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Pologne : Un an plus tard, la décision sur l'avortement continue de nuire aux femmes

Le premier anniversaire de la décision du Tribunal constitutionnel symbolise les atteintes persistantes contre les droits des femmes et l'état de droit

Une manifestation contre la loi polonaise sur l'avortement, tenue à Wroclaw, en Pologne, le 17 mars 2021. De nombreuses manifestations de ce type ont été tenues dans le cadre du mouvement « Strajk Kobiet » (« Grève des femmes »). © 2021 Krzysztof Zatycki/NurPhoto via AP

(Bruxelles, le 19 octobre 2021) – Les femmes et les filles enceintes en Pologne ont été confrontées à des obstacles extrêmes pour accéder à des avortements légaux au cours de l'année qui s’est écoulée depuis qu'une décision du Tribunal constitutionnel a pratiquement interdit l'avortement légal, ont déclaré aujourd'hui 14 organisations de défense des droits humains. Depuis cette décision, les femmes qui militent pour la défense des droits humains sont également confrontées à un environnement de plus en plus hostile et dangereux.

Les autorités polonaises devraient mettre un terme aux efforts visant à saper les droits reproductifs et à affaiblir les protections contre la violence sexiste. Elles devraient s'engager à protéger les défenseures des droits humains qui font face à des menaces et des attaques continues depuis la décision d'octobre 2020. Depuis le 9 octobre, l'escalade des menaces de mort visant Marta Lempart, cofondatrice du mouvement Ognopolski Strajk Kobiet (« Grève des femmes de toute la Pologne ») a conduit à sa protection policière lors de ses apparitions publiques ; elle était déjà la cible de menaces répétées pour avoir dirigé des manifestations en faveur de l'avortement légal et des droits des femmes,

« La décision du Tribunal constitutionnel cause un préjudice incalculable aux femmes et aux jeunes filles, en particulier celles qui sont pauvres, qui vivent dans des zones rurales ou qui sont marginalisées », a déclaré Urszula Grycuk, coordinatrice du plaidoyer international à la Fédération pour les femmes et la planification familiale (Federa) en Pologne. « La dignité, la liberté et la santé des personnes enceintes sont compromises parce que leur propre gouvernement leur refuse l’accès aux soins de santé reproductive essentiels. »

Les 14 organisations cosignataires sont Abortion Support Network, Amnesty International, Center for Reproductive Rights, CIVICUS, Federa, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), FOKUS, Human Rights Watch, International Campaign for Women’s Right to Safe Abortion, International Planned Parenthood Federation-European Network (Réseau européen de la Fédération internationale pour la planification familiale IPPF), MSI Reproductive Choices, Le Planning Familial, Riksförbundet för sexuell upplysning (RFSE, Association suédoise pour les droits sexuels et reproductifs), et Strajk Kobiet (Grève des femmes).

Le tribunal constitutionnel polonais, dont l’indépendance et la légitimité sont profondément érodées, est largement reconnu comme étant politiquement compromis. Le 22 octobre 2020, ce tribunal a jugé que l’avortement pour cause de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable qui menace la vie du fœtus » était inconstitutionnel. Le gouvernement a porté l’affaire devant le tribunal après que le parlement n’a pas réussi à adopter une législation ayant le même effet. La décision est entrée en vigueur le 27 janvier 2021.

Cette décision a éliminé l’un des rares motifs légaux d’avortement prévus par la loi très restrictive de la Pologne. Auparavant, plus de 90 % des quelque 1 000 avortements légaux pratiqués chaque année en Pologne l’étaient pour ce motif. Cette décision est intervenue alors que les restrictions liées à la pandémie de Covid-19 rendaient les déplacements pour recevoir des soins de santé prohibitifs et coûteux. Cette décision a suscité les plus grandes manifestations publiques du pays depuis des décennies, menées par des défenseures des droits humains.

Les militants et les groupes de défense des droits des femmes ont indiqué que cette décision avait eu un effet dissuasif important, les personnes souhaitant avorter et les professionnels de la santé craignant des répercussions. Abortion sans frontières, qui aide les femmes dans les pays européens où l’avortement est illégal ou dont l’accès est fortement limité, a indiqué que 17 000 femmes en Pologne l’ont contacté dans les six mois qui ont suivi le jugement pour obtenir de l’aide afin d’accéder à l’avortement, et qu’elle continue de recevoir environ 800 appels par mois.

Federa, une organisation polonaise qui défend les droits génésiques, a déclaré avoir mené environ 8 100 consultations dans les 11 mois qui ont suivi l’arrêt, soit trois fois plus que durant la même période les années précédentes. Ce chiffre comprend les appels à sa ligne d’assistance téléphonique et plus de 5 000 courriels concernant l’accès à l’avortement et à d’autres services de santé sexuelle et génésique.

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice en 2015, le gouvernement polonais a pris des mesures répétées pour restreindre davantage la santé et les droits sexuels et reproductifs, notamment en soutenant un projet de loi de 2016 visant à interdire totalement l’avortement, que le Parlement a rejeté à la suite de manifestations publiques massives. Le gouvernement a également soutenu un autre projet de loi, introduit par un groupe ultra-conservateur, qui vise à criminaliser de vastes aspects de l’éducation sexuelle et qui est examiné par une commission depuis avril 2020. Ces projets de loi sont considérés comme des « initiatives civiques » pouvant être prises en compte après avoir recueilli un certain nombre de signatures publiques.

En septembre 2021, le même groupe a présenté au parlement un nouveau projet de loi d’initiative civique, intitulé « Stop à l’avortement ». Ce projet considère l’avortement, quel que soit son stade, comme un homicide et prévoit des sanctions pénales à l’encontre des femmes qui avortent et de toute personne qui les aide, avec des peines pouvant aller jusqu’à 25 ans de prison. Le projet de loi est soutenu par l’Institut Ordo Iuris pour la culture juridique, un groupe ultra-conservateur, anti-choix et anti-lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes (LGBTI).

En contrepartie, des organisations de défense des droits des femmes et des parlementaires du parti d’opposition Lewica recueillent actuellement des signatures pour un projet de loi d’initiative civique, « Avortement légal sans compromis », qui autoriserait l’avortement sans restriction liée au motif, jusqu’à la douzième semaine de grossesse. Ce projet autoriserait l’avortement après 12 semaines en cas de risque pour la santé mentale ou physique de la personne, de grossesse non viable ou de grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste.

Les faits démontrent régulièrement que les lois qui restreignent ou criminalisent l’avortement ne l’éliminent pas, mais poussent plutôt les gens à chercher à avorter par des moyens qui peuvent mettre en danger leur santé mentale et physique et diminuer leur autonomie et leur dignité. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré que, dans le cadre de l’obligation de protéger le droit à la vie des femmes enceintes, les États ne devraient pas appliquer de sanctions pénales à l’encontre des personnes qui se font avorter ou des prestataires de services médicaux qui les assistent.

En juillet, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a annoncé qu’elle examinerait les plaintes de femmes polonaises qui pourraient être victimes de violations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en raison de la décision du tribunal constitutionnel sur l’avortement. Le gouvernement polonais n’a pas réussi à mettre en œuvre efficacement les précédents arrêts de la CEDH concernant l’accès à l’avortement légal, malgré des appels répétés et un arrêt rendu en mars par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe.

Le gouvernement dirigé par le parti Droit et Justice a également pris pour cible les organisations et les militantes des droits des femmes. Les militantes ont déclaré que la rhétorique du gouvernement et les campagnes médiatiques qui les dénigrent, elles et leur travail, favorisent la désinformation et la haine, ce qui peut mettre leur sécurité en danger.

Plusieurs défenseures des droits des femmes ont été placées en détention ou font l’objet de ce qu’elles décrivent comme des accusations criminelles motivées par des considérations politiques pour des actions menées lors des manifestations qui ont suivi la décision du Tribunal constitutionnel sur l’avortement. En février et en mars, des activistes ont reçu de nombreuses menaces de mort et d’attentat à la bombe en raison de leur soutien aux droits génésiques. Ces activistes ont déclaré que, dans de nombreux cas, la police a minimisé les risques pour leur sécurité en s’abstenant d’ouvrir d’une enquête, ou a fait preuve de peu de rigueur dans le cas des enquêtes ouvertes. Personne n’a été tenu pour responsable de ces menaces. La police a toutefois enquêté sur des menaces de mort proférées en ligne à l’encontre de Marta Lempart avant sa participation prévue à une manifestation le 11 octobre, et a arrêté un homme dans le cadre de son enquête ; la police assure maintenant sa protection lors d'événements publics.

