Skip to main content

Les États-Unis commettent les mêmes abus qu'ils condamnent à l'étranger

Dans leur réponse aux manifestations liées à la mort de George Floyd, les États-Unis n'ont pas respecté les normes qu'ils exigent des autres pays.

Publié dans: Al Jazeera
Un manifestant à genoux lève les bras, face à des policiers devant la Maison Blanche à Washington, le 31 mai 2020, six jours après le meurtre du Noir américain George Floyd par un policier à Minneapolis le 25 mai. Cet incident a déclenché une vague de manifestations à travers le pays. © 2020 Samuel Corum/AFP via Getty Images

En tant que chercheuses sur les droits humains couvrant des pays comme la République démocratique du Congo, l'Irak et le Yémen, nous avons passé des années à documenter la façon dont des gouvernements répressifs recourent à une force excessive et à d'autres abus pour étouffer la dissidence : ils tirent sur des manifestants pacifiques, et battent ou arrêtent des détracteurs et des activistes. Malgré ses propres antécédents d'abus à l'étranger, que nous avons également documentés, le gouvernement des États-Unis a condamné – à juste titre même si de manière inégale – les répressions de la part de gouvernements, faisant des déclarations publiques, soulevant des préoccupations lors de réunions privées avec des représentants gouvernementaux, suspendant l'assistance militaire, ou imposant des sanctions ciblées contre les plus responsables. 

La crédibilité de ces actions, ou ce qu’il en restait, est désormais réduite en cendres. Au cours des trois dernières semaines, la police des États-Unis a utilisé contre les manifestants pacifiques dans tout le pays certaines des mêmes méthodes que les États-Unis ont condamnées à l'étranger. Quelles que soient les distinctions que l'administration actuelle pourrait essayer de faire, la capacité des États-Unis à promouvoir le respect des droits humains à l'étranger a encore été compromise. 

À la suite du meurtre de George Floyd le 25 mai, des manifestations ont éclaté dans les 50 États du pays, condamnant la brutalité de la police et le racisme structurel. La police dans de nombreux endroits a répondu par une force excessive et des abus : passage à tabac de manifestants, arrestations massives, ou recours à la force militaire pour décourager les manifestations. Nous enquêtons sur une centaine d'incidents distincts au cours desquels la police aurait utilisé des armes dites moins létales pour disperser des manifestants, notamment du gaz lacrymogène, du gaz poivre, des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc. Dans plusieurs cas, la police a utilisé des tactiques de « nasse », piégeant les manifestants dans un espace clos, puis les arrêtant, souvent à l'aide de ces armes. 

De nombreuses personnes arrêtées ont déclaré avoir été détenues pendant des heures, et parfois plus d'une journée, dans des conditions de surpeuplement et de saleté, sans protection contre le COVID-19. Elles n'étaient pas autorisées à passer un appel téléphonique, et nombre d’entre elles ont été déplacées d'un poste de police à un autre, rendant presque impossible pour leurs familles et leurs avocats de les retrouver. À leur libération, de nombreuses personnes ont reçu une citation à comparaître devant un tribunal pour avoir brisé les couvre-feux, bloqué la circulation et d'autres infractions mineures.

De nombreux journalistes ont fait partie des personnes attaquées, arrêtées, ou diversement harcelées  pendant les manifestations – parfois en direct. La police a tiré sur une journaliste à Minneapolis avec ce qui selon elle était une balle en caoutchouc, la rendant aveugle d'un œil définitivement. 

Des observateurs juridiques de la National Lawyers Guild ont été attaqués, aspergés de gaz lacrymogènes et arrêtés, alors qu'ils surveillaient les manifestations dans au moins une douzaine de villes, malgré leurs casquettes vert fluo visibles et d'autres marqueurs d'identification. Un observateur de Sacramento a été atteint d'une balle en caoutchouc au visage et hospitalisé pour commotion cérébrale, tandis que plusieurs observateurs de Détroit ont été battus à coups de matraque, aspergés au gaz lacrymogène puis arrêtés, alors qu'ils tentaient de relever les noms des manifestants arrêtés. 

Des médecins de rue déployés afin de fournir un soutien médical d'urgence aux personnes blessées lors des manifestations ont également été pris pour cible. À New York, la police a agressé et arrêté un médecin portant un casque avec une croix rouge bien visible. 

Comme nous l'avons expliqué à maintes reprises aux autorités lors de réunions à Kinshasa, Bagdad et ailleurs, les manifestants pacifiques ne devraient pas être jetés en prison pour avoir exprimé leurs droits fondamentaux à la liberté d'expression et de réunion. Les journalistes, les membres du personnel médical, les observateurs juridiques et les activistes pour les droits humains sont protégés par le droit international des droits humains, et ils ne devraient jamais être pris pour cible pour n’avoir fait que leur travail. Les gaz lacrymogènes – un irritant chimique qui peut provoquer une sensation de brûlure dans les yeux ainsi que des difficultés respiratoires – et d'autres armes « moins létales » sont régis par une stricte nécessité et des principes de proportionnalité en vertu du droit international.

La police devrait faire usage de moyens non violents avant de recourir à la force et éviter d’user de la force pour disperser des manifestations non violentes, que les autorités les jugent ou non illégales. Les armes « moins létales » ne devraient être utilisées que lorsque cela est strictement nécessaire pour obtenir un objectif d'application de la loi licite et légitime, et devraient être précédées d'avertissements clairs.

En Irak, nous avons documenté la façon dont les forces de sécurité, fin 2019, ont eu recours à une force excessive contre des manifestants souvent pacifiques, notamment en tirant directement sur eux des grenades lacrymogènes, faisant des morts et des blessés, et en fracassant les tentes des manifestants, même au milieu de la nuit. Les forces de sécurité ont également régulièrement attaqué des journalistes et blessé des médecins qui soignaient des manifestants. Le gouvernement États-Unis a régulièrement condamné ces violences. 

Alors que le président de la RDC se maintenait au pouvoir au-delà du terme de son mandat constitutionnel, nous avons documenté comment les forces de sécurité ont tiré des balles réelles et des gaz lacrymogènes sur des manifestants en grande partie pacifiques, tuant près de 300 personnes et arrêtant plus de 2 000 manifestants et activistes entre 2015 et 2018. Le gouvernement des États-Unis a condamné à plusieurs reprises la répression et a imposé des sanctions ciblées, notamment des interdictions de visa et le gel des avoirs, contre les hauts responsables du gouvernement et des forces de sécurité impliqués dans les abus.

Les États-Unis doivent respecter les normes internationales relatives aux droits humains, les normes que les administrations de ce pays ont exigées des autres pays, lorsque les gens sont dans la rue pour protester, et tous les jours. Les récentes arrestations massives ainsi que la force excessive utilisée par la police lors des manifestations ne sont pas surprenantes pour de nombreux citoyens des Etats-Unis, en particulier les Noirs et les personnes racisées qui vivent quotidiennement la réalité d'un système répressif abusif et raciste.

Mais espérons que la vague de protestations, l'indignation mondiale ainsi que la surveillance accrue du comportement de la police exercée par le public – à l'échelle nationale et mondiale – serviront de tremplin à des réformes significatives.      

Des changements systémiques et fondamentaux dans le maintien de l’ordre et la sécurité publique sont nécessaires aux États-Unis afin de garantir le respect des droits humains fondamentaux des citoyens de ce pays. Ces changements sont également cruciaux si le gouvernement des États-Unis, notamment les futures administrations, espèrent disposer de crédibilité sur la scène mondiale en tant que défenseur efficace du respect des droits humains et de l'État de droit.

----------

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays