« C’était la fin du monde pour moi », nous a confié une demandeuse d’asile, détenue pour des raisons liées à l’immigration après avoir fui son pays d’origine en Afrique. « Je me suis dit que j’aurais peut-être mieux fait de rester là-bas et d’y mourir. » Et elle n’est qu’une parmi des centaines de milliers de personnes déracinées et placées en détention dans le monde entier chaque année.
Les récits de mauvais traitements subis par des personnes migrantes ou en quête d’asile, en particulier aux mains des autorités aux États-Unis, sont largement médiatisés au Canada. Pourtant, cela risque de choquer les Canadiens : le traitement abusif dont fait état cette femme que nous avons interviewée s’est produit à Toronto.
Elle a été arrêtée et menottée dès son arrivée à l’aéroport en 2019. Elle a ensuite été amenée au centre de surveillance de l’immigration à Toronto, où elle a été placée toute seule dans une cellule froide, munie d’un lit métallique, d’un W.C. et de caméras de surveillance. Une fois, alors qu’elle était malade, elle en a fait part à une infirmière, qui lui a donné du Tylenol (paracétamol) et lui a dit : « Je n’ai pas le droit de vous parler ».
Le système canadien de détention des migrant·e·s et ses pratiques abusives constituent l’un des secrets les plus troublants du pays, et contrastent vivement avec la réputation internationale dont jouit le Canada en tant que terre d’accueil pour les réfugié·e·s et les nouveaux arrivants du monde entier.
Ce système d’une vaste portée peut prendre au piège les personnes venues au Canada pour chercher protection ou une meilleure vie, notamment les demandeur·euse·s d’asile, les résident·e·s permanent·e·s, les étudiant·e·s et les travailleur·e·s étranger·ère·s temporaires. En tout, 8 825 personnes ont été incarcérées au cours de l’année fiscale 2019-2020 seulement.
Dans un nouveau rapport consacré à ce sujet, nous démontrons que les personnes migrantes détenues au Canada connaissent les conditions d’enfermement parmi les plus restrictives du pays, en étant placées par exemple en isolement cellulaire ou dans des prisons provinciales à sécurité maximale, bien qu’aucune charge ou condamnation pénale ne pèse sur elles. Elles sont menottées, enchaînées, fouillées et confinées dans des espaces restreints soumis à une routine stricte et sous surveillance constante. En outre, aucune loi ne limite la durée de détention applicable par les autorités pour des raisons liées à l’immigration.
Depuis 2016, plus de 300 personnes ont passé un an ou plus de leur vie en détention au Canada pour des raisons liées à l’immigration. Sans date de libération connue, nombreux sont celles et ceux à désespérer, à perdre espoir et à développer des idées suicidaires. Les personnes libérées doivent parfois subir des restrictions de circulation inutiles ou disproportionnées, telles que couvre-feux ou port de bracelets électroniques.
Parmi les migrant·e·s détenu·e·s, un grand nombre de personnes en situation de handicap psychosocial font face à la discrimination et sont exposées à des conditions de détention plus dures en raison de leur handicap. Dans les prisons provinciales de l’Ontario, elles sont souvent placées en isolement cellulaire. Elles ne sont pas toujours autorisées à prendre des décisions indépendantes sur le plan juridique, des représentant·e·s étant désigné·e·s par les tribunaux pour prendre les décisions à leur place. Nombre d’entre elles se heurtent aussi à d’importants obstacles pour obtenir leur libération et, quand elles sont libérées, elles doivent respecter des conditions de libération particulièrement strictes, qui peuvent les amener à être de nouveau arrêtées.
Même les enfants n’échappent pas à la détention liée à l’immigration. En 2019-2020, 138 enfants, dont 73 âgés de moins de 6 ans, étaient détenus. Nous ne savons pas exactement combien d’autres ont été séparés de leurs parents détenus, car le gouvernement ne garde pas de trace de ces données.
Une demandeuse d’asile venue d’un pays d’Asie nous a raconté comment elle avait été séparée de ses deux enfants alors qu’elle était incarcérée : « J’ai supplié les agents de me laisser avec mes enfants, mais ils ont tout simplement refusé. Il faudra beaucoup de temps pour réparer les dégâts causés à la santé mentale de mes enfants… Tous les jours, ils me demandent de leur promettre que je ne disparaîtrai pas. »
La détention des personnes migrantes a lieu dans tout le pays. Même si Vancouver, Toronto et Montréal disposent de centres de surveillance fédéraux, beaucoup de personnes migrantes sont détenues dans des prisons provinciales. L’agence des services frontaliers est chargée de la détention liée à l’immigration, mais selon un récent plan ministériel, elle exerce « un contrôle limité sur les conditions de détention » dans les prisons provinciales. Elle reconnaît que cela « rend difficile l’application d’une norme commune de soins ».
La fin de la détention liée à l’immigration n’arrivera pas du jour au lendemain, mais le Canada devrait s’orienter vers l’abolition de cette pratique indigne. L’an dernier, le gouvernement a fait un premier pas positif en libérant un nombre sans précédent de personnes migrantes du fait de la pandémie de Covid-19. Au lieu de reprendre ses habitudes au fur et à mesure que la pandémie sera maîtrisée, le Canada devrait saisir cette occasion pour remanier complètement le système d’immigration et de protection des réfugiés afin d’éviter de nouveaux abus des droits humains. Le Canada devrait faire honneur à sa réputation mondiale et traiter toutes les personnes entrant dans le pays avec l’humanité et la dignité qui leur sont dues.
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