Trois semaines après que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a réfuté un rapport de Human Rights Watch sur les abus policiers à l’encontre des migrants dans le nord de la France, le qualifiant de « mensonges », les responsables nationaux commencent à changer de ton. Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, a reconnu cette semaine que la politique des autorités vis-à-vis des migrants avait été « incohérente » et problématique.
Dans le cadre d’une politique inefficace visant à empêcher toute installation de campements de migrants, les autorités soumettent de façon routinière les adultes et les enfants migrants à un traitement dégradant à Calais et dans la ville voisine de Grande-Synthe, notamment à travers des expulsions répétées, un harcèlement policier quasi quotidien, et restreignent leur accès à la nourriture, à l’eau et à d’autres services essentiels.
Les récits que nous avons recueillis auprès d’une soixantaine d’enfants et adultes migrants coïncident avec ce qu’observent les associations œuvrant sur place, dont Human Rights Observers et Utopia 56. Deux institutions nationales de défense des droits humains, le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ont elles aussi condamné les pratiques policières et la politique officielle vis-à-vis des migrants dans la région.
Le déni par Gérald Darmanin de nos conclusions détaillées, le mois dernier, n’était guère crédible. Une tribune signée par 19 associations a démonté son affirmation selon laquelle aucun membre de la police ou de la gendarmerie n’avait jamais été poursuivi pour abus à l’égard de migrants ou d’aidants dans le nord de la France. En réalité, ces six dernières années, au moins cinq agents ont été condamnés pour de telles infractions, le dernier cas remontant seulement au mois de septembre. De nombreuses autres plaintes déposées auprès des services d’inspection internes de la police et des tribunaux n’ont pas débouché sur des poursuites.
La réponse dédaigneuse de Darmanin a contribué à créer un vrai casse-tête de relations publiques pour le président Emmanuel Macron, six mois avant l’élection présidentielle française. Un aumônier catholique et deux autres personnes ont entamé une grève de la faim le 11 octobre pour protester contre le traitement déplorable des migrants. Un tollé s’est ensuivi – des associations humanitaires, des artistes et des célébrités dénonçant les conditions de vie « scandaleuses et proprement inimaginables » subies par les migrants dans le nord de la France.
C’est alors qu’entre en scène Didier Leschi, le médiateur nommé par Emmanuel Macron. Avant sa deuxième visite à Calais cette semaine, M. Leschi a émis des propositions peu convaincantes : une période de grâce de 45 minutes avant les expulsions, pour donner aux gens le temps de rassembler leurs affaires personnelles, et la garantie que toute personne expulsée reçoive un hébergement alternatif, en dehors de Calais -et probablement seulement pour quelques nuits. Ce mercredi, il a aussi annoncé la mise en place, à Calais, d’un hébergement de nuit d’une capacité de 300 personnes.
Le fait qu’il s’engage dans le dialogue, au lieu de vitupérer, est déjà un progrès. Mais les militants associatifs ont, à juste titre rejeté, ces annonces, qu’ils considèrent comme cosmétiques.
Il est indispensable que le gouvernement change drastiquement d’approche : mettre fin aux expulsions répétées des campements de migrants et aux pratiques policières abusives, fournir un hébergement adéquat apportant aux personnes suffisamment de stabilité et d’assistance pour leur permettre de faire des choix éclairés concernant leurs parcours migratoires, et leur présenter de véritables options pour une régularisation de leur statut, en France, ailleurs dans l’Union européenne ou au Royaume-Uni.