(Londres) – Du fait de l’inaction du gouvernement, les femmes et les filles en Italie se heurtent à des obstacles qui n’ont pas lieu d’être pour avoir accès légalement à un avortement pendant la crise due à la pandémie de Covid-19, ce qui met leur santé et leur vie en danger, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le fait que le gouvernement ait failli à sa responsabilité d’assurer des voies d’accès claires à certains soins médicaux essentiels et sensibles au facteur temps durant la pandémie, a entraîné des interruptions dans les services relatifs à l’avortement et a empêché certaines femmes d’y accéder dans les délais légaux, aggravant ainsi les obstacles qui existent depuis longtemps en Italie à l’accès à un avortement sûr et légal.
« Les femmes et les filles en Italie ont rencontré des obstacles parfois insurmontables pour obtenir les soins dont elles avaient besoin en matière de santé sexuelle et reproductive pendant une période de crise », a déclaré Hillary Margolis, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « La pandémie de Covid-19 ne fait que mettre en lumière le système labyrinthique d’accès à l’avortement qui existe en Italie et démontre comment ses restrictions rétrogrades causent du tort au lieu d’apporter des protections. »
De mai à juillet 2020, Human Rights Watch s’est entretenu avec 17 médecins, universitaires et activistes des droits des femmes, ainsi qu’avec 5 femmes qui ont cherché à obtenir un avortement ou des soins relatifs à un avortement après l’apparition de la pandémie de Covid-19 en Italie en février. Dans une lettre au ministère de la Santé, Human Rights Watch a présenté les résultats de ses recherches et sollicité des commentaires, mais n’a pas reçu de réponse.
L’avortement est légal en Italie lors des 90 premiers jours de la grossesse, pour des raisons de santé, économiques, sociales ou personnelles. Toutefois, des formalités excessivement lourdes et le recours très répandu à « l’objection de conscience » par le personnel médical pour refuser de fournir ce genre de soins forcent des femmes et des filles à se débattre pour trouver ces services dans le laps de temps autorisé par la loi, ce qui les oblige souvent à consulter plusieurs établissements en Italie ou à l’étranger – démarches qui sont gênées par les interdictions locales et internationales de voyager imposées pour empêcher la propagation du Covid-19. Certains établissements de santé ont suspendu les services relatifs aux avortements lors de la pandémie ou ont réaffecté le personnel gynécologique aux soins anti-Covid-19.
Le gouvernement italien n’a pas immédiatement considéré l’avortement comme un soin de santé essentiel pendant la pandémie. Le ministère de la Santé a indiqué clairement le 30 mars que les services liés à l’avortement ne devaient pas être différés, mais les hôpitaux et cliniques n’ont pas toujours suivi cette directive. Des experts ont affirmé à Human Rights Watch que le manque d’informations sur les services disponibles lors de la crise du Covid-19 avait constitué une gêne supplémentaire.
« J’ai commencé à paniquer parce que je ne savais pas où aller », a déclaré une femme âgée de 40 à 50 ans qui, à la mi-mars, a cherché un médecin pouvant autoriser et effectuer un avortement en Lombardie, région parmi les plus affectées au début de la pandémie en Italie. Elle a indiqué avoir été éconduite par plusieurs établissements médicaux, chacun lui refusant ses services à cause de la crise du Covid-19. « L’État italien m’a fermé la porte au nez », a-t-elle dit. Elle a finalement obtenu un avortement dans un hôpital d’une autre ville.
Contrairement à d’autres gouvernements européens, les autorités italiennes n’ont pas pris de mesures pendant la pandémie pour faciliter l’accès à un avortement médical. Un avortement médical est un moyen sûr et efficace de mettre fin à une grossesse par les médicaments plutôt que par des méthodes chirurgicales plus envahissantes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’administration de mifepristone suivie de misoprostol pour obtenir un avortement médical, précisant que cela peut être géré de manière sûre par les femmes elles-mêmes jusqu’à la douxième semaine de grossesse, lorsque des informations correctes et un soutien de la part d’un prestataire de soins médicaux sont disponibles.
Mais l’avortement médical n’est légal en Italie que jusqu’à la septième semaine de grossesse – un stade où certaines femmes ne savent même pas encore qu’elles sont enceintes – et les directives nationales exigent que ces médicaments soient administrés lors d’un séjour de trois jours à l’hôpital. Alors qu’un avortement chirurgical peut être effectué en hôpital de jour, seules 5 des 20 régions d’Italie autorisent un avortement médical en hôpital de jour.
Les directives italiennes sur l’avortement médical sont en contradiction avec la recommandation de santé publique de minimiser les visites aux hôpitaux lors de la crise du Covid-19. Les personnes interrogées ont affirmé que certains établissements médicaux avaient suspendu les avortements, en particulier les avortements médicaux, lors de la pandémie, parce qu’ils estimaient que la nécessité d’effectuer plusieurs consultations cliniques ou une hospitalisation présentait trop de risques ou était trop lourde pour des établissements de santé surchargés. Elles ont également affirmé que les femmes craignaient de se rendre dans un hôpital à cause des risques de contagion.
Les restrictions de déplacement ont également gêné l’accès à l’avortement. Dans les régions déclarées « zones rouges » lors de l’épidémie de Covid-19, les gens pouvaient sortir de chez eux en cas d’urgence sanitaire, mais devaient fournir un justificatif aux autorités s’ils étaient interrogés et pouvaient être frappés d’une amende en cas de violation. Certaines femmes ont déclaré que la perspective de devoir dire aux autorités qu’elles cherchaient à obtenir un avortement avait en soi un effet dissuasif.
Des experts, des activistes et des organisations professionnelles, dont la Société italienne de gynécologie et d’obstétrique (SIGO), ont appelé le gouvernement à élargir l’accès à l’avortement médical en réponse au Covid-19. Dans un geste positif le 2 juillet, le ministère de la Santé a confirmé qu’il avait demandé au Conseil supérieur de santé (Consiglio Superiore di Sanità), un organe technique consultatif, de réexaminer les directives nationales sur l’avortement médical.
Le gouvernement italien devrait s’assurer que sa réponse à la pandémie de Covid-19 et à d’autres urgences médicales n’entrave pas indûment l’accès à l’avortement, a déclaré Human Rights Watch. Pour assurer des soins sûrs et accessibles, il devrait suivre les conseils médicaux, comme ceux qui figurent dans les directives de l’OMS, en allongeant à 12 semaines le délai légal pour un avortement médical et en éliminant l’exigence d’une hospitalisation, et fournir à la place des directives sur les moyens de gérer soi-même un avortement médical avec des consultations en personne ou par télémédecine.
Le gouvernement devrait également supprimer les formalités encombrantes et s’occuper des autres obstacles à l’avortement existant de longue date qui entravent l’exercice du droit à la santé reproductive. Cela devrait inclure l’élimination d’une période obligatoire d’attente et s’assurer que les régions se conforment à leurs obligations de sorte que l’objection de conscience n’empêche pas l’accès à l’avortement. Le gouvernement devrait s’assurer que l’objection de conscience soit invoquée uniquement par des particuliers et non pas par des établissements dans leur ensemble, et qu’elle soit accompagnée de recommandations appropriées à d’autres prestataires de services.
« La pandémie de Covid-19 a mis en lumière ce que les femmes et les filles en Italie savent depuis longtemps – la loi dit qu’elles sont en droit d’avoir un avortement dans des conditions sûres et légales mais, en réalité, elles se heurtent à des obstacles à chaque pas », a affirmé Hillary Margolis. « Ceci devrait servir de sonnette d’alarme pour rappeler que, même en cas de crise, la protection du droit à la santé reproductive n’est pas facultative. »
Informations complémentaires
Les noms des femmes qui ont cherché à obtenir un avortement ont été modifiés, afin de protéger leur droit au respect de leur vie privée. Les entretiens ont été effectués à distance par vidéo ou par téléphone, en anglais, en italien, ou en italien avec un interprète. Les participants ont donné leur consentement en pleine connaissance de cause au début de chaque entretien.
Législation et politique nationales
La Loi 194, adoptée par l’Italie en 1978, autorise l’avortement pour quelque raison que ce soit pendant les 90 premiers jours de la grossesse. Seuls trois pays d’Europe imposent un délai légal plus court pour un avortement à la demande. De nombreuses femmes ne réalisent pas ou n’ont pas encore eu confirmation qu’elles sont enceintes avant la fin du premier trimestre de la grossesse.
La Loi 194 impose des formalités lourdes pour obtenir un avortement, notamment une période d’attente de 7 jours et l’obligation de recevoir conseil « afin d’aider [une femme] à surmonter les facteurs qui la conduiraient à provoquer la fin de sa grossesse. » Sur son site internet, le ministère de la Santé souligne que « l’objectif principal de la loi [194] est de protéger socialement la maternité et d’empêcher les avortements. »
Des avortements peuvent être effectués dans les hôpitaux publics et, dans certains cas, dans des cliniques privées qui reçoivent des fonds publics. Cela fait partie des services gratuits de santé reproductive dont bénéficient les citoyens italiens, les résidents permanents, ainsi que les migrants en situation irrégulière mais disposant d’une carte de santé spéciale.
Formalités lourdes
L’accès à l’avortement en Italie est un long processus qui comporte plusieurs consultations d'un médecin, notamment pour l’établissement d’un certificat confirmant la grossesse et la date de conception, ainsi que le désir de la femme d’y mettre fin. À moins que le médecin ne déclare qu’il est urgent de procéder à un avortement, il s’ensuit une période d’attente de sept jours, la plus longue en Europe. Il y a aussi fréquemment de longues périodes d’attente pour obtenir un rendez-vous en vue d’un avortement. Des personnes interrogées ont déclaré que de tels retards empêchent l’accès à un avortement médical ou chirurgical dans les délais légaux et entravent le droit des femmes de faire leurs propres choix en matière de reproduction.
Valentina a indiqué qu’après avoir cherché un médecin fournissant des soins relatifs à l’avortement pour obtenir un certificat en Lombardie en mars, au moment de l’apparition de la pandémie de Covid-19, elle s’est rendue dans un hôpital de la ville pour un avortement:
Après trois semaines de nausées, de vomissements et de visites de divers hôpitaux, je suis allée dans [un] hôpital et on m’a dit: ‘Nous vous appellerons après [les] sept jours [de période d’attente].’ J’ai dit: ‘Je n’ai pas besoin de sept jours pour y réfléchir. Je suis déjà mère, je travaille, j’ai déjà des difficultés à élever mes deux enfants…. Mais ils ont dit: ‘C’est la loi.’
Valentina a précisé qu’elle était alors enceinte de cinq à six semaines et inquiète à l’idée que le délai légal pour obtenir un avortement médical puisse expirer. En définitive, elle a obtenu un avortement dans une autre ville proche.
Objection de conscience
Aux termes de la Loi 194, le personnel soignant peut refuser d’effectuer un avortement en invoquant « l’objection de conscience », sauf s’il existe « un danger imminent » pour la vie de la femme. Les statistiques officielles pour 2018 montrent que 69% des gynécologues et 46% des anesthésistes en Italie se sont déclarés objecteurs de conscience. Les mêmes statistiques gouvernementales révèlent que dans un quart des régions du pays, plus de 80% des gynécologues et au moins 60% des anesthésistes sont enregistrés comme objecteurs de conscience. Les données gouvernementales montrent qu’une anesthésie générale a été utilisée dans plus de 52% des avortements effectués en Italie en 2018, ce qui fait du pourcentage élevé d’anesthésistes objecteurs de conscience un obstacle considérable à l’obtention d’un avortement.
La Loi 194 oblige les autorités à s’assurer que l’objection de conscience n’empêche pas la satisfaction des demandes légales d’avortement, même si cela nécessite de redéployer du personnel. Elle précise également que le personnel médical ne peut refuser de prodiguer des soins pré- ou post-avortement. Cependant, des personnes interrogées ont déclaré que ces dispositions ne sont pas respectées ou appliquées.
À la mi-mars, « Chiara », âgée de 24 ans, a ressenti des douleurs et des symptômes d’infection après avoir subi un avortement plusieurs mois auparavant. Le personnel de la première clinique de planning familial qu’elle a consultée, en Calabre, lui a dit que le seul médecin de cette clinique qui ne soit pas objecteur de conscience était en vacances pour une durée indéterminée. « Alors je suis allée dans un centre médical dans une ville proche et on m’a dit: ‘Nous ne donnons pas de consultations relatives à un avortement, ni avant ni après, parce que le chef du centre est objecteur de conscience’ », a déclaré Chiara. Selon une circulaire du ministère de la Santé datant du 30 mars, les soins non différables lors de la pandémie de Covid-19 incluent les examens gynécologiques pour détecter les infections vaginales.
Obstacles lors de la pandémie
Les personnes interrogées ont affirmé que les restrictions de déplacement, le manque d’informations et la fermeture de services, lors de la pandémie de Covid-19, ont exacerbé les retards dans l’accès à l’avortement dans les délais légaux.
Restrictions de déplacement
Le 23 février, le gouvernement italien a déclaré « zones rouges » certaines parties des régions de Lombardie et Vénétie, interdisant au public de se rendre dans certaines localités ou d’en sortir. Le 9 mars, le gouvernement a étendu ces mesures à toute l’Italie. Les déplacements hors du domicile n’étaient autorisés que pour effectuer un travail nécessaire, pour acheter des biens de première nécessité ou pour des raisons de santé. Ces réglementations exigeaient que les particuliers « certifient eux-mêmes » la raison du déplacement qui, selon un site internet du gouvernement, pouvait « faire l’objet de vérifications » et constituer un crime si elle s’avérait fausse.
Les femmes en Italie sont souvent obligées de s’aventurer hors de leur ville ou de leur région pour obtenir un avortement, mais les mesures d’urgence liées au Covid-19 ont encore restreint ces options. Silvana Agatone, présidente de l’Association des gynécologues italiens libres pour l’application de la Loi 194 (LAIGA), a déclaré que des femmes du nord de l’Italie avaient commencé à la contacter en février, pour qu’elle les aide à trouver des services de santé locaux qui soient encore opérationnels parce qu’il était impossible de voyager. « Dans des villes proches, les femmes n’étaient pas acceptées même si elle venaient de zones qui n’étaient pas encore ‘rouges’, parce que les unités de crise dans les hôpitaux n’acceptaient pas de personnes venant de l’extérieur de la ville, si bien qu’elles se retrouvaient bloquées et ne pouvaient plus se déplacer [ailleurs] », a-t-elle dit.
« Elisabetta », 28 ans, a déclaré que les restrictions de déplacement avaient aggravé les difficultés auxquelles elle se heurtait pour trouver un prestataire d’avortement en Lombardie: « J’ai commencé à être angoissée parce que j’étais en zone rouge. Je ne savais pas comment me déplacer, ni [où aller pour] obtenir un certificat. »
Manque de directives et d’informations
Les personnes interrogées ont déclaré que même après que le ministère de la Santé eut confirmé que les services relatifs à l’avortement n’étaient pas différables, l’absence de directives sur les moyens de prodiguer ces services durant la pandémie a gêné l’application de cette politique. Le 31 mars, le ministère a émis une directive concernant les soins à prodiguer aux femmes enceintes, aux femmes récemment accouchées et aux nouveaux-nés, ainsi que l’allaitement, mais aucune directive de ce type sur les soins relatifs à l’avortement.
« Pendant le confinement, les associations de gynécologues ont dû interpréter la directive gouvernementale et cela a pris du temps », a déclaré le Dr. Suzanne Mbiye Diku, gynécologue à Rome. « Nous avons perdu des semaines …. J’ai eu moi-même au moins trois ou quatre cas dans lesquels les femmes sont arrivées trop tard. Elles ne pouvaient plus avoir un avortement [légal]. »
L’absence d’information centralisée sur les services disponibles a été la cause de confusions et de retards. Sara Martelli, coordinatrice de la Campagne pour des avortements sûrs en Italie et membre du Réseau italien pro-choix pour la contraception et l’avortement (Pro-Choice/RICA), a déclaré que les activistes et les femmes avaient dû déterminer elles-mêmes où ces services étaient toujours disponibles. « Toute cette information a été recueillie par téléphone, par le bouche-à-oreille et par des personnes qui travaillaient dans ces services », a précisé Sara Martelli en juin. « Il est inacceptable qu’il n’y ait pas d’accès à cette information…. [Nous] voici à parler de cela environ deux mois [après le début de la pandémie] et personne ne sait [rien] encore. »
Absence de services disponibles
Certains services de santé reproductive ont été suspendus ou déplacés afin de libérer des espaces pour les malades atteints du Covid-19. Le réaffectation de certains membres du personnel médical aux services s’occupant des malades du Covid-19 et l’absence de personnel pour cause de maladie ou d’auto-isolement ont également entraîné une réduction de ces services. Ces services ont été particulièrement affectés dans le nord de l’Italie, où la pandémie a frappé en premier et très sévèrement.
Valentina a cherché un médecin pour autoriser et effectuer son avortement à la mi-mars en Lombardie, une des régions les plus affectées au début de l’épidémie en Italie. Elle a déclaré:
Je suis allée voir mon gynécologue – il m’a dit: je ne peux pas vous recevoir à cause du Covid. Je suis allée à l’hôpital, ils m’ont dit: nous ne pouvons pas vous recevoir à cause du Covid. Je suis allée dans un autre hôpital – ils ne m’ont même pas laissée entrer car, disaient-ils, ils n’admettaient que les cas urgents. Ils m’ont dit d’aller au consultorio [clinique de planning familial]. Alors j’ai appelé le consultorio. On m’a dit que c’était fermé à cause de la pandémie.
Valentina a déclaré qu’elle s’était sentie désespérée: « L’État italien m’a fermé la porte au nez », a-t-elle dit. Elle a finalement obtenu un avortement dans un hôpital d’une autre ville.
Dans certains cas, les retards dans l’obtention de l’indispensable certificat, dûs à la fermeture de certains établissements médicaux ou à l’interruption de leurs prestations de services pendant la pandémie, signifiaient que les femmes ne pouvaient obtenir un avortement médical ou chirurgical dans les délais légaux. Les personnes interrogées ont estimé qu’il était impossible de savoir combien de femmes ont dû recourir à des méthodes peu sûres pour obtenir un avortement.
Elisabetta a essayé d’obtenir un avortement médical à Milan lorsqu’elle a découvert qu’elle était enceinte début avril. « J’ai appelé tous les hôpitaux de la province de Milan », a-t-elle dit. « Certains ont dit qu’ils avaient suspendu ce service, d’autres ont dit qu’ils ne faisaient jamais d’avortements…. Certains ont dit: vous pouvez venir et faire la queue toute la journée, mais nous devrons vérifier si nous pouvons vous admettre parce que nous ne pourrons voir qu’environ trois filles par jour. » Quand Elisabetta a trouvé un hôpital dans une autre ville située à environ 60 kilomètres, le médecin lui a dit qu’elle avait laissé passer la date limite légale pour un avortement médical. Son avortement chirurgical a été planifié pour la mi-mai: « J’ai fait le calcul mentalement – ce serait à peu près deux jours seulement avant la fin de la période légale pour mettre fin à ma grossesse. »
Un médecin d’un hôpital public de Rome qui sert de centre de référence pour la région du Latium a déclaré que son hôpital avait connu une augmentation d’environ 20% du nombre de femmes cherchant à obtenir un avortement lors de la pandémie de Covid-19, ce qu’elle a attribué au fait que certains établissements médicaux locaux avaient fermé ou cessé de fournir des certificats ou de pratiquer des avortements. Des organisations non gouvernementales qui facilitent l’accès à l’avortement ont déclaré que les demandes d’assistance avaient augmenté de manière significative, en raison notamment de la réduction des services et des restrictions de déplacement.
« Notre ligne téléphonique d’urgence, ouverte 24 heures sur 24, est passée de 2 à 3 demandes d’aide par mois à 5 à 6 par jour », a déclaré Eleonora Mizzoni, membre d’Obiezione Respinta, un groupe qui cartographie et fournit des informations sur les services relatifs à l’avortement. Elle a ajouté que les recherches et les demandes d’aide sur les réseaux sociaux avaient également augmenté.
Le Dr. Abigail Aiken, de l’Université du Texas à Austin, effectue des recherches sur l’accès à l’avortement en Europe lors de la crise du Covid-19, à partir de données provenant de Women on Web, un site qui fournit des médicaments destinés aux avortements et les expédie par courrier dans les zones ayant un accès limité à ce service. Elle a déclaré que, sur la base d’une analyse des données historiques, la recherche montre une augmentation de 40% du nombre de contacts de Women on Web en provenance d’Italie pendant la période commençant le 10 mars, par comparaison à ce qui était habituel avant la pandémie.
Accès à l’avortement médical pendant la pandémie de Covid-19
La Loi 194 de l’Italie est parmi les plus restrictives de l’Union européenne pour l’avortement médical, avec l’imposition d’un délai légal de sept semaines. Au moins 16 pays membres autorisent un avortement médical jusqu’à 9 semaines de grossesse ou au-delà.
