(Beyrouth) – Un blogueur et militant algérien injustement emprisonné a terminé la grève de la faim qu’il avait entamée il y a trois semaines pour protester à la fois contre sa détention et les conditions de celle-ci, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités algériennes devraient immédiatement libérer cet activiste, Merzoug Touati, poursuivi pour avoir critiqué en ligne les conditions de détention d’un prisonnier.
Touati a été placé en détention le 28 décembre 2021 et condamné le 3 janvier 2022 à un an de prison et une amende de 100 000 dinars (700 USD) pour « outrage à corps constitués » et « diffusion de fausses informations » en lien avec une publication sur Facebook. Une cour d’appel a confirmé cette décision le 16 février. Touati fait partie des centaines d’Algériens actuellement détenus pour s’être exprimés pacifiquement.
« Merzoug Touati devrait être auprès des siens et en train d’écrire en ligne, non pas dans une cellule de prison », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités algériennes devraient cesser leur persécution contre Touati, qui dure depuis des années, et le remettre immédiatement en liberté. »
Touati, 34 ans, a fondé et écrit pour le site web politique, elhogra.com – hogra signifiant « mépris » ou « oppression » en arabe algérien. Il a participé activement au mouvement de protestation du Hirak, qui a démarré en 2019 avec des manifestations massives pour réclamer des réformes politiques. Il a également couvert les marches du Hirak pour le site d’information algérien lavantgarde-algerie.com.
La police l’a arrêté le 28 décembre, alors qu’il répondait à une convocation dans la ville de Ghardaïa, dans le sud de l’Algérie, a expliqué à Human Rights Watch son épouse Nfissa Touati. Il a d’abord été détenu à Ghardaïa, puis transféré à la prison de Laghouat le 1er mars.
Touati a commencé une grève de la faim le 29 mars, a-t-elle déclaré, pour dénoncer son emprisonnement arbitraire, les mauvaises conditions de détention et le fait d’être détenu à Laghouat, qui se trouve à 500 kilomètres de sa famille et de ses avocats à Béjaïa.
Merzoug Touati a décrit à sa femme des conditions de détention déplorables, précisant qu’il partageait une petite cellule avec près d’une vingtaine d’autres prisonniers, sans un nombre suffisant de lits.
Nfissa Touati a indiqué que le tribunal avait condamné son mari à cause d’un commentaire publié sur les réseaux sociaux le 24 octobre, dénonçant les conditions de détention d’un prisonnier originaire de Ghardaïa, Mohamed Baba Nadjar. Merzoug Touati s’exprimait souvent sur son cas. En octobre 2021, il avait écrit un article et publié sur sa page Facebook une vidéo dans laquelle il critiquait les autorités pénitentiaires détenant Baba Nadjar loin de sa famille, et appelait à sa libération.
« Aujourd’hui, nous voyons qu’il subit exactement ce qu’il a dénoncé dans sa vidéo », a précédemment commenté son épouse à Human Rights Watch. Lorsqu’elle lui a rendu visite le 6 avril, a-t-elle rapporté, Touati « souffrait de terribles maux de ventre et tenait à peine debout. Il avait perdu beaucoup de poids. Il avait le visage jaunâtre et il était mentalement instable. »
Les membres de la famille de Taouti ont déclaré qu’après cette visite, ils n'avaient reçu aucune information sur son état de santé. Ils ont appris le 18 avril qu'il avait mis fin à sa grève de la faim après avoir été transféré à l'hôpital le 8 avril.
Touati a été transféré à la prison de Bouira le 17 avril, suite à sa demande d’être détenu dans un lieu plus proche son domicile, a indiqué son épouse.
Le 13 mars, dans une affaire judiciaire distincte, un tribunal de première instance de Béjaïa l’a condamné à un an de prison et une amende pour collecte illégale de fonds. D’après sa famille, l’accusation découle des efforts de Touati pour lever de l’argent afin d’aider un activiste local souffrant, qui était dans le besoin. Le procès en appel n’a pas encore été programmé.
Les déboires de Touati avec la justice remontent à 2017, lorsqu’un tribunal l’a reconnu coupable d’incitation à des rassemblements pour des publications en ligne dans lesquelles il appelait à protester publiquement contre une nouvelle loi de finances, ainsi que d’« intelligence avec une nation étrangère afin de porter atteinte à l’Algérie » pour avoir publié une interview qu’il avait menée avec un porte-parole du gouvernement israélien à propos du printemps arabe et des protestations sociales en Algérie.
Sa condamnation originelle de dix ans a été réduite à sept ans par une cour d’appel en juin 2018. Il a été libéré le 4 mars 2019 après une nouvelle réduction de peine à deux ans d’emprisonnement ferme et trois ans avec sursis.
En juin 2020, les autorités ont encore placé en détention Merzoug Touati en l’inculpant d’« appel à attroupement non armé », de « mise en danger d’autrui », d’« outrage à corps constitués » et d’« atteinte à la sécurité publique », a précisé son épouse. Il a été libéré au bout d’un mois et condamné à une amende.
L’Algérie est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’Article 19 garantit la liberté d’expression.
Plus de 260 personnes sont actuellement emprisonnées pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions, pour la plupart en lien avec des publications en ligne, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), créé en août 2019 par des activistes et des avocats pour assurer le suivi des arrestations et des procès. Beaucoup de ces personnes ont fait grève de la faim ces deux dernières années pour dénoncer leur détention arbitraire pour des propos pacifiques.
D’après les organisations algériennes de défense des droits humains, au moins deux activistes sont morts en détention ces six dernières années des suites d’une grève de la faim. Le défenseur des droits humains Kamel Eddine Fekhar, qui militait en faveur des droits de la population mozabite dans la région du M’zab, dans le nord du Sahara, est ainsi décédé en mai 2019, de même que le journaliste Mohamed Tamalt en décembre 2016.
« L’affaire Touati est emblématique des persécutions systématiques des autorités à l’encontre de ceux qui s’expriment pour défendre les droits humains », a conclu Eric Goldstein.
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