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(Rangoon, le 19 décembre 2017) – L’armée birmane a procédé à des exécutions systématiques et à des viols de plusieurs centaines de Rohingyas dans le village de Tula Toli dans l’État de Rakhine (Arakan) le 30 août 2017, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Ce massacre fait partie d’une campagne de nettoyage ethnique menée par l’armée, qui a forcé plus de 645 000 Rohingyas à fuir vers le Bangladesh voisin depuis la fin du mois d’août.

Le rapport de 30 pages, intitulé « Massacre by the River: Burmese Army Crimes against Humanity in Tula Toli » (« Massacre sur les rives du fleuve : crimes contre l’humanité de l’armée birmane  à Tula Toli »), détaille l’attaque à laquelle ont procédé les forces de sécurité contre plusieurs milliers d’habitants du village de Tula Toli, officiellement connu sous le nom de Min Gyi. Dans ce rapport, Human Rights Watch montre comment les forces de sécurité ont piégé les villageois Rohingya sur les berges d’un fleuve pour ensuite tuer et violer hommes, femmes et enfants et incendier le village.

« Les atrocités de l’armée birmane à Tula Toli n’ont pas seulement été brutales, elles ont été systématiques », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie de Human Rights Watch. « Les soldats ont tué et violé des centaines de Rohingyas avec une efficacité particulièrement cruelle et qui n’a pu qu’être planifiée à l’avance. »

Les opérations militaires ont été lancées après les attaques de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) contre des avant-postes des forces de sécurité le 25 août dernier. Dans la matinée du 30 août, des centaines de soldats birmans en uniforme et des villageois armés de l’ethnie Rakhine sont arrivés à Tula Toli. Les habitants Rohingya, y compris ceux des régions voisines qui s’étaient réfugiés à Tula Toli après des attaques perpétrées contre leurs villes les jours précédents, ont fui vers la rive qui cerne le village sur trois côtés. De nombreux villageois ont déclaré à Human Rights Watch que le président local, membre de l’ethnie Rakhine, leur avait dit de se rassembler sur la plage, prétendant qu’ils y seraient en sécurité.

Les forces de sécurité ont ensuite encerclé la zone, tirant sur la foule rassemblée et ceux qui tentaient de fuir. Après avoir séparé hommes et femmes, elles ont maintenu femmes et enfants à l’écart dans l’eau peu profonde, pendant qu’elles tiraient systématiquement sur les hommes, ou les attaquaient à coups de couteau. Shawfika, 24 ans, dont le mari et le beau-père ont été tués sous ses yeux, a déclaré que les tueries de la plage se sont poursuivies pendant plusieurs heures:

Ils attrapaient les hommes et les forçaient à s’agenouiller puis ils les tuaient. Ensuite ils empilaient leurs corps. D’abord ils les abattaient et s’ils étaient encore vivants, ils les achevaient à coups de machettes ... Il leur a fallu une heure et demie pour transporter tous les corps.

Dans l’après-midi, des centaines de personnes avaient été tuées sur la rive du fleuve. Des soldats et des villageois de Rakhine ont brûlé les corps dans de profondes fosses creusées dans le sable, dans le but apparent de détruire les preuves du massacre.

Les survivants ont raconté que de jeunes enfants avaient été arrachés à leur mère et tués en étant jetés dans des brasiers ou dans la rivière, ou battus ou poignardés à mort à même le sol. Hassina Begum, 20 ans, a tenté de dissimuler sa fille de 1 an, Sohaifa, sous son foulard, mais un soldat l’a aperçue. « Il a pris ma fille et l’a jetée vivante dans les flammes, a-t-elle raconté. Que pouvais-je faire ? ... Il avait un couteau dans la main et un fusil à l’épaule ».

Des soldats ont emmené femmes et enfants par petits groupes dans des maisons voisines, où beaucoup ont été violés, agressés sexuellement, poignardés et battus. Neuf femmes et jeunes filles interrogées par Human Rights Watch ont déclaré avoir été violées ou agressées sexuellement et avoir été témoins du viol d’autres personnes. Par la suite, les soldats ont verrouillé les maisons et y ont mis le feu avec les femmes et les enfants à l’intérieur, pour la plupart morts ou inconscients. Shawfika a décrit comment elle s’était échappée de la maison en feu :

Quand je me suis réveillée, j’étais dans une épaisse mare de sang. J’ai essayé de réveiller les autres mais ils ne bougeaient plus. J’ai traversé le mur [de bambou] et je me suis échappée... Toutes les maisons autour étaient en feu. J’entendais des femmes crier dans d’autres maisons. Elles étaient prisonnières des flammes.


Comme beaucoup d’autres femmes interrogées, Shawfika était la seule survivante d’un groupe de huit femmes et enfants que les soldats avaient obligé à entrer dans la maison. Les témoignages indiquent que la pratique de ces viols et meurtres perpétrés à l’intérieur des maisons s’est répétée à plusieurs reprises.

Satellite imagery © DigitalGlobe 2017

Les images satellite analysées par Human Rights Watch confirment que le village Rohingya de Tula Toli et celui de Dual Toli à proximité, soit 746 bâtiments au total, ont été entièrement détruits par des incendies criminels, tandis que les villages voisins non-Rohingya sont restés intacts. Environ 4 300 villageois Rohingya vivaient à Tula Toli avant l’attaque.

L’armée birmane et le gouvernement ont plusieurs fois nié les allégations selon lesquelles les forces de sécurité auraient commis des violations. Le 13 novembre, une équipe d’enquête de l’armée birmane a publié un rapport qui indique que les forces de sécurité n’ont commis aucun abus pendant les opérations de l’État de Rakhine et qu’il n’y a « pas eu de morts de personnes innocentes ».

Les témoignages de Tula Toli tendent pourtant à confirmer que depuis le 25 août, l’armée birmane a commis contre les Rohingyas des abus constitutifs de crimes contre l’humanité, notamment des meurtres, viols, persécutions et déportations forcées. Le rapport fait la liste de nombreuses familles décimées lors de l’attaque de Tula Toli, avec les noms de plus de 120 personnes tuées, mentionnés par ceux qui, le plus souvent, sont les seuls survivants au sein de ces familles. Un rapport publié le 12 décembre par Médecins Sans Frontières (MSF) a révélé qu’au moins 6 700 Rohingyas sont morts suite à des violences dans le mois qui a suivi les opérations militaires de la fin du mois d’août, selon des enquêtes sur la mortalité menées dans des camps de réfugiés au Bangladesh.

Le gouvernement birman devrait immédiatement cesser sa campagne de nettoyage ethnique et fournir d’urgence aux agences humanitaires et à la Mission d’établissement des faits des Nations Unies un accès sans entrave à l’État de Rakhine, a déclaré Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité des Nations unies et les gouvernements concernés devraient imposer des sanctions ciblées aux dirigeants militaires birmans et aux principales entreprises appartenant aux militaires, y compris des interdictions de voyager et des restrictions à l’accès aux institutions financières, ainsi qu’un embargo militaire global sur la Birmanie.

« L’ONU et les gouvernements étrangers doivent veiller à ce que les responsables de ces graves abus rendent compte de leurs actes », a conclu Brad Adams. « Les condamnations ne peuvent suffire à rendre justice aux victimes de Tula Toli. Une action internationale concertée est désormais nécessaire. »

Des Rohingyas ayant survécu au massacre commis en août 2017 dans le village de Tula Toli dans l'État de Rakhine, en Birmanie, © 2017 Anastasia Taylor-Lind for Human Rights Watch
 

 

Témoignages issus du rapport

Massacre sur la rive du fleuve

« Les soldats ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Ils ont emmené les femmes et les enfants près de la rive et les hommes à un autre endroit de la plage. Certains hommes étaient assis, d’autres essayaient de fuir parce qu’ils avaient peur. On les massacrait à coups de pelle, et l’armée leur tirait aussi dessus et les tuait avec des armes tranchantes... Ils ont creusé un grand trou et se sont aussi servi des trous naturellement creusés sur la plage pour y jeter les corps et les brûler en les aspergeant avec de l’essence. Je les ai vus faire glisser les corps dans les trous. »

 –Rajuma Khatoum, 35 ans

Viols de masse et meurtres de femmes et d’enfants

« 7 ou10 soldats nous ont emmenés dans la pièce d’une maison. J’entendais les cris de femmes et de filles dans les autres pièces. D’abord, ils se sont emparés de mon enfant et l’ont jeté par terre. Il était encore en vie à cet instant et j’ai dû regarder pendant qu’ils le massacraient. Les enfants des deux autres femmes ont été tués de la même manière. Quelques minutes plus tard, ils ont pris les corps des enfants et les ont jetés sur un feu à l’extérieur.

Ensuite, les soldats nous ont violés toutes les trois. J’étais couchée sur le dos [pendant le viol], une heure durant. Ils étaient quatre ou cinq soldats... Ils nous ont toutes battues jusqu’à ce que nous soyons à moitié mortes, puis ils ont mis le feu à la maison. J’ai vu un passage dans un coin du mur en bambou. Je l’ai agrandi à coups de pieds et je me suis échappée. Personne d’autre n’est sorti de la maison. Ils sont tous morts brûlés à l’intérieur. »

– Rajuma Begum, 20 ans

« Une dizaine de soldats nous ont emmenés [dans une maison]... S’ils trouvaient des enfants vivants, ils les tuaient ou les battaient à mort. Quand nous sommes entrés dans la salle, nous pouvions à peine avancer à cause des corps qui s’y trouvaient, ils étaient tellement nombreux.

L’un des soldats avait un gros bâton, il m’a frappé à la tête et j’ai presque perdu connaissance. Ensuite ils se sont mis à frapper les enfants. Ils nous ont déshabillées pour chercher nos objets de valeur. Tout est flou, mais je me souviens qu’ils ont battu ma belle-sœur de 10 ans – ils l’ont frappée à la tête avec un gros bâton. Son visage se gonflait et elle hurlait de douleur. Elle s’est mise à respirer plus bruyamment, ensuite elle ne respirait presque plus, et puis elle est morte.

La maison était déjà en feu quand je me suis réveillée. J’ai vu une autre femme qui brûlait. Elle a essayé de se relever mais elle est retombée. Des objets brûlants nous tombaient dessus depuis le toit. Je me suis levée, j’ai marché sur les corps et j’ai cassé le mur [de bambou] avec ma jambe et je me suis échappée. L’autre femme est morte brûlée à l’intérieur. Je suis la seule à avoir pu m’échapper, personne d’autre n’est sorti vivant de la maison. »

 – « Fatima », 15 ans

« Mes quatre enfants étaient avec moi. Je les tenais contre moi. Ils ont d'abord fracassé le bébé, puis ils ont tué les deux garçons à coup de bâtons puis avec des machettes... J'ai perdu connaissance et quand je me suis réveillée, la maison était en feu. Lorsque le feu a commencé à me brûler les jambes et le corps, j'ai repris conscience. J’ai traversé le mur, ma fille était déjà dehors. J’ai essayé de retourner chercher les corps de mes enfants, mais ils étaient déjà en proie aux flammes et nous avons dû les laisser là. »

– Mumtaz Begum, 30 ans

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