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Cameroun : Vague d’arrestations et abus à l’encontre de personnes LGBT

Les autorités devraient abroger la loi qui criminalise les rapports homosexuels et protéger les droits des personnes LGBT

Loïc Njeuken (alias « Shakiro ») et Roland Mouthe (alias « Patricia »), deux femmes transgenres, dans une prison de Douala, au Cameroun, en mars 2021. © 2021 Privé

(Nairobi) – Depuis février 2021, les forces de sécurité camerounaises ont arbitrairement arrêté, battu ou menacé au moins 24 personnes, dont un adolescent âgé de 17 ans, pour des prétendus rapports sexuels consensuels entre personnes de même sexe ou pour non-conformité de genre, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Au moins l’une de ces personnes aurait été soumise de force à un test VIH et à un examen anal.

Les recherches menées par Human Rights Watch et les discussions avec des organisations non gouvernementales camerounaises montrent que les récents cas d’abus documentés ici semblent s’inscrire dans un contexte général de recrudescence de mesures policières à l’encontre des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) au Cameroun, où les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont criminalisées et passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.

« Ces récentes arrestations et abus suscitent de graves inquiétudes quant à la recrudescence des persécutions anti-LGBT au Cameroun », a déclaré Neela Ghoshal, directrice adjointe de la division LGBT à Human Rights Watch. « La loi qui criminalise les comportements homosexuels fait courir aux personnes LGBT un risque accru d’être maltraitées, torturées et agressées sans aucune conséquence pour les auteurs de ces actes ».

Entre le 17 février et le 8 avril, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 18 personnes par téléphone, dont cinq qui avaient été détenues, trois avocats et 10 membres d’organisations non gouvernementales LGBT camerounaises. Human Rights Watch a également examiné plusieurs rapports d’organisations LGBT camerounaises et internationales, des documents judiciaires, des rapports de police et des dossiers médicaux.

Human Rights Watch a fait part de ses conclusions au ministre de la Justice, Laurent Esso, au secrétaire d’État au ministère de la Défense en charge de la gendarmerie nationale, Yves Landry Etoga, et au délégué général à la Sécurité nationale, Martin Mbarga Nguele, dans une lettre datée du 25 mars, demandant des réponses à des questions spécifiques. Les responsables camerounais n’ont toutefois pas encore répondu.

Le 24 février à Bafoussam, dans la région de l’Ouest, des policiers ont fait une descente dans les bureaux de Colibri, une organisation qui fournit des services de prévention et de traitement du VIH et ont arrêté 13 personnes, dont sept membres du personnel de Colibri. Ces 13 personnes ont été inculpées d’homosexualité, puis ont été libérées par la police les 26 et 27 février. Trois des personnes arrêtées ont déclaré que des policiers avaient frappé au moins trois membres du personnel de Colibri au poste de police, et qu’ils avaient menacé et agressé verbalement toutes les personnes arrêtées. Elles ont également déclaré que la police les avait interrogées sans la présence d’un avocat et les avait forcées à signer des déclarations qu’elles n’étaient pas autorisées à lire.

L’une d’entre elles, une femme transgenre de 22 ans, a déclaré : « La police nous a dit que nous étions le diable, que nous n’étions pas humains, pas normaux. Ils ont frappé une femme transgenre au visage, l’ont giflée deux fois devant moi ».

La police a également forcé l’une des 13 personnes arrêtées, une femme transgenre de 26 ans, à se soumettre à un test de dépistage du VIH et un examen anal dans un centre de santé de Bafoussam le 25 février. Celle-ci a déclaré à Human Rights Watch : « Le médecin était gêné, mais a dit qu’il devait faire l’examen parce que le procureur en avait besoin. J’ai dû me pencher en avant. Le médecin portait des gants et a inséré son doigt. C’était la chose la plus humiliante que j’aie jamais vécue ».

Ce que cette femme transgenre a vécu n’est pas un cas isolé. Human Rights Watch a déjà documenté le fait que des procureurs au Cameroun ont présenté au tribunal des examens médicaux qui s’appuient sur des examens anaux forcés qui sont utilisés pour condamner des personnes accusées de pratiques homosexuelles entre adultes consentants.

