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RD Congo : Toujours pas d’enquête sur le rôle de la police dans les tueries de Buhene

Un an après les violences de Buhene, l’absence de justice perdure

Des policiers ont été impliqués dans les exécutions extrajudiciaires de (de gauche à droite) Sylvie Mapera, Carine Kavugho et Moise Mbusa à Buhene, Nord Kivu, République démocratique du Congo, le 12 avril 2021. © Privé

(Goma) – Les autorités de la République démocratique du Congo n’ont pas enquêté de manière significative sur le rôle des forces de sécurité dans le meurtre d’au moins huit personnes lors de violences ethniques en périphérie de Goma en avril 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les commandants et les agents de police impliqués dans au moins trois exécutions extrajudiciaires et d’autres meurtres devraient être suspendus, faire l’objet d’enquêtes approfondies et être poursuivis de manière appropriée. Les 11 et 12 avril 2021, des hommes de la communauté Kumu, par la suite rejoints par la police locale et la police militaire, ont fait une descente dans le district de Buhene dans la province du Nord-Kivu dans l’est de la RD Congo, tuant au moins huit Nande, faisant des dizaines de blessés et pillant des maisons et des commerces appartenant à la communauté Nande. Sept femmes et 10 enfants figuraient parmi les blessés.

« Le fait que, depuis plus d’un an, les autorités n’aient toujours pas mené d’enquête sur des preuves solides d’homicides illégaux commis par la police à Buhene met en évidence le problème plus large de l’impunité en RD Congo », a expliqué Thomas Fessy, chercheur principal pour la RD Congo à Human Rights Watch. « Les familles des victimes ont droit à la justice, mais le gouvernement ne semble pas abonder dans ce sens ».

Human Rights Watch a interrogé 56 personnes au cours de l’année écoulée à Goma et à Buhene, dont des victimes et des témoins, des activistes locaux, des leaders politiques et traditionnels, des agents de police, des membres du parlement, des sources judiciaires et médicales ainsi que des journalistes.

Les tueries ont eu lieu à la suite de grèves générales et de manifestations dans le Nord-Kivu, dont une grève générale de quatre jours menée par les magasins et les marchés, connue sous le nom de journées villes mortes. Au cours de cette grève, des personnes ont défilé pour la paix et pour un renforcement de la protection des civils, en particulier à Beni, une zone à majorité Nande qui a été la plus durement touchée par les violences récentes. Entre le 8 et le 11 avril, les forces de sécurité ont tué au moins cinq personnes, dont deux enfants, en dispersant des manifestations dans la province, a déterminé Human Rights Watch.

Des tensions ethniques ont été déclenchées le dernier soir des manifestations, le 11 avril, après que deux hommes Kumu ont été tués à Buhene. Des membres de la communauté Kumu ont immédiatement accusé les habitants Nande de ces meurtres, qui n’ont apparemment jamais fait l’objet d’enquêtes. Plusieurs témoins ont raconté que des hommes Kumu ont commencé à ériger des barricades dans les rues la même nuit, en criant « Demain sera la fin des Nande ! ».

Les tensions se sont intensifiées pendant la nuit lorsque des policiers en uniforme munis de fusils d’assaut se sont joints à des dizaines de Kumu armés de bâtons en bois et de machettes, qui attaquaient les habitants Nande, leurs maisons et commerces. Les attaques se sont poursuivies dans la matinée du 12 avril. Les autorités provinciales ont finalement envoyé des forces de sécurité de Goma pour réprimer les violences.

Human Rights Watch a confirmé qu’au moins huit civils Nande ont été tués les 11 et 12 avril, tandis que 40 autres personnes, principalement Nande, ont été blessées pendant l’attaque, dont plus de 20 par balle. Au moins 40 maisons et commerces appartenant à des Nande ont été incendiés et des dizaines d’autres ont été saccagés et pillés.

Plusieurs témoins ont raconté que les assaillants demandaient aux habitants s’ils étaient Nande. « Un groupe de bandits et deux policiers nous ont poursuivis, moi et une autre personne », a décrit un élève Nande de 18 ans qui a reçu une balle dans la jambe. « Lorsqu’ils nous ont rattrapés, ils ont demandé [à l’autre personne] s’il était Nande. Il a dit oui et [un des policiers] lui a tiré une balle dans la tête – il est mort sur place. » L’étudiant, qui portait un uniforme scolaire ce matin-là, a déclaré qu’il a été épargné parce qu’il parlait kinyarwanda, la langue des assaillants.

Les assaillants Kumu étaient généralement dispersés en petits groupes auxquels se joignaient un ou deux policiers armés. Plusieurs témoins ont affirmé avoir reconnu leurs voisins et des membres de la police locale –aussi majoritairement Kumu – parmi les assaillants.

Après ces attaques, les forces de sécurité ont arrêté une trentaine de jeunes Kumu et Nande, accusés d’avoir participé aux violences. Tous ont finalement été libérés sans inculpation. Bien que les victimes et les témoins aient identifié certains policiers parmi les attaquants, aucun n’a été arrêté, suspendu ni fait l’objet d’une enquête par la suite.

Le 15 avril, l’assemblée provinciale du Nord-Kivu a mis en place une commission pour enquêter sur les violences et les tueries. Cependant, cette commission n’avait mené aucune enquête avant que le président Félix Tshisekedi ne proclame l’état de siège dans la province le 6 mai, remettant les pouvoirs à l’armée et suspendant tout travail parlementaire provincial.

Entre le 18 et le 25 avril, des députés nationaux ont pris part à une commission d’information à Goma et à Buhene pour « se renseigner sur la situation très tendue ». Le rapport de la commission, qui n’a pas été rendu public mais que Human Rights Watch a pu consulter, soulevait « l’implication de certains éléments de la police dans l’incendie des maisons et le pillage des biens ». Il recommandait également la mise en place « rapide » par le l’assemblée nationale d’une commission d’enquête « en vue de dénicher les indices sérieux de complicité et autres méfaits à sanctionner sévèrement par la justice ». Cependant, le parlement n’a jamais donné suite.

Un membre du parlement du Nord-Kivu a indiqué à Human Rights Watch que depuis l’entrée en vigueur de l’état de siège en mai, les nouvelles autorités « [n’ont] manifesté aucun intérêt pour enquêter » sur ces événements.

Human Rights Watch a écrit au ministère de l'Information pour présenter ses conclusions mais n'a pas reçu de réponse.

Les autorités congolaises, au-delà de la chaîne de commandement de la police locale, devraient rapidement mener une enquête approfondie et impartiale sur les causes des violences, le rôle de la police et de toute personne responsable d’abus, indépendamment de leur fonction ou de leur rang, a déclaré Human Rights Watch.

« Les allégations d’exécutions sommaires et d’autres abus commis par les forces de police de Buhene devraient faire l’objet d’une enquête exhaustive et impartiale », a déclaré Thomas Fessy. « Il ne devrait pas y avoir de place pour les auteurs d’abus et de meurtres au sein des forces de sécurité congolaises, et l’état de siège ne devrait pas servir de prétexte pour priver les victimes et leurs familles de justice. »

Pour un compte rendu détaillé des événements qui ont eu lieu en avril 2021, veuillez lire la suite ci-dessous.

Récits de victimes et de témoins

La commune de Buhene est située en périphérie nord de la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma, et a été historiquement peuplée par les Kumu. Au cours de la dernière décennie, des membres de la communauté Nande ont migré pour s’y installer, achetant souvent des terres aux habitants Kumu, et construisant maisons et commerces. Mais face à l’urbanisation croissante, Buhene est en proie aux conflits communautaires liés au pouvoir politique et coutumier, le foncier et à l’identité.

Le 12 avril 2021, lorsque les attaques ont commencé à Buhene, les assaillants ont pris pour cible les habitants Nande, ainsi que leurs propriétés et leurs commerces. Une femme Nande a raconté qu’un groupe de jeunes hommes armés et quatre policiers ont fait irruption dans sa maison vers 8 heures du matin : « Ils sont entrés dans notre maison, ils nous ont tous fait asseoir par terre et ils nous ont ravis nos téléphones. Ils ont menacé de brûler notre maison si je ne leur donne pas de l’argent. Ils avaient des tissus sur lesquels ils imbibaient de l’essence qu’ils transportaient dans un petit bidon. »

Elle a dit qu’ils l’avaient frappée avec un bâton et ont pris son argent et son téléphone. Ils ont ensuite forcé la porte de sa petite boutique, où ils ont volé des boissons en bouteille.

Une autre femme, âgée de 65 ans et voisine, qui a assisté à la scène, a expliqué que les agresseurs et les policiers allaient de porte en porte. La femme a indiqué qu’elle les a vus emmener un enfant. « Il était âgé d’à peu près 12 ans », a-t-elle raconté. « Ils lui ont demandé “Es-tu Nande ?”, mais l’enfant a demandé pardon sans répondre à leur question. Ils ont pris deux petits chevrons et ils ont mis ça de part et d’autre de son cou et l’ont emmené. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé pour cet enfant. » Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer ce qui est arrivé à l’enfant, ni de corroborer ce témoignage.

Un enseignant Nande, âgé de 45 ans, a décrit avoir vu de la fumée sortir de maisons au matin du 12 avril. Il a indiqué qu’avec d’autres personnes, ils avaient essayé d’éteindre un incendie près du rond-point « Beleku », mais que la police les en avait empêchés et a ouvert le feu sur eux, les forçant à fuir. Plus tard dans la journée, il faisait partie d’un groupe d’habitants, dont des femmes accompagnées de jeunes enfants et de bébés, tentant d’échapper aux violences lorsque trois hommes munis de bâtons et de machettes et un policier armé les ont agressés. Les hommes étaient torse nu et portaient des shorts. Le policier était en uniforme et avait une arme.

