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Argentine : Le Congrès devrait légaliser l’avortement

Il est temps de lever les obstacles juridiques aux procédures d’IVG qui sont actuellement insurmontables

(Washington, le 31 août  2020) – Toute femme ou fille enceinte en Argentine  devra faire face à des risques pour sa santé ou même sa vie tant que l’accès à l’avortement et aux soins post-avortement demeurera sévèrement restreint, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le Congrès argentin devrait légaliser l’avortement afin de protéger leurs droits fondamentaux, étant donné les obstacles insurmontables auxquels elles se heurtent quand elles tentent de mettre fin à une grossesse dans les limites étroites des exceptions autorisées actuellement par la loi.

Ce rapport de 77 pages, intitulé « A Case for Legal Abortion: The Human Cost of Barriers to Sexual and Reproductive Rights in Argentina » (« Plaidoyer pour la légalisation de l’avortement : le coût humain des obstacles aux droits sexuels et reproductifs en Argentine »), décrit les conséquences du rejet en 2018 par le Sénat d’une proposition de loi qui aurait totalement décriminalisé l’avortement pendant les 14 premières semaines de la grossesse. Human Rights Watch a documenté des cas de femmes et de filles qui ont, depuis lors, fait face à une quantité d’obstacles à l’accès à un avortement légal et à des soins post-avortement. Ces obstacles incluent l’imposition de limites arbitraires de temps de gestation pour autoriser un avortement, un accès inadéquat et restreint aux méthodes sûres d’interruption volontaire de grossesse (IVG), et la crainte de faire l’objet de poursuites pénales, d’être stigmatisée et de subir de mauvais traitements de la part de professionnels de la santé.

« Depuis que le Sénat argentin a rejeté de justesse la proposition de loi de 2018 visant à légaliser l’avortement, des milliers de femmes et de filles ont dû soit surmonter d’importants obstacles pour obtenir un avortement légal, soit recourir à des avortements clandestins, souvent peu sûrs, en prenant de graves risques pour leur santé et leur vie », a déclaré José Miguel Vivanco, directeur de la division Amériques à Human Rights Watch. « La pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement qui en ont résulté n’ont fait qu’exacerber les difficultés d’accès aux services de santé reproductive, rendant la légalisation de l’avortement plus urgente que jamais. »

Lors de sa campagne électorale, le président Alberto Fernández a promis de présenter au Congrès un projet de loi visant à décriminaliser l’avortement. Depuis son entrée en fonction en décembre 2019, il a publiquement soutenu la légalisation de l’avortement. L’une des premières  mesures prises par son ministre de la Santé a été de mettre à jour et d’améliorer le « Protocole national d’administration de soins aux personnes ayant droit à une interruption légale de grossesse » qui, s’il était appliqué de manière appropriée et systématique dans tout le pays, contribuerait à améliorer l’accès à des services complets de santé reproductive et sexuelle. 

La présentation du projet de loi a été retardée à cause de la pandémie de Covid-19, mais le principal conseiller juridique de Fernández a indiqué que le gouvernement espère le présenter cette année.

Human Rights Watch a visité les provinces de Salta, Chaco, Santa Fe, Entre Ríos et Buenos Aires, ainsi que la capitale, Buenos Aires, en novembre et décembre 2019, et s’est entretenu avec 59 personnes, dont des femmes et des filles qui avaient cherché à obtenir un avortement dans les systèmes de santé public et privé, des prestataires de soins médicaux, des avocats et des activistes qui assistent les personnes cherchant à interrompre une grossesse. Human Rights Watch a également eu des entretiens de suivi, a sollicité des informations auprès du gouvernement argentin, et a analysé les lois et les politiques en matière d’avortement, des rapports d’agences des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales, des données officielles et des études publiques relatives à la santé, ainsi que diverses publications médicales.

En Argentine, le « modèle basé sur les exceptions », datant de près d’un siècle, équivaut dans une large mesure à une interdiction de l’avortement. Les seules exceptions prévues, aux termes de la section 86 du code pénal de 1921, concernent les cas où la grossesse met en danger la vie ou la santé d’une femme ou d’une fille, et où la grossesse est le résultat d’un viol. Dans toutes les autres circonstances, l’avortement est illégal et passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison. La peine prévue pour avoir provoqué soi-même une fausse couche ou pour avoir consenti à subir un avortement peut aller jusqu’à quatre ans de prison.
  
Human Rights Watch a documenté des cas dans lesquels des femmes et des filles dont la situation correspondait aux « exceptions » juridiques à l’interdiction de l’avortement, se sont quand même heurtées à des obstacles insurmontables pour obtenir une interruption volontaire de grossesse et des soins post-avortement. Parmi ces obstacles, figuraient un manque d’information publique sur l’étendue des fondements juridiques de l’avortement; l’imposition par les établissements médicaux d’obstacles arbitraires ou de délais d’attente; l’exigence illégale par les responsables de la santé de rapports de police ou de décisions de justice pour effectuer la procédure dans les cas de viol; et le manque d’accès aux méthodes d’avortement sûres et légales ou l’absence d’établissements sanitaires proches fournissant ce type de services. L’invocation de l’objection de conscience par les prestataires de soins a également créé de lourdes contraintes et des retards.

Des femmes, des professionnels de la santé et des activistes des droits des femmes ont affirmé que l’ostracisme et la crainte de conséquences judiciaires, y compris de poursuites pénales, découragent beaucoup de femmes de chercher à obtenir un avortement – et beaucoup de professionnels de la santé d’en effectuer –, même si les conditions requises pour l’application des exceptions prévues à la section 86 du code pénal sont réunies. Les femmes et les filles ont subi des abus et des mauvais traitements, notamment des comportements cruels et humiliants de la part de prestataires de soins médicaux, des refus d’accès à des services de santé légaux, ainsi que la violation du secret médical dans le cadre d’établissements médicaux.

L’accès à un avortement légal et à des soins post-avortement dépend largement du lieu de résidence de la personne et de son milieu socioéconomique, a constaté Human Rights Watch. L’absence de règles claires et uniformes à travers le pays a eu pour effet l’apparition de pratiques très diverses qui causent du tort de manière disproportionnée aux femmes dont les ressources sont limitées ou qui sont insuffisamment informées de leurs droits. 

En outre, les mesures de confinement dues au Covid-19 ont rendu l’accès aux soins de santé reproductive plus difficile. Par ailleurs, la nécessité de se rendre dans plusieurs établissements médicaux et de se déplacer parfois pendant des heures pour accéder à certains services multiplie les risques de contagion. 

La pénalisation de l’avortement ne dissuade pas les femmes de mettre fin à une grossesse non désirée. Cela les contraint à chercher à obtenir un avortement en dehors des règles établies par l’État, et beaucoup de ces procédures sont effectuées de manière peu sûre. De nombreuses femmes, notamment celles qui vivent dans la pauvreté ou dans des zones rurales, recourent à des auto-avortements ou se font aider par des personnes non formées à cette pratique. 

Un avortement effectué dans des conditions peu sûres peut mener à des problèmes de santé à court ou à long terme, voire même entraîner la mort. En 2018, le ministère argentin de la Santé nationale a fait état de 35 décès consécutifs à des avortements, soit 13% des cas de mortalité maternelle. Beaucoup de ces décès sont évitables. 

Selon les plus récentes statistiques disponibles, en 2016, 39 025 femmes et filles ont été admises dans les hôpitaux publics pour des complications consécutives à un avortement ou à une fausse couche. Dans 16% de ces cas, les victimes étaient âgées de 10 à 19 ans. Il s’agit là très probablement d’une fraction du nombre total de personnes enceintes qui souffrent de conséquences néfastes pour leur santé à la suite d’un avortement illégal, car la stigmatisation et la crainte de poursuites pénales dissuadent souvent les femmes qui souffrent de complications de se faire soigner.

Des interprétations faisant autorité des traités ratifiés par l’Argentine ont établi depuis longtemps que les lois très restrictives sur l’avortement constituaient une violation des droits humains des femmes et des filles, notamment de leurs droits à la vie, à la santé et à ne pas être soumises à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Tant que l’Argentine continuera à criminaliser l’avortement, les femmes enceintes feront face à des difficultés injustes dans l’exercice de leurs droits, en particulier celles qui comptent sur le système public de santé et qui vivent dans des provinces qui ne disposent pas de règlementation en matière d’avortement ou qui ne les appliquent pas.

L’Argentine devrait légaliser l’avortement en toutes circonstances et règlementer sa pratique de manière à respecter pleinement l’autonomie des personnes enceintes, a déclaré Human Rights Watch. L’Argentine devrait également faire en sorte que les femmes enceintes aient accès à un avortement légal tel qu’il est actuellement règlementé et que les prestataires de soins médicaux ne puissent invoquer l’objection de conscience pour refuser d’effectuer des avortements dans le système public de santé, ce qui a pour effet d’imposer des contraintes supplémentaires ou de retarder l’accès à des prestations légales liées à l’interruption volontaire de grossesse.

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