Human Rights Watch a documenté deux autres arrestations en 2021 et une arrestation de masse en 2020. À Bertoua, le 14 février, des gendarmes ont arrêté 12 jeunes, dont au moins un adolescent, pour des faits d’homosexualité et leur ont fait subir des mauvais traitements avant de les relâcher le même jour. Le 8 février, des gendarmes ont arrêté arbitrairement deux femmes transgenres dans la rue à Douala, en raison de leur expression sexuelle. Les procureurs les ont accusées de comportement homosexuel, de défaut de carte d’identité et de comportement indécent en public.

« Il n’est pas illégal d’être homosexuel ou transgenre », a déclaré l’avocate camerounaise Alice Nkom. « Selon la loi camerounaise, c’est l’acte qui constitue le crime. Il s’agit donc d’une violation flagrante de leurs droits humains. Ils devraient immédiatement être libérés ».

En mai 2020, la police a arrêté 53 personnes, pour la plupart LGBT, lors d’un rassemblement dans un hôtel de Bafoussam à l’initiative d’une organisation de lutte contre le VIH et les a accusées d’homosexualité. Au moins 6 d’entre elles, dont 3 adolescents âgés de 15 à 17 ans, ont été soumises à des examens anaux et à des tests VIH forcés.

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples garantit le droit à une protection égale devant la loi et à la non-discrimination. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, l’organe chargé de contrôler le respect de la Charte africaine par les États parties, a déclaré que l’égalité de protection s’étendait à l’orientation sexuelle. Elle a également déclaré que le principe de non-discrimination, notamment en matière d’orientation sexuelle, est le fondement de la jouissance de tous les droits humains. La commission a appelé les gouvernements africains à mettre fin à toutes les formes de violence et de discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre et à traduire en justice ceux qui les commettent.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Cameroun est partie, garantit une égale protection, la non-discrimination et le droit à la vie privée. Sur cette base, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a statué que la criminalisation de la conduite homosexuelle consensuelle entre adultes constituait une violation du PIDCP.

Les examens anaux forcés sont une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant qui peut dans certains cas atteindre un niveau tel qu’il s’apparente à de la torture. En novembre 2013, le Dr Guy Sandjon, président du Conseil national de l’ordre des médecins du Cameroun, a déclaré à Human Rights Watch que les médecins camerounais ne devraient pas effectuer de tels examens, car ils violent l’éthique médicale, et que les autorités ne devraient pas les imposer. Les tests involontaires de dépistage du VIH et des infections sexuellement transmissibles constituent une violation du droit à l’intégrité corporelle et à la vie privée, protégé par le PIDCP, et du droit à la santé prévu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

« Le gouvernement camerounais a l’obligation de faire respecter les droits de toute personne au Cameroun, quelle que soit son orientation sexuelle et son identité de genre, réelles ou perçues », a déclaré Neela Ghoshal. « Les autorités doivent immédiatement mettre fin aux arrestations arbitraires fondées sur l’identité sexuelle et les examens anaux forcés et prendre rapidement des mesures pour abroger la loi qui criminalise les relations consenties entre personnes du même sexe ».

Informations complémentaires sur les abus contre des personnes LGBT et  recommandations aux autorités camerounaises

Bafoussam, région Ouest, mai 2020

Le 16 mai 2020, la police a arrêté 53 personnes, en majorité des LGBT, dont au moins 6 adolescents âgés de 15 à 17 ans, dans un hôtel de Bafoussam lors d’un rassemblement organisé par Colibri, une association de lutte contre le VIH. Elles ont été accusées d’homosexualité, de proxénétisme et de complicité de proxénétisme et placées en détention au commissariat de la police judiciaire. Dix d’entre elles ont été libérées le 17 mai, puis toutes les autres le 21 mai. Deux des personnes arrêtées ainsi que l’avocat qui les représentait ont déclaré que les policiers avaient battu, humilié et menacé bon nombre des personnes arrêtées, qu’ils  les avait enfermées dans une cellule minuscule et qu’ils avaient privé certaines d’entre elles du traitement contre le VIH dont elles avaient besoin. L’un des hommes arrêtés a déclaré :

Ils [les policiers] ont pris d’assaut l’hôtel, ils ont emmené tout le monde de force. Ils ont forcé certains d’entre nous à se déshabiller. Ils ont battu une femme trans devant moi, ils l’ont giflée deux fois au visage et lui ont ordonné d’enlever ses vêtements devant tout le monde. Ils ont également saisi des médicaments, notamment des antirétroviraux, des thermomètres et des tests VIH. Ensuite, ils nous ont emmenés au poste de police et nous ont jetés dans une toute petite cellule où nous pouvions à peine respirer. Hommes, femmes, enfants, tout le monde dans la même cellule. La police a également privé les séropositifs de leur traitement et a refusé de laisser entrer des médicaments dans la cellule. C’était dur. Un an plus tard, ils ne nous ont toujours pas rendu ce qu’ils nous ont pris, comme les médicaments et les kits VIH. Je ne me suis pas encore remis du traumatisme que cet incident m’a causé.

L’une des personnes arrêtées, une femme transgenre, a déclaré que le 18 mai, la police l’avait forcée à subir un test de dépistage du VIH et un examen anal à l’hôpital régional de Bafoussam sans son consentement. Elle a déclaré que cinq autres personnes LGBT, dont trois adolescents, avaient dû subir le même traitement. Elle a raconté :

Le médecin ne voulait pas faire les examens car il disait avoir besoin de mon consentement, mais l’officier de police a insisté et a déclaré qu’ils avaient besoin des examens pour fournir la preuve de notre orientation sexuelle pour l’accusation. Alors, le médecin a continué. J’ai dû me baisser. J’avais peur. J’étais en état de choc. Je ne pouvais pas croire qu’un professionnel de santé, censé se plier aux plus strictes normes éthiques, me fasse subir cela. C’est une pratique tellement intrusive, envahissante.

Human Rights Watch a examiné des dossiers médicaux qui indiquent que les examens anaux et les tests VIH ont été effectués par un médecin sur ordre du commissaire régional de la police judiciaire. Les dossiers confirment que les six personnes ont subi une pénétration digitale, qui est une forme d’agression sexuelle quand elle est pratiquée de force sans le consentement de la personne.

Bertoua, région Est, février 2021

Le 14 février, des gendarmes ont arrêté 12 jeunes, dont un adolescent âgé de 17 ans, dans un restaurant de Bertoua, pour des accusations liées à l’homosexualité. Human Rights Watch s’est entretenu avec une femme de 21 ans, qui faisait partie des personnes arrêtées, et qui a déclaré que les gendarmes les avaient battus, menacés et agressés verbalement, elle et plusieurs autres au poste de gendarmerie :

Ils nous ont ordonné de nous allonger sur le sol, sur le ventre, les jambes pliées. Un gendarme mettait un pied sur votre dos pour que vous ne puissiez pas bouger, tandis qu’un autre gendarme vous frappait sur la plante des pieds. C’est comme ça qu’ils m’ont battue. Tout le monde s’est fait battre de cette manière. Les gendarmes voulaient nous faire avouer que nous étions homosexuels. Ils nous ont insultés et menacés. Ils disaient : « Vous êtes ceux qui détruisent notre pays, nous devrions vous tuer ».

Tous ceux qui ont été arrêtés ont été libérés le même jour sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.

Une femme qui travaille pour un groupe local de défense des droits humains et qui fournissait, entre autres, de l’assistance juridique aux personnes arrêtées ce jour-là a déclaré à Human Rights Watch que certains des jeunes avaient eu besoin de soins médicaux à leur libération, en raison des coups qu’ils avaient reçus.

Douala, région du Littoral, février 2021

Les gendarmes ont arrêté Loïc Njeuken (connue sous le nom de « Shakiro ») et Roland Mouthe (connue sous le nom de « Patricia »), deux femmes transgenres, à Douala le 8 février.

Accusées d’infractions liées à l’homosexualité, d’absence de carte d’identité et d’outrage public aux mœurs, elles ont été conduites dans une brigade de gendarmerie du quartier de Nkoulouloun, où elles ont passé la nuit. Le lendemain, un tribunal a ordonné leur placement en détention provisoire. Elles ont ensuite été transférées à la prison de New Bell à Douala, où elles se trouvent toujours. Leur procès est en cours devant le tribunal de première instance de Bonajo à Douala.

