(New York) – Les autorités haïtiennes devraient enquêter de manière approfondie sur les allégations graves d’agressions sexuelles portées contre le président de la Fédération haïtienne de football (FHF) et entamer les poursuites judiciaires adéquates, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Comme l’a indiqué The Guardian, des survivantes et des membres des familles ont accusé le président de la Fédération, Yves Jean-Bart, d’avoir contraint de jeunes joueuses du Centre technique national de Croix-des-Bouquets à avoir des relations sexuelles avec lui.
La Fédération internationale de football association (FIFA), l’instance dirigeante mondiale de ce sport, a confirmé que son comité d’éthique indépendant enquête en Haïti sur ces allégations. La FIFA devrait exercer sa prérogative de suspendre le président de la FHF et tout autre responsable identifié par cette investigation, a préconisé Human Rights Watch. Une telle mesure est déterminante pour réduire les risques d’abus ou de représailles contre les femmes et les filles dans le système haïtien du football. La FIFA devrait également conduire son enquête en privilégiant une approche centrée sur les survivantes qui fasse preuve de sensibilité, et garantisse la sécurité des victimes présumées et leur accès aux services d’assistance dans le cadre des entretiens et des tentatives d’entrer en contact avec elles.
« Les autorités haïtiennes doivent enquêter sur toutes les allégations de crimes perpétrés contre des femmes et des filles qui rêvaient de jouer au football pour leur pays », a déclaré Minky Worden, directrice des Initiatives mondiales au sein de Human Rights Watch. « Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a encouragé femmes et filles à pratiquer le football, et la FIFA a le devoir de protéger toutes les joueuses des risques d’agression sexuelles commis par des responsables. »
Yves Jean-Bart, qui dirige la Fédération haïtienne de football depuis 2000, a été récemment réélu pour un sixième mandat. La Fédération supervise les équipes de jeunes, d’hommes et de femmes ainsi que la formation. Jean-Bart a publiquement rejeté ces allégations.
Cependant, une ancienne joueuse de l’équipe nationale féminine d’Haïti, qui s’est entretenue avec Human Rights Watch, a déclaré que Jean-Bart avait profité de promesses de contrats ou de bourses et brandi des menaces d’expulsion du centre national de formation pour faire pression sur de jeunes joueuses pour qu’elles se livrent à des relations sexuelles avec lui.
La jeune femme, qui vivait et s’est entraînée dans le Centre technique national de formation, a déclaré à Human Rights Watch que des femmes et des filles y avaient été victimes de graves sévices sexuels pendant les années où elle y était rattachée.
Lorsqu’elle a cherché à progresser professionnellement en tant que joueuse, il lui a été dit que ses contrats et « ma chance de jouer à l’étranger dépendaient du fait de coucher avec le président ». Quand elle avait 16 ou 17 ans, a-t-elle relaté, « il a mis sa main sur ma jambe pour que je parte avec lui. » Elle a vu une employée de la FHF réveiller des filles tôt « ‘‘pour aller chez le médecin’’ et elles revenaient très tard dans la nuit avec de nouveaux vêtements. » Elle a indiqué que les adolescentes, tombées enceintes, ont eu des enfants du président. « Tous les joueurs, responsables et personnels du centre étaient au courant de ce qui se passait. »
En Haïti, les femmes et les filles ont du mal à avoir accès à la justice, et la violence sexiste est un problème répandu. Le pays ne dispose pas de législation spécifique contre la violence domestique, le harcèlement sexuel ou d’autres formes de violence sexiste. Le viol n’a été explicitement considéré comme un crime qu’en 2005, par décret ministériel. En 2017, le ministère haïtien de la Santé a rendu publique une enquête selon laquelle une femme sur huit aurait subi des violences sexuelles à un moment donné de sa vie.
Human Rights Watch documente depuis plusieurs années la manière dont les Haïtiennes qui demandent justice pour les crimes de violence sexuelle se heurtent à de multiples obstacles, notamment des reproches de la part de l’opinion publique ou des menaces. Certaines survivantes, visées par des menaces ou des représailles pour avoir saisi la justice pénale, ont retiré leurs plaintes. Dans une affaire très médiatisée, une femme avait porté plainte contre un ancien ministre de la Justice, affirmant qu’il l’avait violée en 2012. Elle a ensuite déclaré avoir reçu plusieurs menaces de mort, ce qui l’a contrainte à retirer sa plainte.
