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Tunisie : Des lacunes dans l’application du droit à un avocat

Deux ans après son adoption, l’insuffisance de la mise en œuvre fragilise une loi historique

Mise à jour : Le 7 septembre 2018, Human Rights Watch a reçu une lettre du ministère de l'Intérieur tunisien comprenant des statistiques sur les détentions, ainsi que sur les questions d’assistance juridique. Un lien vers cette lettre (en arabe) a été rajouté ci-dessous.

(Tunis) – En Tunisie, l’insuffisance avec laquelle est appliquée la nouvelle loi facilitant l’accès des détenus à un avocat a limité l’impact de cette législation historique, même si les droits des détenus se sont légèrement améliorés depuis l’entrée en vigueur de ce texte il y a deux ans, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le rapport de 68 pages, intitulé “You Say You Want a Lawyer?: Tunisia’s New Law on Detention, on Paper and in Practice” (« “Comment ça, vous voulez un avocat ? ” » : La nouvelle loi tunisienne sur la garde à vue, du texte à la réalité » - document abrégé en français), examine l’impact réel de la loi accordant aux détenus le droit à un avocat dès le début de leur garde à vue. Chaque année, la police tunisienne arrête des milliers de personnes à travers le pays. Avant même d’être présentés à un juge, ils peuvent passer jusqu’à quatre jours consécutifs en garde à vue, une période cruciale pendant laquelle les chefs d’accusation contre eux sont susceptibles d’être renforcés, sans compter les maltraitances auxquelles ils peuvent être exposés.

« Sur le papier, les garanties offertes par cette loi d’accès rapide à un avocat sont une lueur d’espoir pour l’ensemble de la région », a analysé Amna Guellali, directrice de Human Rights Watch en Tunisie. « En pratique, nous sommes encore loin du moment où cette nouvelle loi protégera les détenus des mauvais traitements et des aveux extorqués sous la contrainte. »

Le 2 février 2016, le Parlement a adopté la loi n° 2016-5 (loi n° 5), qui accorde l’accès à un avocat dès le début de la mise en détention. Ce texte est devenu loi le 1er juin de la même année. Il fixe le principe général selon lequel tous les suspects placés en garde à vue ont le droit de consulter un avocat avant leur interrogatoire par la police et de bénéficier d’une assistance juridique lors de chaque séance d’interrogatoire. La présence d’un avocat lors des interrogatoires garantit l’intégrité des procédures pénales et soutient le droit du suspect à une défense efficace.

En s’appuyant sur des entretiens avec 30 anciens détenus et 17 avocats de la défense, Human Rights Watch a identifié plusieurs lacunes dans la mise en œuvre de la loi. Il n’existe par exemple aucun système pour s’assurer que la police respecte son obligation d’informer le suspect de son droit à la défense, ou pour contrôler que la police a réellement contacté l’avocat désigné du suspect ou l’avocat commis d’office qui représentent les suspects accusés de crimes. Certains anciens détenus ont assuré à Human Rights Watch que la police avait joint à leur dossier une fausse déclaration selon laquelle ceux-ci auraient renoncé à leur droit à la défense à l’issue de leur arrestation.

 
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, à peine 22 % des suspects détenus entre juin 2016 et mai 2017 ont pu exercer leur droit à la défense. Un tel chiffre résulte de plusieurs facteurs, notamment la méconnaissance de ce nouveau droit par l’opinion publique, le manque de diligence de la part des services de sécurité pour informer les détenus de ce droit et la réticence de certains avocats du Barreau à prêter assistance à des clients en l’absence d’un système garantissant leur rémunération.
 
La loi n ° 5 ne prévoit en effet pas de système pour couvrir le coût d’une consultation pour les suspects qui ne peuvent se le permettre. En conséquence, les Tunisiens qui n’ont pas les moyens de s’offrir un avocat ne bénéficient pas des droits fondamentaux prévus par cette loi.

La loi donne également au procureur le droit de retarder l’accès à un avocat pendant les 48 premières heures de détention pour les affaires de terrorisme. Dans ce qui constitue un abus manifeste des droits des détenus, les procureurs semblent invoquer systématiquement cette disposition dans ce type de dossier au lieu d’en décider au cas par cas.

La confidentialité des communications entre l’avocat et son client demeure menacée, a également constaté Human Rights Watch. Nombreux sont les avocats à avoir signalé que la plupart des postes de police ne disposent pas d’un local où les avocats peuvent avoir la consultation privée obligatoire de 30 minutes préalablement à l’interrogatoire.

Pour réduire le nombre de détentions inutiles, les autorités tunisiennes devraient introduire des amendements au Code de procédure pénale spécifiant que les arrestations ne doivent être effectuées qu’en cas de suspicion d’actes criminels raisonnablement étayées et que la détention préventive ne doit être qu’une mesure de dernier recours, a relevé Human Rights Watch.

Les autorités devraient veiller à ce que les agences d’application des lois s’acquittent de leur obligation d’informer les détenus de leur droit à un avocat et les assister dans l’exercice de ce droit dès le début de leur garde à vue. Les tribunaux ne devraient pas prendre en compte les résultats des gardes à vue lorsque les policiers ne s’acquittent pas de cette obligation légale, et les autorités tenir pour responsables de leurs actes ceux qui y ont failli.

Les autorités devraient également mettre en place une procédure visant à vérifier que la levée par un détenu de son droit à la défense est informée et librement consentie, par exemple en la filmant, ou en demandant à la police de garantir la présence d’une tierce partie comme un avocat ou un membre de la famille au moment où le détenu renonce à ce droit.

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Dans les medias :

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