(Beyrouth) – Le bureau du procureur de la République d'Algérie devrait abandonner l'enquête criminelle pour blasphème qu'il a ouverte à l'encontre d'un écrivain pour un roman publié en 2016, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités algériennes devraient protéger la liberté d'expression et prendre immédiatement des mesures pour abolir la loi sur le blasphème.
La police judiciaire de Tipaza, ville située à 70 kilomètres d'Alger, a interrogé Anouar Rahmani, un étudiant en droit et romancier de 25 ans, le 28 février 2017. Les policiers lui ont dit que le procureur général avait ouvert une enquête sur « La ville des ombres blanches », un roman qu’il avait publié sur internet en août 2016. Ils ont rédigé un procès-verbal dans lequel ils l'accusent d'avoir insulté l'islam dans ce roman. Rahmani a été laissé en liberté en attendant la décision du procureur de l'inculper ou non.
« Il n'appartient pas à la police d'interroger des écrivains au sujet de leurs croyances religieuses », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Rahmani a déclaré à Human Rights Watch qu'il avait reçu à son domicile une convocation de la police le 27 février 2017. Quand il s'est rendu le lendemain au poste de police de Tipaza, sept agents de police l'ont interrogé au sujet de son roman. Dans un chapitre de ce roman, un enfant a une conversation avec un homme sans domicile fixe qui se fait appeler « Dieu » et affirme avoir créé le ciel à partir de chewing gum. Le roman dépeint également une relation homosexuelle entre un combattant pour l'indépendance et un colon français pendant la guerre d'indépendance de l'Algérie.
Rahmani a déclaré que les policiers lui avaient posé des questions comme « Est-ce que vous priez ? », « Pourquoi avez-vous insulté Dieu ? », « Pourquoi avez-vous écrit un tel roman ? ». Selon les dires des policiers, le ton ironique du roman constitue une insulte à l'égard de l'Islam et son vocabulaire à tonalité sexuelle contrevient aux bonnes mœurs.
Rahmani a affirmé qu'au bout de dix heures d'interrogatoire, il avait signé un procès-verbal de police indiquant qu'il faisait l'objet d'une enquête aux termes de l'article 144 bis du code pénal, qui prévoit une peine de prison de trois à cinq ans et une amende pouvant aller jusqu'à 100 000 dinars (914 dollars) pour quiconque « offense le prophète » et « dénigre le dogme ou les préceptes de l'Islam. » Le procureur doit maintenant décider s'il inculpe Rahmani ou non.
Rahmani a affirmé avoir fait l'objet de menaces et de campagnes de dénigrement sur internet et dans les médias algériens pour avoir défendu la communauté LGBT, critiqué le recours à la religion pour restreindre les droits humains et pris la défense des minorités religieuses sur son blog, le Journal d'un Algérien atypique (Journal of an Atypical Algerian). Le 2 juin 2016, l'organisation non gouvernementale internationale Frontline Defenders a dénoncé les accusations de blasphème et d'apostasie proférées contre Rahmani sur les pages des étudiants de son université sur les réseaux sociaux, ainsi que dans un quotidien algérien.
« Le plus grand blasphème, c'est de croire que Dieu puisse être offensé par un roman, et qu'il est si faible qu'il a besoin d'être défendu par la police », a déclaré Rahmani à Human Rights Watch.
Les lois qui pénalisent la « diffamation » de la religion ou des organisations religieuses sont incompatibles avec les normes internationales de la liberté d'expression, a affirmé Human Rights Watch. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, dans son commentaire général sur l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l'Algérie a ratifié, a affirmé qu'il n'est pas acceptable que « les interdictions des manifestations de manque de respect pour une religion ou pour tout autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème (…) soient utilisées afin d'empêcher les critiques de dirigeants religieux ou les commentaires sur une doctrine religieuse et les préceptes de la foi, ou afin de punir leurs auteurs. »
L'article 42 de la Constitution algérienne garantit la liberté de pensée et de conscience. L'article 44 protège la liberté « de création artistique ».
En septembre 2016, la Cour d'appel de Sétif a condamné Slimane Bouhafs, un chrétien converti, a trois ans de prison pour des posts sur Facebook portant « atteinte à l'Islam », aux termes du même article du code pénal. Bouhafs purge actuellement sa peine.
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— HRW en français (@hrw_fr) 10 mars 2017