Skip to main content
Faire un don

Cameroun : L’enquête promise devrait être indépendante

Les forces gouvernementales ont semé la terreur dans une ville de la région du Nord-Ouest

L'église « Rama », incendiée le 15 mai 2019 par les forces de sécurité, à Muwatsu, Mankon, Bamenda, région Nord-Ouest, au Cameroun. © 2019 Privé

(Bruxelles) – Des militaires camerounais ont semé la terreur dans la région anglophone du Nord-Ouest le 15 mai 2019, incendiant plus de 70 habitations à Mankon, dans l’agglomération de Bamenda. Des militaires ont notamment traîné de force un homme hors de chez lui avant de l’abattre dans la rue.

Dans un communiqué de presse diffusé le 16 mai, le ministre de la Défense a annoncé avoir ordonné l’ouverture d’une enquête sur les incendies de maisons et les destructions de biens. Le gouvernement devrait s’assurer que les militaires impliqués dans ces actes soient amenés à en répondre devant la justice.

« La décision du gouvernement d’ouvrir une enquête sur ces attaques contre des civils et contre leurs biens est un pas important vers l’établissement des responsabilités », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « L’enquête devrait être menée promptement et de manière indépendante et impartiale, mais elle ne devrait pas s’arrêter là. Le gouvernement devrait immédiatement examiner les autres incidents lors desquels ses forces de sécurité sont accusées d’avoir commis des abus et en poursuivre les responsables en justice. »

Human Rights Watch s’est entretenu avec 15 habitants de Mankon, dont 10 témoins, qui ont décrit comment des militaires de l’Armée de l’air et du Bataillon d’intervention rapide (BIR) avaient coordonné l’attaque. Human Rights Watch a également examiné des images satellite qui montrent plus de 70 bâtiments touchés par l’incendie, ainsi que des photos et des vidéos montrant des destructions importantes de biens.

Image satellite montrant plus de 70 bâtiments touchés par des incendies à Mankon, Cameroun, entre le 13 et le 17 mai 2019. Les dommages signalés sont peut-être sous-estimés, en raison de la faible résolution de l’image. © Planet Labs 2019

Depuis trois ans, les régions anglophones du Cameroun sont prises dans un cycle de violences qui a fait 1 800 morts et déraciné un demi-million de personnes. Les forces du gouvernement et les groupes armés séparatistes ont commis de graves violations des droits humains à l’encontre de la population civile.

Le 15 mai, à la suite du meurtre de deux militaires de l’Armée de l’air par des hommes soupçonnés d’être des séparatistes armés, les forces de sécurité ont tué Nwacha Christopher Neba, un mécanicien âgé de 41 ans, et ont incendié de nombreuses habitations et boutiques dans les quartiers d’Alachu, de Matsam et de Muwatsu, dans la ville de Mankon, lors d’une apparente opération de représailles contre des habitants perçus comme étant des sympathisants des séparatistes. Un témoin a déclaré que les militaires se sont rendus au domicile de Neba à Alachu, « ont enfoncé la porte, l’ont traîné dehors et l’ont violemment passé à tabac. » Puis le témoin a entendu des coups de feu. Il a affirmé que le cadavre de cet homme avait été retrouvé peu après dans la rue, une balle dans la tête et une dans le dos.

Dix témoins ont indiqué que les militaires avaient pillé des maisons et des boutiques et avaient abattu des animaux domestiques.

Un pasteur dont la maison a été incendiée dans le quartier d’Alachu a déclaré que des membres de l’Armée de l’air avaient investi le quartier vers 14h30, tirant sans discernement. « Quand nous les avons vus approcher, nous nous sommes enfuis et avons cherché refuge dans une église proche », a-t-il dit. « Les militaires ont abattu mes cinq cochons, ont enfoncé la porte de mon domicile et y ont mis le feu. Nous les avons vus volant des boissons dans une boutique, puis boire et faire la fête. »

Un autre habitant d’Alachu, un enseignant, a déclaré : « Lorsque les militaires sont venus, je me suis enfui et ils m’ont poursuivi. J’ai réussi à me cacher dans l’église baptiste. Quand je suis ressorti, j’ai trouvé ma maison complètement détruite par le feu et maintenant, je n’ai plus rien. »

Un membre des autorités locales de Muwatsu a déclaré : « Dans notre zone, plus de 100 personnes sont désormais sans abri. Les militaires ont incendié une vingtaine de maisons et ont détruit le bureau de notre Conseil de quartier. »

Des ateliers de menuiserie incendiés le 15 mai 2019 par les forces de sécurité à Alachu, Mankon, Bamenda, région Nord-Ouest, au Cameroun. © 2019 Privé

Les jours qui ont suivi cette attaque, les militaires ont empêché certains habitants de prendre des photos et d’évaluer les dommages subis par leurs maisons. « Le lendemain de l’attaque, j’ai essayé de retourner chez moi et d’évaluer l’étendue des dégâts », a déclaré un habitant d’Alachu. « J’ai été stoppé par des militaires postés au carrefour du kilomètre 8 et mis en joue parce que j’essayais de prendre des photos de ma maison. »

Le 17 mai, le gouverneur de la région Nord-Ouest a créé une commission chargée d’identifier les victimes de « l’incident » de Mankon et d’évaluer à la fois leurs besoins, la situation sur le plan humanitaire ainsi que les dégâts matériels et les biens détruits. Cette commission doit remettre son rapport d’ici au 24 mai.

Les assassinats et les destructions de biens privés par les forces de sécurité camerounaises sont fréquents depuis le début de la crise. Human Rights Watch a documenté de nombreux incendies de villages par des membres des forces de sécurité entre 2017 et 2019 dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ainsi que des meurtres de civils.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a demandé l’autorisation d’enquêter sur les abus commis dans les régions anglophones en 2018. Le gouvernement ne la lui a pas encore accordée. La Haute-Commissaire s’est rendue en visite au Cameroun début mai et a déploré les restrictions d’accès imposées aux agences humanitaires et aux activistes des droits humains internationaux et camerounais.

Le gouvernement camerounais a refusé à une chercheuse de Human Rights Watch l’autorisation d’entrer dans le pays le 12 avril, deux jours après la publication par notre organisation d’un bref rapport sur une attaque meurtrière menée par des militaires, des gendarmes et des membres du BIR contre un village dans la région du Nord-Ouest. 

Les autorités camerounaises et les séparatistes devraient cesser de commettre des abus contre les habitants et faire en sorte que les organisations humanitaires aient un accès libre et sans entrave à la région afin d’évaluer les besoins de la population et de leur porter assistance, a affirmé Human Rights Watch. Le gouvernement devrait aussi permettre aux observateurs des droits humains de travailler sans entrave et autoriser une supervision indépendante de ses efforts en vue de se conformer au droit international en matière de droits humains.

« Des militaires camerounais ont traîné de force un homme hors de sa maison et l’ont assassiné à Mankon, et ont incinéré des dizaines d’habitations », a affirmé Lewis Mudge. « Les autorités camerounaises devraient faire en sorte que l’enquête sur cette attaque soit indépendante et transparente et faire rendre des comptes à ses responsables. Et il devrait autoriser l’entrée dans le pays d’observateurs indépendants. »

----------------------

Dans les médias

Le Monde     Slate Afrique

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays