(Beyrouth) - Les autorités algériennes ont imposé des interdictions arbitraires de voyager à au moins trois militant·e·s de la diaspora algérienne, ont déclaré aujourd’hui Amnesty International et Human Rights Watch. Une de ces personnes a finalement été autorisée à partir le 5 mai 2022 après avoir été bloquée pendant trois mois, mais les autorités devraient immédiatement lever les interdictions qui pèsent encore sur les deux autres personnes.
Entre janvier et avril 2022, les autorités ont empêché au moins trois personnes ayant les nationalités algérienne et canadienne, et dont une seule a été inculpée, de rentrer chez elles au Canada, et les ont interrogées au sujet de leurs liens avec le Hirak, un mouvement de protestation de masse réclamant des changements sur le plan politique. Lazhar Zouaimia, Hadjira Belkacem et « N », qui a demandé à ne pas être nommé pour des raisons de sécurité, ont déclaré qu’on ne leur avait donné aucune justification juridique pour ces interdictions de voyager, ce qui rend difficile toute contestation auprès des tribunaux. Les interdictions de voyager sont la dernière tactique répressive en date visant des Algérien·ne·s soupçonnés d’avoir critiqué le gouvernement ou participé à des manifestations.
« Il est consternant que les autorités algériennes empêchent des militant·e·s de rentrer dans leur pays de résidence, sans même expliquer le fondement juridique de ce refus ni fournir de justification écrite », a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord d’Amnesty International. « Il faut immédiatement lever toutes les interdictions arbitraires de voyager. »
Le 19 février, puis de nouveau le 9 avril, la police des frontières a empêché Lazhar Zouaimia, 56 ans, membre d’Amnesty International au Canada, qui travaille comme technicien pour une entreprise publique du secteur de l’électricité au Québec, de monter à bord d’un avion à destination de Montréal.
Lors de sa tentative d’avril à l’aéroport Houari Boumediene à Alger, Lazhar Zouaimia était accompagné de deux représentants de l’ambassade du Canada et de son avocat. Un responsable algérien de l’application des lois a pris Lazhar Zouaimia à part et l’a gardé dans un bureau à l’aéroport pendant des heures, avant de le relâcher. Les autorités l’ont également empêché d’embarquer sur un autre vol à destination de Barcelone le même jour.
Après la première tentative de Lazhar Zouaimia de quitter l’Algérie, en février, un tribunal l’a dans un premier temps accusé de terrorisme, puis a plus tard remplacé cette charge par « atteinte à l’intégrité du territoire national », accusation vague largement utilisée dans le but de sanctionner les militant·e·s pacifiques du Hirak. Il a passé cinq semaines en détention avant qu’un tribunal ne prononce sa libération provisoire dans l’attente de son procès.
Un des avocats de Lazhar Zouaimia, Abdel Halim Khairedine, a déclaré qu’un greffier du tribunal de Constantine, devant lequel Lazhar est poursuivi, a informé l’avocat que le tribunal n’avait prononcé aucune interdiction contre son client.
La notification de libération émanant de la Direction générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion, examinée par Amnesty International, n’indique pas qu’il fait l’objet d’une interdiction de circuler prononcée par le tribunal.
Un autre des avocats de Lazhar Zouaimia a déposé une requête auprès du parquet général près la Cour d’Alger le 13 avril afin de vérifier si un autre tribunal avait ordonné qu’il lui soit interdit de voyager ; il n’avait reçu aucune réponse au 29 avril.
Lorsqu’il a essayé de quitter le pays en février, des responsables de l’application des lois en civil l’ont arrêté à l’aéroport de Constantine. Un agent de la police judiciaire à l’aéroport lui a ordonné de lui remettre son téléphone, sans lui montrer de document émanant du procureur. Lazhar Zouaimia a donné son téléphone au policier. L’appareil n’était pas protégé par un mot de passe.
La police l’a ensuite transféré à la caserne militaire de Constantine. Des policiers l’ont questionné sur sa participation, à Montréal, au mouvement de protestation du Hirak, ainsi que sur ses liens présumés avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie et le Rachad, un mouvement politique d’opposition. Les autorités utilisent des accusations liées au terrorisme formulées en termes généraux pour ériger en infraction les activités de ces deux organisations politiques en les qualifiant de « terroristes ».
