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Brésil : Déni de justice pour les victimes de violence domestique

L’État de Roraima manque à son devoir d’ouvrir des enquêtes et d’engager des poursuites contre les auteurs d’abus

(São Paulo) – Les autorités de l’État brésilien de Roraima échouent à enquêter ou à ouvrir des poursuites lors des signalements de violences domestiques, une situation qui explique que de plus en plus de femmes y sont victimes de mauvais traitements, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui. Les graves problèmes qui se posent à Roraima, l’État qui détient le triste record du plus grand nombre de femmes tuées au Brésil, sont révélateurs des défis qui se posent à l’échelle nationale pour fournir aux victimes de la violence conjugale l’accès à la justice et à la protection dont elles ont besoin.

Le rapport de 22 pages, intitulé « ‘One Day I’ll Kill You’ : Impunity in Domestic Violence Cases in the Brazilian State of Roraima » (« ‘Un jour, je te tuerai’ : L’impunité dans les cas de violences conjugales dans l’État brésilien de Roraima ») se penche sur les problèmes systémiques de violences conjugales dans cet État. Human Rights Watch a documenté 31 affaires et mené des entretiens avec des victimes, des policiers et des autorités judiciaires. L’organisation a constaté des lacunes à tous les niveaux pour répondre à de tels abus.

« Beaucoup de femmes à Roraima subissent des attaques et des abus violents des années durant avant de trouver en elles le courage de se tourner vers la police, mais lorsqu’elles le font, la réponse du gouvernement est consternante », a déclaré Maria Laura Canineu, directrice de Human Rights Watch pour le Brésil. « Tant que les victimes de la violence conjugale ne pourront obtenir ni aide ni justice, leurs agresseurs continueront de s’en prendre à elles et de les tuer. »

À Roraima, entre 2010 et 2015, les meurtres de femmes ont connu une hausse de 139%, atteignant un taux de 11,4 homicides sur 100 000 femmes en 2015, la dernière année pour laquelle des statistiques sont disponibles. La moyenne nationale est de 4,4 homicides pour 100 000 femmes, soit déjà l’un des taux les plus élevés au monde. Des études réalisées au Brésil et dans le monde ont révélé qu’un pourcentage élevé de femmes victimes de morts violentes sont tuées par des compagnons ou d’anciens compagnons.

Trois membres du Centre de soutien humanitaire pour les femmes (CHAME) à Boa Vista, dans l’État de Roraima au Brésil, écoutent le témoignage d’une femme, le 17 février 2017. L’organisation CHAME fournit un soutien juridique, psychologique et social aux victimes de violences domestiques. © 2017 César Muñoz Acebes/Human Rights Watch

À peine un quart des femmes victimes de violences au Brésil font un signalement aux autorités, selon un sondage en date de février 2017 mais qui ne fournit pas de données ventilées État par État. À Roraima, Human Rights Watch a constaté que lorsque les femmes s’adressent à la police, elles se heurtent à des obstacles considérables pour être entendues.

La police militaire a affirmé à Human Rights Watch qu’en l’absence d’effectifs suffisants, elle n’est pas en mesure de répondre à tous les appels d’urgence passés par des femmes se disant victimes de violences conjugales. D’autres sont orientées vers des commissariats. Certains policiers civils de Boa Vista, la capitale de l’État, refusent d’enregistrer les plaintes pour violence conjugale ou d’émettre eux-mêmes des ordonnances restrictives, a relevé Human Rights Watch. Ceux-ci conseillent plutôt aux victimes de se présenter à la seule « station de police féminine » de l’État spécialisée dans les crimes visant les femmes, y compris lorsque ses bureaux sont fermés.

Même lorsque la police enregistre leurs plaintes, les femmes doivent faire le récit de leur agression, y compris des abus sexuels qu’elles ont pu subir, dans des salles de réception communes, en l’absence, dans les postes de police de l’État, de pièces privées pour recueillir les déclarations.

Aucun agent de police civile à Roraima n’est sensibilisé à répondre aux cas de violences conjugales. Et cela a des conséquences, selon Human Rights Watch. Certains policiers, lorsqu’ils reçoivent des femmes faisant la demande d’ordonnances restrictives, font preuve d’une telle négligence au moment de recueillir leurs déclarations que les juges ne disposent pas des informations de base dont ils ont besoin pour émettre de telles ordonnances.

La police civile est dépassée par le nombre de plaintes qui lui sont adressées. À Boa Vista, elle n’est pas parvenue à mener des enquêtes sur un arriéré de 8 400 plaintes pour violences conjugales. La plupart des affaires languissent des années durant jusqu’à leur classement pour prescription des crimes commis, en l’absence de la moindre poursuite judiciaire, selon la police.

Taise Campos, une enseignante âgée de 38 ans, a déposé plus de 15 plaintes auprès de la police, a-t-elle confié à Human Rights Watch, signalant des actes répétés d’abus physiques et verbaux perpétrés par son ex-mari. Mais le délai de prescription des crimes présumés a expiré avant le jugement de celui-ci. « Une personne ayant besoin d’aide perd toute confiance dans le système judiciaire », s’est résignée Campos.

Le Brésil dispose d’un cadre juridique complet, établi par la loi Maria da Penha de 2006, afin de prévenir les violences conjugales et de garantir la justice lorsque de telles violences sont perpétrées. Mais la mise en œuvre de plusieurs de ses dispositions est à la traîne.

La loi, qui porte le nom d’une victime ayant saisi la Commission interaméricaine des droits de l’homme en raison de la réponse inadéquate des autorités brésiliennes à sa plainte, appelle à l’expansion des postes de police administrés par des femmes et à la dissémination des unités contre la violence conjugale au sein de la police non spécialisée. Mais ces unités restent principalement concentrées en métropole et il est souvent très difficile pour les femmes qui vivent en dehors de s’y rendre. Les postes de police féminins, qui desservent en moyenne une population de 210 000 femmes chacun, font également face à une affluence excessive.

La loi autorise également les juges à ordonner aux auteurs présumés de violences de ne pas approcher le domicile d’une femme ni de communiquer avec elle ou sa famille, entre autres mesures de protection. Mais la police n’assure pas le suivi de la mise en œuvre de la plupart de ces dispositions. Les autorités de Roraima, et celles du Brésil dans son ensemble, doivent réduire les obstacles qui empêchent les femmes de porter plainte, a déclaré Human Rights Watch. Et les autorités veiller à ce que les signalements de violences conjugales soient correctement enregistrés, avant de faire l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires. Les autorités doivent enfin consacrer des moyens additionnels à la sensibilisation et aux enquêtes, et sanctionner les agents de police qui ne s’acquittent pas correctement de leurs fonctions.

« L’État de Roraima a le taux le plus élevé de meurtres de femmes dans le pays, mais ces problèmes sont symptomatiques de l’incapacité de protéger les femmes au niveau national », a déclaré Maria Laura Canineu. « La loi Maria da Penha a été un grand pas en avant, mais plus d’une décennie plus tard, sa mise en œuvre reste malheureusement insuffisante dans une grande partie du Brésil. »

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