Deux de leurs avocats et trois militants des droits LGBT qui leur ont rendu visite en prison ont déclaré que les gendarmes avaient interrogé Shakiro et Patricia à la brigade de gendarmerie sans que leurs avocats soient présents, qu’ils les avaient obligés à signer des déclarations qu’elles n’étaient pas autorisées à lire, et qu’ils les avaient battues et menacées. Un membre d’une organisation LGBT camerounaise basée à Douala a déclaré :

J’ai rendu visite à Shakiro et Patricia plusieurs fois en prison. Elles m’ont dit qu’elles avaient été battues et menacées de mort au poste de gendarmerie. Elles ont déclaré que les gendarmes leur avaient tordu les mains dans le dos pendant près de 30 minutes et les avaient frappées avec leurs bottes, notamment dans le dos. Les gendarmes les ont accusées d’être des homosexuels et les ont traités de « sales pédales ».

Des militants des droits LGBT et des avocats ont également déclaré que les détenus et gardiens de la prison de New Bell ont battu, menacé et agressé verbalement Shakiro et Patricia à plusieurs reprises. Un activiste LGBT qui leur a rendu visite en prison a déclaré :

Leurs conditions de détention sont extrêmement mauvaises. Elles sont constamment insultées par les gardiens de prison et les autres détenus en raison de leur orientation sexuelle. Elles ont été enchaînées à leur arrivée à la prison de New Bell et battues par des gardiens de prison. Elles sont détenues avec de nombreux hommes dans des petites cellules. Shakiro est dans une cellule avec environ 70 hommes, tandis que Patricia est dans une autre cellule avec environ 50 hommes. Les détenir avec des hommes est problématique, elles préféreraient rester avec des femmes. Elles m’ont dit que les détenus les agressaient verbalement en leur disant des choses horribles, comme le fait qu’elles n’étaient pas censées exister.

Le 24 mars, le tribunal de première instance de Bonajo à Douala a rejeté leur demande de remise en liberté sous caution, au motif que le paragraphe 301 du code de procédure pénale camerounais, sur laquelle les avocats de Shakiro et Patricia ont fondé leur défense, n’est pas applicable. Le paragraphe 301 stipule que « Si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, le Tribunal la renvoie à la plus prochaine audience. Dans ce cas, il peut mettre le prévenu en liberté avec ou sans caution (…) ».

La prochaine audience dans leur affaire est prévue pour le 26 avril.

Recommandations

Human Rights Watch exhorte les autorités camerounaises à prendre les mesures suivantes :

· Le Délégué général à la sécurité nationale et le secrétaire d’État à la Défense en charge de la gendarmerie devraient donner des ordres écrits à tous les policiers et gendarmes pour que cessent immédiatement les arrestations arbitraires de personnes pour des raisons liées à leur orientation sexuelle réelle ou supposée, leur non-conformité de genre ou de prétendues pratiques sexuelles entre adultes consentants de même sexe.

· Les autorités judiciaires devraient immédiatement libérer et abandonner les accusations contre Shakiro et Patricia et autres personnes accusées pour leur orientation sexuelle réelle ou supposée, de non-conformité de genre ou d’une prétendue conduite homosexuelle consentante.

· Le Parlement devrait initier l’abrogation de l’article 347 bis du code pénal camerounais, qui punit les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.

· Le ministre de la Justice devrait clairement informer toutes les autorités chargées de l’application de la loi, les autorités chargées des poursuites et les autorités judiciaires que la loi camerounaise ne considère pas le fait d’être une personne lesbienne, gay, bisexuelle ou transgenre, ou de s’habiller d’une manière qui est perçue comme non conforme au genre, comme des infractions ou des crimes, et que tout responsable qui prétend exercer son autorité pour détenir, inculper ou poursuivre une personne LGBT sur la base de son orientation sexuelle ou de sa non-conformité de genre réelle ou perçue, ou qui menace de le faire, agit sans fondement légal et doit être tenu de rendre des comptes pour abus de pouvoir.

· La Commission nationale des droits de l’homme devrait enquêter sur les allégations de mauvais traitements infligés aux détenus en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, réelles ou supposées.

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Articles

TV5Monde/AFP     VOA Afrique      Le Monde

RFI

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