Le 22 février, un juge du tribunal de Constantine a ordonné le placement en détention provisoire de Lazhar Zouaimia pour apologie et financement d’une organisation terroriste, en vertu de l’article 87 bis du Code pénal. Lazhar Zouaimia a été mis en libération provisoire le 30 mars. Le 6 avril, un magistrat du même tribunal a changé l’accusation en « atteinte à l’intégrité du territoire national », en vertu de l’article 79 du Code pénal. Son procès est prévu pour le 31 mai. Les autorités ne lui ont pas rendu son téléphone.
Lazhar Zouaimia a finalement pu quitter l’Algérie pour retourner au Canada le jeudi 5 mai 2022.
Dans une autre affaire, Hadjira Belkacem, 52 ans, s’est rendue en Algérie le 19 janvier. Le 25 février, la police des frontières de l’aéroport Houari Boumediene l’a empêchée de quitter le pays pour se rendre à Montréal. Hadjira Belkacem a déclaré à Human Rights Watch qu’elle n’a pas participé au Hirak, mais qu’elle est connue comme militante parmi les Algérien·ne·s vivant à Montréal. Des responsables de l’application des lois en civil l’ont soumise à un interrogatoire et détenue pendant plusieurs heures à l’aéroport.
On a ensuite transféré Hadjira Belkacem au siège de la police nationale à Alger afin de la questionner de nouveau. Sur place, les policiers ont posé des questions sur ses liens présumés avec le mouvement de protestation du Hirak et avec Rachad, ainsi que sur l’Association de la sépulture musulmane au Québec, une organisation caritative qu’elle a fondée au Canada. Elle a déclaré à Human Rights Watch qu’on l’a relâchée à 2 h 30 le lendemain matin.
Hadjira Belkacem a engagé un avocat, qui a découvert qu’aucune charge n’était retenue contre elle. Elle a déclaré le 3 mai que l’avocat a contacté le procureur du tribunal de Dar Beida à Alger afin de se renseigner sur l’interdiction de voyager, mais qu’il n’a pas reçu de réponse.
Hadjira Belkacem vit au Canada avec sa famille depuis 16 ans et travaille comme éducatrice dans une crèche.
Le 10 février, la police des frontières de l’aéroport d’Alger a empêché une troisième personne, « N », qui a demandé à ne pas être identifiée, de monter à bord d’un avion. Cet homme a été transféré dans un poste de police d’Alger, où il a été soumis à un interrogatoire dans le bureau de l’unité antiterroriste. On lui a posé des questions sur sa famille, ses relations personnelles et demandé s’il avait levé des fonds pour soutenir le Hirak. La police l’a ensuite relâché sans lui dire s’il y avait des charges retenues contre lui.
Le 24 mars, en réponse à une requête déposée par son avocat, le tribunal de première instance de la ville de Sétif (est du pays) a rendu un avis, examiné par Amnesty International, confirmant qu’aucune interdiction formelle de quitter le territoire national n’avait été prononcée contre lui. « N » attend de recevoir davantage d’informations de son avocat avant de tenter à nouveau de quitter le pays.
Des responsables de l’application des lois en civil l’avaient précédemment arrêté le 28 janvier avec son frère dans une rue de Sétif. Les fonctionnaires ont emmené les deux hommes dans un lieu inconnu, où des membres des services de sécurité l’ont interrogé pendant quelques heures à propos du Hirak, de ses finances personnelles et des raisons pour lesquelles il protestait en faveur de changements politiques en Algérie. Les deux hommes ont été libérés plus tard dans la journée, mais « N » a de nouveau été convoqué pour des interrogatoires au commissariat central de Sétif les 29 et 30 janvier.
« Les autorités algériennes utilisent des interdictions de voyager arbitraires afin de faire pression sur les militant·e·s de la diaspora, au Canada et ailleurs », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Ces mesures injustifiées placent les Algérien·ne·s de la diaspora, revenus en Algérie pour une visite, dans une situation précaire dans laquelle ils ne disposent d’aucun recours juridique clair. »
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