La directive gouvernementale imposant une hospitalisation de trois jours pour un avortement médical invoque les risques de mort par hémorragie, alors que l’OMS n’a déterminé aucun accroissement de ce risque dans les cas où l’avortement médical est géré à la maison, et a au contraire déterminé que cela pouvait aider à éviter les risques associés aux avortements pratiqués dans des conditions peu sûres. Les personnes interrogées ont affirmé qu’il n’y avait pas de fondement scientifique pour justifier la directive des trois jours, et citent les autres pays de l’UE et même les régions d’Italie qui ont mis en place avec succès des mesures moins restrictives. La mise en œuvre des protocoles à l’échelon local est laissée à la discrétion des autorités régionales, mais seules 5 des 20 régions d’Italie autorisent les avortements médicaux en hôpital de jour, plutôt que d’exiger une hospitalisation de 3 jours.
« Les trois jours sont une exigence absolument folle », a affirmé un médecin d’un hôpital public de Rome, remarquant que les avortements médicaux étaient effectués en hôpital de jour dans la région du Latium. « Nous savons que la réalité est différente dans certaines régions. »
Même s’il est effectué en hôpital de jour, l’avortement médical en Italie nécessite trois visites pour la consultation et l’échographie, puis pour l’administration des médicaments, puis pour le suivi. Les personnes interrogées ont déclaré que ces visites médicales multiples et les trois jours d’hospitalisation avaient contribué à la suspension des avortements médicaux pendant la crise du Covid-19. « Les [médecins] disaient que trois visites, c’était trop [lors de la pandémie] – alors ils ont simplement arrêté le service », a déclaré le Dr. Marina Toschi, gynécologue et membre de Pro-Choice/RICA.
Les directives nationales se sont également trouvées en contradiction avec les mesures de santé publique prises durant la crise. « De nombreuses structures ont réagi en cessant les avortements médicaux puisque – de manière absurde – les directives [nationales] exigent une hospitalisation de trois jours pour un avortement médical, alors que les directives [de santé publique] concernant le Covid-19 appellent à une réduction des admissions dans les hôpitaux », a déclaré Sara Martelli.
Le Dr. Toschi, qui travaille dans les régions d’Ombrie et des Marches, a affirmé que même avant l’arrivée de la pandémie de Covid-19, environ 20% seulement des hôpitaux d’Italie pratiquaient des avortements médicaux. Elle a précisé que tous les services relatifs aux avortements médicaux avaient cessé dans les Marches lors de la pandémie, et que beaucoup d’entre eux n’avaient pas rouvert avant le 7 juillet. De même à Catane, les centres de planning familial étaient apparemment encore fermés à la mi-juin, sans indication d’une date de réouverture, alors que les unités d’ophthalmologie et d’autres services médicaux étaient de nouveau opérationnels.
En Ombrie, les services d’avortement médical ont continué de fonctionner pendant la pandémie, mais seuls 3 hôpitaux sur 11 en dispensent, a affirmé le Dr. Toschi. Les statistiques officielles montrent que les avortements médicaux obtenus par le recours à une combinaison de mifepristone et de prostaglandines ont constitué moins de 21% des avortements en Italie en 2018. Dans de nombreux pays européens, plus de la moitié des avortements sont effectués par la voie médicamenteuse et, dans certains cas, plus de 80%, voire même 90%.
Efforts en vue d’une modification des formalités
Les gouvernements européens, notamment en France, en Angleterre, au pays de Galles, en Écosse, en Irlande, en Espagne et en Allemagne, ont pris des mesures pour faciliter l’accès à l’avortement médical lors de la pandémie de Covid-19, y compris en allongeant les délais légaux pour y procéder, en autorisant l’auto-gestion à la maison des avortements médicaux et en effectuant les consultations par télémédecine.