Le gouvernement a sapé les efforts de lutte contre la violence sexiste, notamment en prenant l’initiative du retrait de la Pologne d’une convention européenne historique sur la violence contre les femmes, la Convention d’Istanbul. Le gouvernement a soumis la convention à l’examen du Tribunal constitutionnel, compromis sur le plan politique, en raison de sa définition du “genre”. Les campagnes contre l’égalité des sexes ont été utilisées pour cibler les droits des femmes, des lesbiennes, des gays, des bisexuels, des transgenres et des intersexués, ainsi que ceux qui les soutiennent.

« Les restrictions extrêmes sur l’avortement font partie d’un assaut plus large du gouvernement polonais contre les droits humains, y compris les droits des femmes et des LGBTI, et contre l’état de droit. Cela devrait alarmer tous les Européens étant donné que cela se passe non loin de leurs propres pays, alors même que les gouvernements européens prétendent être des leaders en matière de droits des femmes et de valeurs démocratiques », a déclaré Marta Lempart, cofondatrice de Strajk Kobiet.

L’anniversaire de la décision anti-avortement intervient dans un contexte de tensions croissantes entre le gouvernement polonais et l’Union européenne après une décision du Tribunal constitutionnel du 7 octobre rejetant la nature contraignante du droit européen. Cette décision fait suite à une série d’arrêts de la Cour de justice de l’UE selon lesquels l’affaiblissement de l’indépendance de la justice par le gouvernement polonais constitue une violation du droit communautaire. La Commission européenne a déclaré qu’elle « n’hésitera pas à faire usage des pouvoirs qui lui sont conférés » par les traités de l’UE pour garantir l’application du droit communautaire et protéger les droits des citoyens.

Le gouvernement polonais devrait revenir sur les restrictions imposées aux droits reproductifs et veiller à ce que ces droits soient respectés conformément au droit international, notamment le droit d’accéder à un avortement sûr. Il doit cesser de s’en prendre aux droits des femmes et aux défenseurs des droits humains des femmes et mettre fin aux manœuvres visant à saper l’état de droit, la démocratie et les droits humains.

La Commission européenne et les États membres de l’UE devraient s’attaquer d’urgence aux violations de l’état de droit et à leur impact sur les droits fondamentaux des femmes, y compris les droits reproductifs, en Pologne. La Commission européenne devrait lancer une procédure d’infraction pour l’utilisation par les autorités polonaises d’un Tribunal constitutionnel politiquement compromis pour éroder les droits des personnes en Pologne et saper les contrôles et équilibres démocratiques, en violation flagrante des traités de l’UE.

La Commission et les États membres de l’UE devraient agir pour protéger et soutenir les défenseurs et les organisations des droits des femmes en Pologne. Les États membres devraient soutenir activement les personnes en Pologne qui cherchent à accéder à l’avortement.

La Commission devrait mettre en œuvre d’urgence le mécanisme liant l’accès aux fonds de l’UE au respect des valeurs de l’UE et poursuivre son engagement à lier les fonds de relance de l’UE aux garanties de l’État de droit. Les États membres de l’UE devraient faire avancer et étendre le contrôle prévu par l’article 7.1 du traité sur l’Union européenne (TUE) en adoptant des recommandations spécifiques ou en votant pour déterminer qu’il existe un risque clair de violation grave des valeurs de l’UE en Pologne, comme l’a également demandé le Parlement européen.

« Malgré la peur et les représailles, des Polonaises et Polonais luttent chaque jour pour protéger des droits dont chaque personne dans l’UE devrait pouvoir bénéficier librement, y compris l’accès à un avortement sûr », a déclaré Hillary Margolis, chercheuse senior sur les droits des femmes à Human Rights Watch. « Les droits des femmes sont au bord d’un précipice en Pologne, et si la Commission européenne et le Conseil n’agissent pas pour défendre les valeurs démocratiques, de plus en plus de femmes et de filles en subiront les conséquences. »

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