Lorsque le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a décidé, en octobre, qu’il ne pouvait pas donner suite à une plainte concernant la crise climatique, j’ai reçu un message de Raina Ivanova, l’une des 16 jeunes à avoir porté l’affaire à son attention. « Nous sommes tous très déçus », a-t-elle regretté. « Je me sens abandonnée par le Comité des droits de l’enfant, [l’]organe des Nations Unies censé aider à faire respecter nos droits. »
Elle n’est pas la seule à être déçue que le Comité n’ait pas procédé à un examen plus approfondi du retard des gouvernements pour prendre des mesures contre la crise climatique mondiale. Sa co-plaignante, Alexandria Villaseñor, originaire des États-Unis, explique que ce sont des moments comme ceux-ci qui les poussent à s’impliquer dans la lutte pour un avenir meilleur : « C’est pourquoi à la COP26, il y aura tant d’enfants…parce que nous sommes nombreux à être en colère. »
Seize enfants de tous les continents, dont Greta Thunberg, avaient porté l’affaire devant le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies en septembre 2019, arguant que le changement climatique porte déjà atteinte aux enfants du monde entier et que les gouvernements ne parviennent pas à prendre des mesures décisives et ambitieuses pour y mettre fin. Le Comité des droits de l’enfant est l’organe des Nations Unies chargé de surveiller la manière dont les États membres remplissent leurs obligations juridiques de protéger les droits de l’enfant.
La plainte présentée par les jeunes activistes accusait cinq pays – l’Argentine, le Brésil, la France, l’Allemagne et la Turquie – de ne pas avoir empêché les atteintes prévisibles aux droits humains causées par le changement climatique, et donc de transférer le fardeau et le coût du changement climatique aux enfants et aux générations futures. Ces cinq pays sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre parmi les 48 pays ayant accepté la compétence du Comité de l’ONU pour entendre les plaintes individuelles relatives aux droits de l’enfant déposées contre eux.
Le 11 octobre, le Comité a décidé qu’il ne pouvait donner suite à l’affaire pour des raisons de procédure, les plaignants n’ayant pas saisi les tribunaux nationaux avant de se tourner vers l’ONU. Un avocat des plaignants a annoncé que « la bataille juridique pour le climat revient désormais devant les juridictions nationales ».
Malgré cette déception, les choses se présentent plutôt sous un jour favorable. Le Comité des droits de l’enfant a accepté nombre des arguments juridiques avancés par les enfants pour établir la responsabilité des gouvernements quant aux impacts de la crise climatique sur leurs droits. Plus particulièrement, il a affirmé, face aux arguments unanimes pour affirmer le contraire des gouvernements, que les États ont l’obligation de prévenir, au-delà de leurs propres frontières, les dommages prévisibles résultant d’activités et d’omissions liées au changement climatique sur leur territoire. En statuant que les enfants sont victimes de violations de leurs droits, le Comité a confirmé que la crise climatique est aussi une crise des droits de l’enfant.
Cela peut paraître plus évident que ça ne l’est. En droit international, les obligations des États en matière d’atteintes aux droits humains résultant du changement climatique au-delà de leurs propres frontières ont longtemps été contestées. Par exemple, la France a argué qu’elle n’avait pas de compétence extraterritoriale sur l’affaire parce que le changement climatique est un phénomène complexe caractérisé par un enchevêtrement de facteurs et une multiplicité d’acteurs qui rendent impossible l’attribution directe des impacts à un gouvernement spécifique.
La décision du Comité rejette fermement ce raisonnement et indique sans ambiguïtés que la nature collective de la causalité du changement climatique n’exonère en rien les gouvernements de leurs obligations individuelles. Elle constate également qu’il existe un lien suffisant et prévisible entre le préjudice allégué par les enfants et les actions des cinq gouvernements concernés. C’est une reconnaissance fondamentale pour celles et ceux qui poursuivent leurs gouvernements en justice au sujet de la crise climatique.
Les activistes ne se laisseront pas décourager par ce premier obstacle. Au contraire, ils veulent voir une action concrète dès à présent, lors des négociations sur le climat de la COP26 à Glasgow. À l’intérieur et à l’extérieur de la salle de conférence, ils disent haut et fort que les gouvernements doivent décider maintenant de réduire rapidement les émissions, et qu’il n’y a aucun temps à perdre.
Leurs points de vue sont bien résumés par Ayakha Melithafa, la plaignante sud-africaine dans l’affaire climatique de l’ONU, dont la réaction au rejet du Comité a été de dire : « Je suis déçue de la décision du Comité aujourd’hui, mais aussi plus déterminée que jamais à me servir de toutes les plateformes disponibles pour continuer à me battre pour mon avenir. »
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