Début avril, des organisations non gouvernementales, dont LAIGA, Pro-Choice/RICA, l’Association des médecins italiens pour la contraception et l’avortement (AMICA) et l’Association Luca Coscioni, ont écrit aux autorités italiennes, appelant à l’allongement des délais légaux pour effectuer un avortement médical et à la suppression de l’obligation d’une hospitalisation de trois jours, ainsi qu’au recours à la télémédecine pour permettre un accès à distance à l’avortement médical pendant la pandémie. Elles ont réitéré ces demandes le 8 juin, soulignant « la persistance de difficultés et de risques dans l’accès à l’avortement. »
En juin, la Toscane est devenue la première région d’Italie à autoriser les avortements médicaux en dehors des hôpitaux, dans des cliniques désignées. Le 14 mai, les autorités de Toscane ont adopté une résolution allongeant à neuf semaines le délai légal pour effectuer un avortement médical, en notant que la crise du Covid-19 avait fait apparaître des préoccupations au sujet de l’accès à l’avortement.
À l’inverse, à la mi-juin, le gouvernement nouvellement élu de l’Ombrie, dirigé par le parti ultra-conservateur de la Ligue du Nord, a aboli une politique qui permettait d’effectuer un avortement médical en hôpital de jour, rétablissant l’obligation d’une hospitalisation de trois jours.
Le 2 juillet, des activistes pro-avortement ont manifesté devant le ministère de la Santé, appelant à l’élargissement de l’accès à l’avortement médical et à la gratuité de la contraception. Lors d’une réunion le même jour, des représentants du ministère ont confirmé qu’ils avaient demandé au Haut Conseil de la santé de réexaminer les directives nationales sur l’avortement médical.
Accès à un avortement tardif pendant la pandémie de Covid-19
Au-delà de 90 jours de grossesse, l’avortement est légal en Italie s’il existe une grave menace pour la vie de la femme. Il peut être légal s’il y a un risque grave pour sa santé physique ou mentale, y compris à cause d’un diagnostic de graves anomalies du fœtus, mais la loi exige que les médecins « prennent toutes les mesures appropriées pour sauver la vie du fœtus. » Les personnes interrogées ont déclaré que les retards dans les tests et les diagnostics pendant la grossesse ont pour effet que les femmes ne sont pas toujours conscientes de l’existence d’anomalies du fœtus pendant le premier trimestre, et certaines anomalies ne peuvent pas être identifiées avant les stades ultérieurs de la grossesse.
Ces personnes ont également affirmé que peu de médecins en Italie étaient prêts à pratiquer des avortements au-delà de la limite des 90 jours. « La plupart des médecins disent: ‘Ce n’est pas mon problème, allez ailleurs’ », a déclaré le Dr. Toschi. La plupart des femmes qui cherchent à obtenir un avortement tardif se rendent pour cela à l’étranger, ce qui est rendu plus difficile par les interdictions de voyager décidées lors de la pandémie.
« Martina », 30 ans, qui est médecin, a affirmé que ses confrères l’avaient alertée pour la première fois en janvier de l’existence d’un problème potentiel concernant sa grossesse. « J’ai demandé à plusieurs reprises de passer un test génétique, mais ils ont estimé que le problème n’était pas assez grave pour cela », a déclaré Martina. « Quand vous vous trouvez dans une telle situation, vous êtes totalement dépendante des médecins. Vous n’avez pas d’autre choix. »
Quand les tests ont confirmé l’existence d’une anomalie causant de graves problèmes osseux, Martina était enceinte de 28 semaines. Le personnel de l’hôpital lui a dit qu’elle pouvait tenter d’obtenir un avortement hors d’Italie mais ne lui ont donné aucune information complémentaire: « Ils ont peur de vous donner trop d’informations, ne serait-ce que vous dire où vous pouvez aller, parce qu’ils craignent d’avoir des problèmes légaux. »
Martina a indiqué qu’elle avait alors cherché désespérément des informations sur internet et contacté des hôpitaux à l’étranger, mais plusieurs lui ont répondu qu’ils n’acceptaient pas de clients venant d’Italie à cause de la crise du Covid-19. Inquiète d’éventuelles fermetures des frontières, Martina s’est rendue en France fin février et a fini par trouver un hôpital où elle a pu avoir un avortement. Elle a précisé qu’elle s’estimait chanceuse d’avoir pu sortir d’Italie juste avant la fermeture des frontières et d’avoir eu les moyens financiers nécessaires – aux alentours de 2 000 euros pour la procédure et les dépenses du voyage.
Il n’y a pas d’informations disponibles sur le nombre de femmes qui n’ont pas été en mesure d’avoir un avortement tardif, malgré l’existence d’un grave risque pour leur santé ou pour leur vie, à cause des restrictions de voyage dues au Covid-19.
Bien que la Loi 194 exige des rapports annuels sur son application, aucune donnée n’est disponible sur les refus de services relatifs à l’avortement, si bien qu’il est impossible de savoir combien de femmes ont été dans l’impossibilité d’obtenir un avortement médical ou chirurgical dans les délais légaux ou se sont vu refuser ces services plusieurs fois avant de trouver un prestataire pratiquant l’avortement.
Accès à la contraception
Les personnes interrogées ont déclaré que les obstacles rencontrés pour accéder à l’avortement devraient être considérés en conjonction avec l’accès inadéquat au contrôle des naissances en Italie. Le service national de santé a cessé en 2016 de fournir la contraception gratuite et seules six régions fournissent actuellement gratuitement un contrôle des naissances hormonal. Les experts ont noté que le coût de la contraception en Italie peut être prohibitif pour les femmes et les adolescentes pauvres. Les pilules contraceptives coûtent environ 150 à 200€ par an, et un stérilet (IUD) entre 250 et 300€. Eleonora Mizzoni, d’Obiezione Respinta, a affirmé que ceci crée une « discrimination dans l’accès » à la contraception.
Dans leur lettre du 8 juin au ministère de la Santé, les organisations non gouvernementales ont appelé à ce que les mesures d’urgence prises lors de la pandémie de Covid-19 incluent la fourniture de moyens de contraception gratuits dans les centres de planning familial, notant que les retombées économiques de la pandémie pouvaient affecter la capacité de certaines personnes à se procurer de tels moyens.
Obligations en matière de droits humains
Il incombe à l’Italie de protéger le droit de ses citoyens à bénéficier des plus hauts niveaux de santé possible, y compris de santé sexuelle et reproductive, aux termes des traités internationaux qu’elle a ratifiés, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et la Charte sociale européenne.
Les organes de traités des Nations Unies ont affirmé que le déni d’accès à l’avortement pouvait représenter une violation des droits à la santé, au respect de la vie privée et à vivre à l’abri des traitements cruels et inhumains. Le comité de l’ONU qui surveille l’application du PIDESC a affirmé qu’un plein accès des femmes à la santé sexuelle et reproductive était « essentiel à la réalisation de la totalité de leurs droits humains » et que les pays devraient lever tous les obstacles à cet accès. En 2017, le Comité des droits de l’homme de l’ONU et le comité qui supervise l’application de la CEDAW (le Comité de la CEDAW) ont tous deux exprimé des préoccupations au sujet de l’existence persistante d’obstacles à l’avortement en Italie, et affirmé que le gouvernement devrait assurer un accès aux services liés à l’avortement dans tout le pays. Le Comité de la CEDAW a spécifié que l’Italie devrait faire en sorte que l’objection de conscience « ne représente pas un obstacle pour les femmes qui souhaitent mettre fin à une grossesse ». Les organes de traités de l’ONU ont estimé que les périodes d’attente obligatoires constituaient des obstacles à l’accès à l’avortement et ont appelé à leur suppression.
Le Comité européen des droits sociaux a affirmé en 2013 et en 2015 que le manquement de l’Italie à sa responsabilité d’assurer un accès régulier à l’avortement, notamment la pratique exagérément répandue de l’invocation de l’objection de conscience, constituait un manquement au devoir de défendre le droit à la santé et à la non-discrimination, en violation de la Charte sociale européenne.
Le Conseil de l’Europe a affirmé que tous ses États membres devaient assurer un plein accès aux soins de santé reproductive, y compris à l’avortement, dans leur réponse à la pandémie de Covid-19 et les ont appelés à « abolir d’urgence tous les obstacles résiduels qui entravent l’accès à un avortement sûr ».
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Pendant #Covid19 , femmes & filles ont rencontré nombreux obstacles pour accéder à l'#avortement en #Italie. Certains établissements ont suspendu les services ou réaffecté personnel gynécologique aux soins anti-Covid-19.
— HRW en français (@hrw_fr) July 30, 2020
Nvelle enquête de @hillarymargohttps://t.co/YK03vhPnNF pic.twitter.com/wQZ5ugAY7k
En #Italie, le Covid-19 met en lumière "le système labyrinthique d'accès à l'avortement", selon HRW. https://t.co/a62CZfxA6f via @lalibrebe
— HRW en français (@hrw_fr) July 31, 2020