Des organisations de défense des droits des femmes en Haïti ont exhorté le Ministère de la justice à prendre des mesures immédiates. « Il est absolument indispensable de protéger les filles et de garantir leur anonymat. Nous sommes inquiets pour leur sécurité », a déclaré à The Guardian Yolette Andrée Jeanty, la directrice de l’association Kay Fanm en Haïti.
Le 21 mai 2020, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), une importante organisation de défense des droits basée à Port-au-Prince, a rendu public un rapport qui documente les abus imputés à Jean-Bart, et « exige une enquête judiciaire sérieuse ».
Au cours des deux dernières années, un certain nombre de cadres de la FIFA à travers le monde ont été accusés de harcèlement sexuel ou d’agression. En 2019, Ahmad, président de la Confédération africaine de football et vice-président de la FIFA, a fait l’objet d’une enquête pour plusieurs allégations, notamment de harcèlement sexuel présumé de plusieurs femmes. Cette enquête est toujours en cours et Ahmad nie les allégations.
En Afghanistan, des membres de l’équipe nationale afghane de football féminin ont accusé le président de la Fédération afghane de football (AFF), Keramuudin Karim, et d’autres responsables de l’AFF d’agressions sexuelles, de harcèlement et de discrimination. La FIFA a infligé à Karim une exclusion à vie et une amende d’un million de francs suisses (soit environ un million de dollars). La FIFA a suspendu Karim et d’autres cadres de l’AFF lors de son enquête sur les plaintes pour agression sexuelle, et les a finalement interdits de tout rôle officiel dans ce sport.
Depuis 2016, la FIFA a consacré sa responsabilité de respecter les droits humains dans l’article 3 de ses Statuts, constitué un Conseil consultatif indépendant des droits de l’homme, confié à des membres de son personnel des rôles en matière de droits humains et de protection et de sûreté des enfants, établi un système de plainte pour les violations des droits humains, et adopté en 2017 une Politique en matière de droits humains indiquant que « les engagements de la FIFA en matière de droits de l’homme sont contraignants pour l’ensemble de ses organes et de ses officiels. »
En juin 2019, la FIFA a créé le programme « FIFA Guardians », qui fait obligation aux dirigeants du football de « répondre aux préoccupations relatives à l’enfant » et établit des « directives pour l’identification, la prévention et la minimisation des risques pour les enfants impliqués dans le football » (dans le cadre de l’Étape 3). Le message du président Infantino se lit comme suit :
Dans ce guide, la FIFA a fixé les principes directeurs et les exigences minimales qui permettront aux responsables et organisateurs de notre sport de garantir un environnement sûr et enrichissant pour les plus jeunes membres de la famille du football. Car cet environnement n’est pas un privilège, mais un droit, pour chaque enfant.
La footballeuse haïtienne interrogée a déclaré à Human Rights Watch qu’athlètes et parents étaient impuissants face au président, après qu’il s’est livré à des abus sexuels sur des filles et les a menacées de garder le silence : « Il est connu pour payer des mafieux et des gangsters locaux. Ils viennent au centre de formation tout le temps. Une joueuse que je connais a reçu un appel récent : ‘‘Si vous parlez, Dadou [Jean-Bart] vous tuera’’. »
Si elle a reconnu avoir peur, elle a également déclaré : « J’espère que ‘‘Dadou’’ finira en prison et répondra de ses actes, de même que tous les autres membres de la Fédération haïtienne de football, car ils étaient au courant de ses crimes et ont été impliqués dans des abus sexuels. »
« Une suspension immédiate du président de la fédération haïtienne et de tout autre responsable impliqué le temps que soit mené l’enquête sur ces graves allégations signifierait que la FIFA a l’intention de protéger les jeunes athlètes des représailles », a conclu Minky Worden. « Alors que des menaces ont déjà été exercées, la FIFA a le devoir évident de limiter la capacité des responsables d’intimider ou de faire taire les accusatrices. »
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OPINION | Par Minky Worden (@hrw)
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Il est urgent de délivrer un carton rouge contre les agressions sexuelles dans le monde du football haïtien
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