(Nairobi) – Le gouvernement du Cameroun devrait publier immédiatement les informations pertinentes sur les recettes, les dépenses et la gestion de son Fonds de solidarité pour la santé, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les établissements de santé du Cameroun ont versé des contributions obligatoires à ce fonds d’urgence pendant plus de 25 ans. Le gouvernement devrait également débloquer de l’argent provenant de ce fonds pour soutenir les établissements médicaux qui font face à la pandémie de Covid-19, s’il ne l’a pas déjà fait, et ouvrir des enquêtes si une partie de ces fonds a disparu.
« Le Cameroun est le pays d’Afrique centrale qui connaît le nombre le plus élevé de cas confirmés de Covid-19 et, pourtant, il semble que le gouvernement n’ait pas déboursé d’argent provenant d’un fonds de réserve auquel les établissements de santé ont versé des contributions précisément pour faire face à des situations d’urgences comme celle-ci », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le ministre de la Santé devrait immédiatement faire en sorte que les sommes versées au Fonds de solidarité pour la santé soient mises à la disposition des établissements médicaux qui ont un besoin pressant de soutien, publier les informations relatives à la gestion de ce fonds et enquêter sur d’éventuelles irrégularités. »
Depuis 1993, la loi camerounaise exige que les établissements publics fournissant des soins médicaux primaires versent 10 % de leurs recettes mensuelles au Fonds de solidarité pour la santé. Les hôpitaux sont officiellement exemptés de cette charge, mais des membres du personnel médical ont affirmé à Human Rights Watch qu’ils contribuent également au fonds. Ce fonds, qui devrait relever de la responsabilité du ministère de la Santé, a été créé pour servir de réserve financière d’appoint lors d’urgences sanitaires. Cependant, à la connaissance de Human Rights Watch, qui a tenté sans succès d’obtenir des informations auprès du gouvernement, aucune information au sujet des règles de gestion de ce fonds ou de ses activités n’a été publiée, ce qui le rend vulnérable à la corruption et aux détournements.
Human Rights Watch s’est entretenu avec huit membres du personnel médical, soit six médecins et deux infirmières, avec trois avocats et avec plusieurs représentants d’organisations non gouvernementales locales réparties dans tout le Cameroun, entre le 6 avril et le 24 mai 2020. Toutes ces personnes ont affirmé n’avoir aucune information concernant des décaissements du Fonds de solidarité pour la santé. Les prestataires de soins de santé ont indiqué qu’ils pensaient que le gouvernement n’a jamais déboursé d’argent de ce fonds, même pour lutter contre le Covid-19, et pourtant les établissements médicaux continuent d’y contribuer à hauteur de 10 % de leurs recettes. Human Rights Watch a également écrit le 11 mai au ministre de la Santé, pour s’enquérir des règles de gestion du fonds et de ses activités, mais n’a pas reçu de réponse.
Le Cameroun avait enregistré 8 681 cas confirmés de Covid-19 et 208 décès à la date du 9 juin, la majorité de ces cas étant survenus dans les villes de Yaoundé et Douala. Le nombre réel de cas est très probablement plus élevé, car les capacités de dépistage sont limitées. Fin mars, le gouvernement a demandé aux citoyens de contribuer à un Fonds spécial de solidarité nationale, qu’il a créé pour fournir un appui supplémentaire aux efforts déployés pour limiter la propagation du Covid-19 et pour soigner les malades. Il a également reçu un financement d’urgence de 226 millions de dollars du Fonds monétaire international (FMI).
Les établissements sanitaires camerounais manquent de ressources adéquates pour faire face à la pandémie de Covid-19. Les prestataires de soins de santé que nous avons interrogés ont fait état de pénuries d’équipements hospitaliers de base, notamment de thermomètres, de produits désinfectants et de médicaments, ainsi que de ventilateurs, d’oxygène et d’équipements de protection pour les médecins et les infirmières tels que masques, gants et lunettes. Malgré ces pénuries, le gouvernement n’a fourni aucune information concernant les sommes encaissées par le Fonds de solidarité pour la santé, ses éventuels décaissements et le solde disponible, et n’a pas davantage clarifié ses règles de gestion. L’absence apparente de recours à ce fonds pour faire face à l’actuelle crise sanitaire et économique suscite de graves inquiétudes sur la possibilité que l’argent ait été mal utilisé ou détourné par corruption.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) ayant officiellement qualifié le Covid-19 de pandémie, la crise sanitaire et économique qu’elle a causée est suffisamment grave pour déclencher des déboursements du Fonds de solidarité pour la santé. Dans un rapport publié en 2018, la Banque mondiale a tiré la sonnette d’alarme au sujet de l’absence de règles et d’informations sur ce fonds, notant qu’« on n’est pas en mesure de savoir clairement à quoi sert le Fonds de solidarité » et qu’« il n’y a toujours pas de législation sur son mode d’utilisation. » Ce rapport formulait également des préoccupations relatives au fait que les transferts d’argent vers le fonds puissent « être une importante source de gaspillage de revenus », en particulier parce que les établissements de soins primaires reçoivent une part très modeste du budget national consacré à la santé.
