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RD Congo : Les meurtres postélectoraux constituent un test pour le nouveau président

L’administration Tshisekedi devrait enquêter et poursuivre les responsables en justice

Des policiers pourchassent des partisans du candidat à la présidence de l’opposition Martin Fayulu qui s’étaient rassemblés devant la Cour Constitutionnelle à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le 12 janvier 2019. © 2019 Tony Karumba/AFP/Getty Images)

(Kinshasa) – La nouvelle administration de la République démocratique du Congo devrait faire la preuve de son engagement en faveur des droits humains, en lançant une enquête impartiale sur les meurtres d’au moins 10 personnes par les forces de sécurité lors de manifestations postélectorales le 10 janvier 2019 et en engageant des poursuites contre leurs responsables. La plupart des personnes tuées et blessées ce jour-là protestaient après l’annonce controversée de la victoire de Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle qui s’était tenue le 30 décembre 2018.

Le 10 janvier, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’organe congolais chargé de superviser les élections, contrôlé par l’État, a déclaré Tshisekedi, un candidat de l’opposition, président à titre provisoire. Cette annonce contredisait des données ayant fait l’objet de fuites et émanant de la commission elle-même ainsi que de la mission d’observation de l’Église catholique selon lesquelles un autre candidat de l’opposition, Martin Fayulu, avait obtenu environ 60% des voix. Les partisans de Fayulu, appartenant à un large éventail de partis politiques, ont alors commencé à manifester dans de nombreuses villes à travers la RD Congo. Quoique certains manifestants se soient livrés à des violences, les forces de sécurité ont souvent répondu avec une force excessive, y compris une force létale non justifiée.

« Bien que ces meurtres aient été commis avant son entrée en fonction, la réponse qu’apportera le président Tshisekedi aux violences postélectorales constitue un premier test important pour son administration », a déclaré Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Après des années de répression brutale de la part du gouvernement sous son prédécesseur Joseph Kabila, Tshisekedi devrait démontrer que les victimes d’abus et leurs familles peuvent obtenir justice. »

Human Rights Watch a interrogé 66 personnes, dont des témoins des violences du 10 janvier, des victimes et des membres de leurs familles, des activistes, des journalistes, des travailleurs sociaux et des dirigeants de partis politiques.

Les forces de sécurité ont blessé des dizaines de personnes lors des manifestations ayant suivi l’annonce des résultats provisoires de l’élection. Au moins 28 personnes ont été blessées par balles à Kikwit, à Kananga, à Goma et à Kisangani, lorsque les forces de sécurité ont dispersé les manifestants.

À Kikwit, dans la province de Kwilu, l’un des fiefs électoraux de Fayulu, les forces de sécurité ont tué par balles cinq personnes le 10 janvier. À 5h00 du matin, des militaires ont abattu un conducteur de moto-taxi qui s’était approché d’un barrage de l’armée et n’avait pas obéi à l’injonction de faire demi-tour, selon trois activistes des droits humains. Les militaires ont tué vers 11h00 un autre homme, qui se dirigeait vers un camp de l’armée pour obtenir la remise en liberté d’un animateur de radio qui y était détenu. Trois des personnes tuées étaient des passants, selon les membres de leurs familles : deux garçons de 17 ans et un homme de 42 ans qui a reçu une balle dans la tête alors qu’il se dirigeait vers l’hôpital pour faire un don de sang pour sa nièce malade. Lors d’affrontements ce jour-là entre manifestants et forces de sécurité à Kikwit, au moins 22 protestataires ont été blessés par balles, et 16 agents de police et 3 militaires ont été blessés par des jets de pierres.

À Kisangani, dans la province de la Tshopo, au matin du 10 janvier, des jeunes sont descendus dans les rues pour protester contre l’annonce de la victoire de Tshisekedi. Les policiers qui dispersaient les manifestants ont abattu un garçon de 9 ans. On ignore si les policiers avaient visé ce garçon ou s’il a été tué par une balle perdue. Son père a indiqué que des jeunes du quartier lui avaient amené son fils vers 15h00 avec une balle dans le ventre. Le garçonnet est mort après une intervention chirurgicale.

À Goma, dans la province du Nord Kivu, la police a dispersé des manifestants dans le quartier de Karisimbi et a tué un jeune homme de 18 ans. Son oncle a indiqué que le jeune homme, qui rentrait de l’école, avait reçu des balles dans la tête et dans le bassin.

À Tshikapa, dans la province du Kasai, l’un des fiefs électoraux de Tshisekedi, un militaire a tiré sur un attroupement de membres de la milice Kamwina Nsapu – qui apparemment n’étaient pas armés – et de partisans de Tshisekedi, qui célébraient dans les rues l’annonce de la victoire de ce dernier. Trois d’entre eux ont été tués. Le militaire a été arrêté et placé en détention, mais il n’a été accusé que d’avoir tiré sur une foule sans ordres de son supérieur.

Felix Tshisekedi tient la constitution après avoir prêté serment en tant que président de la République démocratique du Congo, à Kinshasa, le 24 janvier 2019. © 2019 Olivia Acland/Reuters

Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois stipulent que les forces de sécurité « auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. » Lorsque l’usage de la force est inévitable, elles doivent agir de manière proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre, minimiser les blessures et préserver la vie humaine. En outre, elles « ne recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. »

« Les forces de sécurité ne devraient pas pouvoir s’abriter derrière le fait que les résultats de l’élection soient contestés pour protéger de toute poursuite en justice leurs membres qui ont commis de graves crimes », a affirmé Ida Sawyer. « Les nouveaux responsables du pays ont l’obligation d’enquêter sur ces crimes et de faire en sorte que l’impunité ne demeure pas la norme. »

Meurtres commis par les forces de sécurité à Kikwit

Une femme a raconté que la police de Kikwit, dans la province de Kwilu, avait tué par balles son fils, âgé de 17 ans, lors de manifestations qui se sont produites quelques heures après la proclamation des résultats provisoires de l’élection :

Il était environ 10h00 du matin. Mon fils a quitté la maison après avoir entendu des coups de feu, parce qu’il était inquiet au sujet d’un garçon qu’il avait envoyé [faire une course]. Malheureusement, il est tombé sur des agents de police qui couraient après des manifestants. Ils lui ont tiré dans le bras, mais la balle l’a atteint à la poitrine. Il est mort sur le coup et nous l’avons enterré deux jours plus tard. Mon fils n’avait même pas participé aux manifestations.

L’oncle d’un autre garçon de 17 ans a affirmé que les forces de sécurité avaient tué son neveu pendant les manifestations à Kikwit : « Mon neveu revenait de son [lieu de travail]. En chemin, il a croisé les manifestants. Il a reçu une balle dans la poitrine quand les forces de sécurité ont ouvert le feu pour disperser la foule. Il est mort sur le coup. »

La sœur d’un homme de 42 ans a déclaré que les forces de sécurité avaient tiré une balle dans la tête de son frère lors des manifestations à Kikwit, alors qu’il se rendait à l’hôpital pour faire un don de sang à sa nièce malade, qui avait besoin d’une transfusion : « Quand il a traversé la rue [vers l’hôpital], il a reçu une balle dans la tête et est mort sur le coup. Mon frère ne manifestait pas. Je savais qu’il y avait des troubles ce jour-là dans le quartier mais il fallait qu’il aille à l’hôpital. Ils l’ont tué sans raison. »

Human Rights Watch a reçu des informations crédibles concernant sept autres personnes tuées à Kikwit le 10 janvier. Les circonstances de leur mort demeurent peu claires. Des organisations locales de défense des droits humains ont affirmé qu’au moins 22 manifestants avaient été blessés par des coups de feu, et que 16 agents de police et 3 militaires avaient été blessés par des jets de pierres lors d’affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité.

Arrestations politiques, abus commis par les forces de sécurité

À Kikwit, un général de l’armée congolaise a arrêté un animateur de radio, Marcel Kungu, surnommé « Kiyoki », et son fils à leur domicile le 10 janvier. Ils ont été remis en liberté quelques heures plus tard. Kungu a affirmé qu’on ne lui a jamais dit pourquoi il avait été arrêté :

Je suis un influenceur d’opinion à Kikwit parce que j’anime une émission axée sur la sensibilisation, sur une station de radio catholique. Mais je n’ai ni diffusé de message incitant la population à se révolter après la publication des résultats, ni dit quoi que ce soit qui puisse conduire à mon arrestation. Mon interpellation a scandalisé de nombreux jeunes à Kikwit.

Lors des manifestations à Kisangani le 10 janvier, au moins deux personnes ont été blessées par des balles perdues. Les autorités ont arrêté et détenu brièvement 21 personnes. Un homme de 27 ans a déclaré que la police, l’armée et les membres de la Garde républicaine avaient tiré pour disperser les manifestants et qu’une balle l’avait atteint du côté droit et était ressortie dans son dos :

Vers 10h00 du matin, je suis sorti pour acheter des boissons pour célébrer la victoire de mon oncle, élu membre du parlement. J’entendais des coups de feu mais je n’avais pas peur car ils semblaient lointains. Soudain, j’ai senti comme l’impact d’une grosse pierre dans mon dos. Je suis tombé au sol et j’ai réalisé plus tard que j’avais été atteint d’une balle. Les gens ont crié que les militaires avaient abattu quelqu’un et ont commencé à courir dans tous les sens pour se mettre à l’abri, y compris mon frère qui était avec moi. J’ai réussi à aller jusqu’à l’hôpital où je suis toujours soigné. C’est ma famille qui assume ce fardeau [des frais médicaux] car je ne travaille pas. Je ne suis qu’étudiant.

À Mbandaka, dans la province de l’Équateur, la police a tiré des cartouches de gaz lacrymogène et des coups de feu en l’air pour disperser des partisans de la coalition pro-Fayulu Lamuka (« Réveille-toi » en lingala et en swahili, deux des quatre langues nationales de la RD Congo), alors qu’ils manifestaient le 11 janvier devant le centre de décompte des voix de la CENI pour exiger les résultats officiels de l’élection. Le dirigeant local de Lamuka a été arrêté et détenu pendant trois jours.

À Kinshasa, les forces de sécurité ont dispersé des partisans de Fayulu dans le quartier de la Gombe le 12 janvier. Au moins 6 personnes ont été blessées et une dizaine ont été arrêtées. Un homme qui a été témoin de la scène a raconté : « Nous étions devant la Cour Constitutionnelle, chantant et attendant l’arrivée de Fayulu [pour faire appel des résultats provisoires de l’élection], quand la police est arrivée et nous a chassés en recourant aux lacrymogènes et aux tirs en l’air. »

Un militant qui s’était rendu à la résidence de Fayulu pour l’accompagner jusqu’à la Cour a affirmé que des militaires de la Garde républicaine, membres du service de protection rapprochée du président, avaient dispersé les partisans de Fayulu : « Les Gardes républicains nous ont chassés, nous frappant avec leurs fusils et arrêtant des gens.... Ils ont escaladé le mur de la résidence de Fayulu pour aller chercher les activistes qui étaient à l’intérieur, mais un officier supérieur est alors arrivé et a ordonné aux soldats de partir. »

À Butembo, dans la province du Nord Kivu, des policiers et des militaires ont arrêté un activiste politique, Tembos Yotama, à son domicile le 14 janvier. Deux jours plus tôt, il avait appelé à une grève générale dans la ville sur les ondes des stations de radio locales, pour exiger que les élections se tiennent à Beni, à Butembo et à Yumbi, trois zones favorables à l’opposition où les opérations de vote avaient été reportées. La décision de dernière minute de la CENI de reporter le scrutin dans ces régions – officiellement à cause de préoccupations en matière de sécurité et de santé – a eu pour effet d’empêcher plus de 1,2 million d’électeurs de participer à l’élection présidentielle. Les autorités ont transféré Yotama à Goma et l’ont accusé d’incitation au soulèvement et à la révolte, et d’outrage envers l’autorité. Il a été remis en liberté provisoire le 30 janvier.

Le 14 janvier, les forces de sécurité à Butembo ont arrêté huit autres personnes soupçonnées de travailler étroitement avec Yotama, dont quatre de ses voisins. Quatre de ces personnes ont été détenues dans une cellule des services de renseignement à Butembo et les quatre autres dans un poste de police. Elles ont toutes été remises en liberté le 24 janvier.

Le 21 janvier, la police a empêché la tenue d’une réunion prévue par Fayulu au siège d’un parti d’opposition, le Mouvement de libération du Congo (MLC), à Kasa-Vubu, une commune de Kinshasa. La police est entrée dans les lieux, a dispersé les partisans de Fayulu, arrêté et détenu brièvement un technicien du son et un chauffeur, et a confisqué le matériel de sonorisation, empêchant la tenue du meeting. Un journaliste a affirmé que la cheffe du détachement de police l’avait empêché d’entrer au siège du MLC. Il a précisé qu’elle lui avait dit avoir reçu l’ordre de ne laisser personne entrer et de ne pas permettre la tenue de la réunion.

Un autre journaliste a affirmé que la police l’avait agressé au siège du MLC à Kinshasa le 21 janvier :

Vers 13h00, j’ai essayé d’entrer au siège du parti. Je me suis identifié au premier point de contrôle de police. On m’a laissé passer, ainsi qu’au deuxième point de contrôle. Mais quand je suis arrivé au troisième point de contrôle, les agents de police ne m’ont pas écouté. Ils ont commencé à me pousser violemment et je me suis enfui. Alors que je m’en allais, huit ou neuf [policiers] m’ont barré la route et m’ont frappé avec leurs fusils. C’est grâce à l’intervention de collègues [journalistes] que j’ai finalement pu partir.

Des manifestations et des grèves se sont produites à travers tout le pays depuis que Tshisekedi a prêté serment en tant que président le 24 janvier. Le 27 janvier, des étudiants de l’Université de Lubumbashi ont protesté contre les coupures d’électricité et d’eau et contre la hausse des frais d’inscription. La police est intervenue et a tué par balles au moins un étudiant et un élève. Alors qu’elle dispersait des manifestants le lendemain dans le même quartier universitaire, la police a abattu une femme de 56 ans. Dans un communiqué de presse du 30 janvier, le nouveau directeur de cabinet de la présidence, Vital Kamerhe, a déclaré que le commandant de police impliqué dans les tirs à l’université devrait rendre des comptes devant la justice. Le lendemain, quatre agents de police ont été déférés devant un tribunal militaire et leur procès est en cours.

Violences commises par les manifestants, affrontements entre rivaux politiques

Plusieurs affrontements ont eu lieu entre partisans de Tshisekedi et de Fayulu dans des quartiers de Kinshasa après l’annonce des résultats provisoires. Des partisans en colère de Lamuka ont également commis des violences.

Un activiste des droits humains a affirmé avoir vu des partisans de Tshisekedi qui scandaient des slogans à caractère provoquant à l’adresse de partisans de Fayulu vers 6h00 du matin le 10 janvier, dans le quartier de Kimbanseke à Kinshasa. Les partisans de Fayulu ont alors attaqué ceux de Tshisekedi à coups de pierres et de bâton, déclenchant une bagarre générale entre les deux groupes. Les vitres de plusieurs immeubles du voisinage ont été brisées. Dans la commune de Kintambo à Kinshasa, le 10 janvier, un groupe de partisans de Fayulu a passé à tabac des motocyclistes qui célébraient l’annonce de la victoire de Tshisekedi.

Dans de nombreux cas, la police est intervenue pour disperser les manifestants avec des gaz lacrymogènes et en tirant des coups de feu en l’air.

À Kisangani, des manifestants ont pillé le domicile d’un agent de la CENI quelques heures après l’annonce des résultats provisoires. Un témoin a indiqué que la famille de cet agent avait pris la fuite la veille au soir, à la suite de rumeurs sur la probabilité d’attaques dans le cas où Fayulu ne serait pas déclaré vainqueur de l’élection. Quand les agents de police chargés de sécuriser la maison se sont déplacés vers un autre quartier de la ville pour y rétablir l’ordre, des partisans présumés de Fayulu ont saccagé la maison. La police est revenue juste à temps pour empêcher le groupe d’y mettre le feu.

À Kikwit, après l’annonce des résultats provisoires, un groupe de partisans de Lamuka a pillé des bâtiments publics et privés, dont le bureau gouvernemental du district. La police est intervenue et a dispersé ce groupe, dont certains membres ont lancé des pierres sur les policiers.

Un activiste de Kikwit a affirmé que des partisans de Lamuka avaient commis des violences contre les forces de sécurité : « Au lendemain matin de la publication des résultats, des jeunes proches de la coalition Lamuka ont attaqué le poste de police du quartier de Bongisa. Après avoir passé à tabac les agents de police, ils ont pillé le bureau et emporté des armes et des uniformes de police. »

Certains manifestants à Kikwit ont attaqué des centres d’accueil de personnes déplacées qui avaient fui des affrontements survenus depuis 2015 dans la région des Kasai entre l’armée et la milice Kamwina Nsapu. Ils ont pillé un centre d’accueil connu sous le nom d’« Amis d’enfants », ainsi qu’un centre national de réception de personnes déplacées. Des détenus de la prison centrale de Kikwit ont alors profité de la confusion et tenté de s’enfuir. Les autorités ont abattu certains d’entre eux alors qu’ils s’enfuyaient, selon deux activistes des droits humains.

Le 20 janvier, à la suite de la confirmation des résultats de l’élection par la Cour Constitutionnelle, des groupes de jeunes hommes ont manifesté à Bagata, dans la province de Kwilu. Certains manifestants ont attaqué des élèves qui avaient ignoré leur appel à observer une journée de désobéissance civile pour protester contre la décision de la Cour, blessant deux élèves de sexe féminin.

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