« Un jeune garçon est venu d’un autre côté », a expliqué l’enseignant. « Il courait… Ils lui ont donné un coup de pied dans les jambes, il est tombé, et ils l’ont tabassé avec leurs bâtons des clous étaient enfoncés. Le policier qui était avec eux n’a rien fait – il était juste assis là et les regardait frapper ce garçon. »

L’enseignant a ajouté que d’autres assaillants les ont rejoints, provoquant la dispersion des personnes dans tous les sens. Mais les assaillants l’ont attrapé et il est tombé au sol :

Il y avait du sang sur ma tête. J’ai vu deux garçons et un policier. Ils m’ont frappé avec leurs chevrons dans lesquels il y avait des clous. J’étais à genoux, je leur demandais pardon et ce que je leur avais fait, mais ils ne m’écoutaient pas. J’essayais de barrer leurs coups avec mes bras qui ont été blessés par les clous, et ma tête aussi était touchée. Puis celui qui avait une machette a commencé à me frapper aussi. [Le policier] était assis sur une pierre assistant à la scène.

L’enseignant a mentionné qu’ils lui ont également demandé s’il était Nande ou Kumu. « Je n’avais même plus la force de répondre tellement j’étais faible », a-t-il raconté. « Ils m’ont demandé ma carte d’identité… Ils l’ont trouvée dans la poche intérieure de ma jaquette. Dès qu’ils ont lu mon nom, ils ont crié : “C’est un Nande !” et m’ont frappé avec beaucoup de violence jusqu’à perdre connaissance. » Plus tard, l’enseignant a été conduit à l’hôpital.

Implication de la police

Plusieurs membres de la police locale et de la police militaire ont pris part aux attaques ou ont encouragé les violences. Certains d’entre eux ont activement participé à des crimes graves et à des atteintes aux droits humains.

« C’était inimaginable de voir des policiers ne rien faire alors que [les assaillants] brûlaient les maisons », a indiqué un habitant. « Ces militaires et ces policiers qui sont censés assurer notre sécurité soutiennent ceux-là qui commettent des crimes. »

Dans la soirée du 11 avril, la tension est montée d’un cran et les habitants Kumu ne cachaient apparemment pas leur intention de s’en prendre aux Nande. Des groupes d’hommes à moto, armés de machettes, de bâtons à clous et d’autres armes se sont rendus à Buhene depuis les environs. Plusieurs personnes interrogées ont affirmé que les forces de sécurité tenant deux postes de contrôle connus sur un tronçon de route menant à Buhene les avaient laissés passer, ce qui fait craindre que les assaillants aient pu recevoir carte blanche pour piller et tuer.

Un agent de police local a déclaré à Human Rights Watch que de nombreux policiers en poste à Buhene n’avaient été que très peu formés et que certains avaient été membres de groupes armés locaux. Selon lui, la majorité des policiers affectés à Buhene étaient de la communauté Kumu.

Le 12 avril, après que les militaires et la Garde Républicaine ont mis fin aux violences, les autorités du Nord-Kivu ont tenu une réunion avec des responsables de la sécurité, des députés provinciaux et d’autres responsables. « Nous avons demandé aux policiers d’expliquer pourquoi des personnes avaient été tuées et comment les pillages et les incendies s’étaient produits alors qu’ils étaient là pour les protéger », a déclaré un député provincial. « Nous leur avons demandé comment ces bandits avaient franchi les barrières [de contrôle] au lieu d’être arrêtés. Ils nous ont répondu qu’ils avaient été débordés. »

Le député a ajouté que les commandants de police ont été « sermonnés » puisqu’ils « n’[avaient] rien fait pour protéger les gens ». Cependant, le gouvernement n’a pris aucune mesure disciplinaire et n’a pas enquêté sur le rôle de la police dans les attaques et les abus. Aucun des policiers n’a été traduit en justice, a-t-il précisé.

Le gouverneur provincial de l’époque, Carly Nzanzu, s’est rendu le 12 avril sur les lieux des violences à Buhene avec un grand nombre de forces de sécurité. Les habitants ont expliqué que les forces déployées lors de sa visite ont porté assistance aux blessés et ont aidé à transporter les cadavres.

Lorsque l’état de siège est entré en vigueur dans le Nord-Kivu au début du mois de mai, le président Félix Tshisekedi a nommé le commandant de police en fonction au moment des attaques, le colonel Jean-Marie Malosa Mboma, administrateur adjoint du territoire de Nyiragongo.

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