Les prestataires de soins médicaux ont partagé ces préoccupations. Un médecin basé dans la capitale, Yaoundé, a déclaré :
Il y a toujours eu un manque d’information au sujet de ce fonds. Ce qui est certain, c’est que les établissements de santé continuent de payer et que s’ils ne le font pas, ils reçoivent des lettres de relance du ministère de la Santé. Il n’y a pas de transparence sur l’utilisation du fonds. Combien d’argent contient-il? L’argent qui y est versé a-t-il jamais été utilisé? Il y a là tous les aspects d’une caisse noire.
L’absence de transparence est un problème tout particulièrement parce que les revenus du fonds proviennent dans une large mesure des frais de traitement supportés par les malades, ce qui fait augmenter le coût des soins médicaux. En 2018, 70 % du total des dépenses de santé du pays étaient supportés par les ménages. Les contributions des ménages du Cameroun aux coûts des soins de santé placent le pays au troisième rang parmi les nations d’Afrique sub-saharienne, où la moyenne se situe à 34 %.
Des études ont montré qu’environ 64 % des ménages au Cameroun ne cherchent pas à obtenir des soins médicaux, car ils craignent que le coût des soins ne soit trop élevé. Ceci pose des dangers particuliers dans le contexte de l’actuelle pandémie car, bien que le gouvernement ait décidé que les tests de dépistage seraient gratuits, les malades doivent quand même payer pour tout ce qui a trait aux soins, ce qui peut être coûteux. Ces coûts pourraient décourager les malades de se faire soigner et conduire à une aggravation de la pauvreté et à l’impossibilité d’accéder aux services de santé. Bien qu’il existe des caisses d’assurance maladie, ou mutuelles, dans le pays, beaucoup sont en faillite et ne peuvent pas payer les établissements de santé pour les services offerts à leurs assurés.
Le gouvernement a exercé des représailles contre les efforts de l’opposition politique pour combler les lacunes relevées dans la réponse officielle au Covid-19. Le 11 mai, la police a arrêté six bénévoles de Survie-Cameroun, une initiative de collecte de fonds lancée par un dirigeant de l’opposition, Maurice Kamto, pour répondre à la situation d’urgence sanitaire, alors qu’ils distribuaient des masques de protection et du gel désinfectant à Yaoundé. Ils ont été accusés de rébellion, puis remis en liberté le 15 mai. Mais le 23 mai, les forces de sécurité ont arrêté trois autres bénévoles de la même organisation à Sangmelina, une ville de la province du Sud. Ils ont été remis en liberté le 29 mai.
Par l’intermédiaire du ministre de l’Administration du territoire, le gouvernement a bloqué les initiatives de collecte de fonds parrainées par l’opposition, ainsi que les dons de masques de protection et de tests de dépistage du Covid-19. Le gouvernement a refusé d’accepter de l’équipement offert par Survie-Cameroun, s’attirant des critiques, notamment de la part de professionnels de la santé qui se sont plaints du manque de matériel pour se protéger et pour soigner les malades.
La corruption est interdite aux termes de la section 134 du Code pénal du Cameroun et, cependant, le pays a de longue date un problème bien documenté et persistant de corruption. Ces dernières années, le gouvernement a créé des institutions ad hoc pour lutter contre la corruption, comme la Commission nationale anti-corruption, le Bureau du Contrôle supérieur de l’État et une Cour pénale spéciale. Toutefois, des analystes, des critiques et des organisations non gouvernementales ont mis en doute l’efficacité de ces organes et exprimé l’inquiétude que le gouvernement pourrait s’en servir pour réprimer la contestation politique.
« Le gouvernement du Cameroun devrait d’urgence faire la lumière sur l’utilisation de l’argent du fonds et indiquer si une partie a été perdue du fait d’actes de corruption ou de détournements, et établir des règles claires et des exigences de transparence afin d’éviter que cela se reproduise à l’avenir », a affirmé Lewis Mudge. « Pendant près de 30 ans, les Camerounais ont versé beaucoup d’argent à ce fonds et ils devraient pouvoir compter dessus maintenant pour les aider à surmonter cette pandémie. »
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#Cameroun: Le gvt devrait publier des infos sur l’utilisation du Fonds de solidarité pour la santé face à la pandémie de #Covid19. Les établissements de santé ont versé des contributions obligatoires à ce fonds pendant +de 25 ans. Dernier rapport @hrw https://t.co/EcBhU7avcz
— ilaria allegrozzi (@ilariallegro) June 12, 2020