(Nairobi) – Le gouvernement guinéen devrait cesser de réprimer l’exercice du droit de manifester en remettant en liberté des responsables de la société civile et des manifestants opposés à l’adoption d’une nouvelle constitution, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Il devrait également enquêter sur les meurtres de manifestants et d’un gendarme survenus lors de trois jours de manifestations qui ont commencé le 14 octobre dans la capitale, Conakry, et dans des villes de l'intérieur.
Le gouvernement a de fait interdit les manifestations de rue depuis plus d’un an, invoquant des menaces pour la sécurité publique. Mais les restrictions qu’il impose au droit de manifester se sont aggravées au cours de cette semaine, les forces de sécurité ayant arrêté des activistes qui avaient pris la tête de l’opposition à l’adoption d’une nouvelle constitution et recouru à une force excessive pour disperser des manifestations dans tout le pays, le gouvernement reconnaissant la mort de neuf personnes, dont un gendarme.
« Le gouvernement guinéen ne devrait tout simplement pas dénier à la population son droit d’exprimer son opposition à une nouvelle constitution », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Une interdiction totale des manifestations, l’arrestation arbitraire de dirigeants de la société civile et la dispersion violente de manifestants démontrent que le gouvernement est prêt à fouler aux pieds les droits humains pour écraser toute contestation. »
La Guinée se trouve dans une impasse politique dans l’attente d’une annonce du président Alpha Condé sur le point de savoir s’il tentera de modifier la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat à la tête de l’État lors de l’élection présidentielle de 2020. Il n’a pas indiqué ses intentions mais le 9 octobre, son gouvernement a achevé des consultations sur la nécessité d’une nouvelle constitution.
Le Front national de défense de la Constitution (FNDC) – une coalition d’organisations non gouvernementales et de partis d’opposition qui a boycotté le processus de consultation – a annoncé le 7 octobre des manifestations dans tout le pays à partir du 14 octobre. Le général Bourema Condé, ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, a déclaré le 9 octobre que la déclaration du FNDC constituait « une menace ouverte à la paix et à la sécurité de notre nation ».
Le 12 octobre, les forces de sécurité ont arrêté sept membres de la direction du FNDC, dont son coordinateur, Abdourahmane Sanoh, lors d’une réunion au domicile de ce dernier. Parmi les autres membres du FNDC arrêtés, figurent Sekou Koundouno, chef de la planification du FNDC; Ibrahima Diallo, chef des opérations; et Abdoulaye Oumou Sow, directeur des communications numériques. Le frère de Sanoh, Mamadou, a également été arrêté plus tard.
L'un des avocats des personnes arrêtées a déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient pu voir leurs clients brièvement le 12 octobre à la Direction de la police judiciaire, mais qu’ils n’avaient plus eu accès à eux après leur transfert dans une caserne d’une unité d’élite des forces de sécurité, la Compagnie mobile d’intervention et de sécurité (CMIS), et ensuite dans le siège des services de renseignement guinéens. Les huit hommes ont été déférés devant un tribunal le 14 octobre et incarcérés à la prison centrale de Guinée. Le 16 octobre, ils ont été déférés devant un tribunal pour être jugés pour des actes de nature à porter atteinte à l’ordre public. Le procès a été ajourné jusqu’au 18 octobre.
Malgré l’arrestation de la direction du FNDC, des manifestations de grande ampleur contre une nouvelle constitution ont commencé le 14 octobre à Conakry et dans d’autres villes. Des journalistes et des témoins ont fait état d’un important déploiement de policiers et de gendarmes pour disperser les manifestations, y compris à l’aide de canons à eau et de gaz lacrymogènes.
Il y a eu de nombreux affrontements entre manifestants et forces de sécurité à Conakry et à l’intérieur de la Guinée, des témoins affirmant que les forces de sécurité avaient parfois tiré à balles réelles. Des témoins ont affirmé que les manifestants avaient fréquemment lancé des pierres et d'autres projectiles sur les membres des forces de sécurité.
Des séquences filmées publiées le 15 octobre montrent des agents de police se servant de leur matraque pour frapper deux manifestants et, dans un de ces deux cas, promenant de force le manifestant entièrement nu et faisant semblant de l’égorger. Human Rights Watch a documenté abondamment l’utilisation d’armes à feu par les policiers et les gendarmes et leur recours excessif à une force létale quand ils contrôlaient des manifestations dans le passé, ainsi que des passages à tabac de manifestants, des actes de corruption et d’autres formes de criminalité.
Le gouvernement guinéen a justifié l’interdiction des manifestations de cette semaine au motif que la direction du FNDC n’avait pas notifié à l’avance le gouvernement de l’organisation des manifestations. Le président Condé a affirmé le 14 octobre qu’il était attaché au droit de manifester mais que les organisateurs devaient « informer et impliquer » les autorités afin « qu’un itinéraire soit défini et que des mesures de sécurité appropriées soient prises pour assurer la sécurité de la manifestation. »
Cependant, de telles déclarations occultent le fait que, depuis juillet 2018, les responsables gouvernementaux ont systématiquement interdit toutes les manifestations pour lesquelles ils avaient reçu notification à l’avance. Au lieu d’œuvrer avec le FNDC et d’autres organisations non gouvernementales ou d’opposition pour faciliter l’exercice du droit de manifester, les forces de sécurité ont arrêté, au cours de l’année écoulée, les individus qui défiaient l’interdiction de manifester et utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les protestataires.
Les manifestations se sont poursuivies les 15 et 16 octobre, et le FNDC a affirmé que 10 personnes ont été tuées cette semaine et 70 autres blessées par balles. Dans des communiqués, le gouvernement a confirmé la mort d’au moins neuf personnes mais a nié que les policiers et gendarmes étaient porteurs d’armes à feu lors des manifestations. Le FNDC a affirmé que les forces de sécurité ont arrêté et mis en détention plus de 200 manifestants.
Human Rights Watch a recommandé en avril que le gouvernement crée une unité judiciaire spéciale pour enquêter sur les décès survenus lors de manifestations. Les membres des forces de sécurité ne font pratiquement jamais l’objet d’enquêtes ou de poursuites judiciaires pour leur rôle présumé dans des décès lors de manifestations.
« La répression brutale des manifestations par le gouvernement guinéen et l’impunité quasi-totale pour les abus commis par les forces de sécurité est la recette d’une détérioration préoccupante de la situation en matière de droits humains », a affirmé Corinne Dufka. « Au lieu d’arrêter des dirigeants de la société civile, le gouvernement devrait enquêter sur les inquiétantes allégations de violences, y compris par les forces de sécurité, et sanctionner les responsables. »
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#Guinée : HRW appelle à la cessation de la répression brutale - et parfois létale - contre des manifestants qui s'opposent au projet de révision constitutionnelle, conçu pour permettre un 3ème mandat du président. https://t.co/WsiIbH5TOy
— HRW en français (@hrw_fr) October 18, 2019
Guinée : Human Rights Watch appelle à la fin de la répression contre les défenseurs de la Constitution https://t.co/XT9CT607IN
— guinee28.info (@Guinee28Info) October 18, 2019
2020
Human Rights Watch (@hrw) dénonce dans son dernier rapport mondial sur les droits humains la répression croissante des libertés de réunion et d'expression en 2019 en #Guinee.
— RFI (@RFI) January 16, 2020
Jim Wormington, chercheur pour HRW au @TommasoMarro #RFIMatin pic.twitter.com/reqhcPcW2P