir une enquête indépendante sur ces événements, y compris sur la conduite des forces de sécurité. Le gouvernement devrait également revoir d'urgence l'utilisation de certaines catégories de grenades utilisées par les forces de l'ordre ouzbèkes, lors de tentatives de contrôle des foules.

« En juillet dernier au Karakalpakstan, de nombreuses personnes ont été tuées et des centaines blessées, de manière horrible dans certains cas », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « L'Ouzbékistan a vis-à-vis des victimes l’obligation d'enquêter rigoureusement sur ces incidents, et de sanctionner les individus responsables de violations graves. »

Le 15 juillet, le parlement ouzbek a créé une commission chargée d'enquêter sur les événements survenus au Karakalpakstan au début de ce mois. La commission est dirigée par la médiatrice ouzbèke des droits humains, Feruza Eshmatova ; parmi ses 14 membres figurent des fonctionnaires, des sénateurs, des représentants de la société civile et divers experts. Toutefois, cette commission n'a toujours pas publié de rapport final, ni indiqué quand elle prévoyait de le faire.

Human Rights Watch a vérifié 55 vidéos des manifestations et a analysé 31 autres vidéos, ainsi que 30 photographies de manifestants morts et blessés, et d'armes utilisées lors des événements survenus à Noukous, la capitale régionale du Karakalpakstan, et dans ses environs ; ces vidéos et photos ont été prises par des participants ou des témoins, et téléchargées sur des plateformes de médias sociaux entre le 1er juillet et le 1er août.

S’appuyant sur une analyse indépendante des preuves visuelles par un expert médical, Human Rights Watch a identifié sept cas dans lesquels des personnes ont subi des lésions tissulaires graves qui semblaient correspondre à un traumatisme causé par des explosifs, et ayant probablement entrainé la mort.

Human Rights Watch a vérifié deux vidéos filmées près de l'hôtel Tachkent à Noukous et mises en ligne sur Twitter le 1er août, qui montrent des manifestants avec des blessures graves, telles que des lacérations cutanées et des blessures béantes à la chair, correspondant à des dommages causés par des explosifs par l'utilisation de divers types de grenades. Ces grenades de divers types – grenades « flash/bang » (« éclair/son »), grenades à concussion ou grenades assourdissantes – sont lancées à la main ou projetées par des lanceurs. Plusieurs grenades ont explosé à proximité de la foule et dans certains cas, lorsqu'elles ont touché des manifestants.

Human Rights Watch a identifié deux autres incidents, à Kanlykul, à 65 kilomètres au nord-ouest de Noukous, et près du monument honorant le poète Karakalpak Berdakh, dans le centre de Noukous. Des manifestants ont subi un traumatisme explosif lorsque les forces de sécurité ont utilisé des grenades « flash/bang » et des charges sonores pour les disperser.

En outre, Human Rights Watch a aussi identifié deux types de grenades plus lourdes, dont certaines sont fabriquées par la compagnie bulgare Arsenal AD, qui utilisées contre des manifestants et pouvant causer des blessures graves ou la mort. Ces grenades pèsent chacune entre 250 et 280 grammes chacune, alors que le poids d’une grenade usuelle est compris entre 25 et 50 grammes. La combinaison de la vitesse et de la masse signifie que ces grenades peuvent porter des coups très destructeurs et potentiellement mortels si elles frappent directement les manifestants à des distances relativement courtes. Human Rights Watch a recueilli des preuves indiquant qu'au moins un manifestant aurait été tué par l'une de ces grenades plus lourdes.

Human Rights Watch a également analysé une vidéo montrant un manifestant qui semble très probablement avoir été blessé par une balle.

L'Ouzbékistan a l'obligation de respecter les droits d'expression et de réunion pacifique, notamment en veillant à ce que ses forces de sécurité soient formées et équipées pour surveiller les manifestations tout en respectant ces droits. L'utilisation inappropriée d'armes légères et de grenades viole plusieurs obligations internationales de l'Ouzbékistan en matière de droits humains.

Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois stipulent que les forces de sécurité doivent recourir «  autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d'armes à feu », et que le cas échéant, elles doivent « limiter l'emploi de la force au minimum nécessaire ». L'utilisation intentionnelle et létale d'armes à feu n'est autorisée que lorsqu'elle est « absolument inévitable pour protéger des vies humaines ».

Les autorités ouzbèkes devraient revoir d’urgence la manière dont les forces de sécurité utilisent les grenades lancées à la main ou projetées dans le cadre de troubles civils ou de contrôle des foules, afin de minimiser les pertes de vie à l’avenir. L'Ouzbékistan devrait à terme retirer ces grenades de l'arsenal de la police ouzbèke, pour éviter que de tels décès et blessures graves ne se produisent lors de futures manifestations.

Le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Union européenne ont appelé à une enquête indépendante sur les événements dans la région. Le 5 juillet, Michelle Bachelet, qui était alors la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, a appelé à une « enquête rapide, indépendante et transparente ».

La création par les autorités d’une commission d’enquête au sein du Bureau du Médiateur, et comprenant des représentants de la société civile, était une mesure importante. Mais on ne dispose d’aucune information sur son enquête au sujet des personnes tuées ou blessées, ou sur les agissements des forces de sécurité, y compris les armes qu'elles ont utilisées. Ces questions sont pourtant au cœur de ce qui devrait être une enquête indépendante visant à établir les responsabilités pour les violations commises.

Les autorités ouzbèkes devraient également enquêter sur toute information faisant état de torture et de mauvais traitements infligés à des détenus à la suite des manifestations, et traduire les responsables en justice.

Les partenaires internationaux de l'Ouzbékistan devraient renforcer l'appel à une enquête indépendante sur les violations des droits humains commises au Karakalpakstan, et faire pression sur le gouvernement pour qu'il réexamine l'utilisation de grenades déployées dans le cadre du contrôle des foules. Les partenaires de l'Ouzbékistan, en particulier l'UE et les États-Unis, devraient calibrer leurs relations avec l'Ouzbékistan sur la base de progrès mesurables sur ces questions.

Communiqué complet (plus détaillé) en anglais : en ligne ici.

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