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Côte d'Ivoire : Respecter les droits du camp du «non» lors du référendum

Le respect des droits de l’opposition est un pilier du processus démocratique

Un partisan du « oui » brandit une pancarte lors d'un rassemblement avant le référendum au sujet d’une nouvelle constitution, à Abidjan, Côte d’Ivoire, le 22 octobre 2016. © 2016 Reuters

(Abidjan) – Le gouvernement de la Côte d'Ivoire doit respecter la liberté d'expression et d'association des partis politiques opposés à un projet de constitution à l’approche d'un référendum national sur ce texte, prévu le 30 octobre 2016. Celui-ci contient des dispositions dont l'opposition estime qu’elles renforceront considérablement les pouvoirs présidentiels.

Au cours de la période précédant la campagne référendaire, qui s’est ouverte le 22 octobre, les forces de sécurité ont, par deux fois au moins, dispersé une foule de manifestants opposés à la constitution et plusieurs dirigeants de l'opposition ont été brièvement détenus. Plusieurs autres rassemblements de l'opposition se sont déroulés sans incident. Avec à peine sept jours pour faire campagne, des ressources insuffisantes, un manque d'accès aux médias contrôlés par l’État, et la suspension, à la veille de la campagne, de deux journaux proches de l’opposition, les partis d'opposition ont du mal à défendre leur point de vue auprès de l’opinion publique.

« Les partis politiques et tous les ivoiriens ont le droit d'exprimer leur sentiment sur le nouveau projet de constitution », a déclaré Corinne Dufka, Directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le gouvernement doit s’assurer que ceux qui soutiennent le nouveau texte, comme ceux qui y sont opposés, puissent faire entendre leur voix ».

La campagne du « oui » est dirigée par le président ivoirien, Alassane Ouattara, et par la coalition au pouvoir. Les partis d'opposition rejettent la nouvelle constitution et ont appelé leurs partisans à boycotter le vote.

Pour le gouvernement, le nouveau texte permettra de tourner la page des années des violences politiques et de moderniser la constitution. La version amendée supprime l’article stipulant que le père et la mère d'un candidat à la présidence doivent tous deux être ivoiriens. Des clauses de nationalité susceptibles d’aggraver les clivages ont été utilisées pour empêcher Ouattara de se présenter aux scrutins de 1995 et 2000.

Des membres et des partisans du Front populaire ivoirien (FPI) brandissent une bannière exprimant leur opposition au projet de nouvelle constitution, lors d’un rassemblement tenu le 8 octobre 2016 à Abidjan, Côte d’Ivoire. © 2016 Reuters


La nouvelle constitution crée également le poste de vice-président et une seconde chambre législative, le sénat, dont un tiers des membres sont nommés par le président. Il supprime également la limite d'âge imposée aux candidats présidentiels.

Bien que la constitution maintienne une limite de deux mandats pour le président, elle n’exige pas que ce dernier soumette à référendum toutes les modifications constitutionnelles, qui pourront au lieu de cela être adoptés par un vote à la majorité des deux tiers de l’Assemblée nationale et du nouveau Sénat. Les partis d'opposition affirment qu’il sera plus facile pour les présidents d’imposer de futurs amendements constitutionnels.

L'Assemblée nationale a approuvé la nouvelle constitution le 11 octobre, avec 239 députés sur 249 votant « oui ». Le texte proposé a été rendu public le 12 octobre.

À l’approche de la campagne, au moins deux manifestations de l'opposition ont été dispersées par les forces de sécurité, officiellement pour des raisons de sécurité publique. L’une de ces manifestations, tenue le 20 octobre de manière non autorisée selon le gouvernement, a été immédiatement dispersée par la police ivoirienne, qui a tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants et placé en détention durant plusieurs heures une poignée de dirigeants de l'opposition. Plusieurs autres rassemblements de l'opposition se sont déroulés sans incident.

Le porte-parole du gouvernement ivoirien, Bruno Koné, a déclaré à Human Rights Watch qu'il revient au ministère de l'Intérieur d’évaluer les risques posés par une manifestation spécifique et de déterminer ensuite si elle peut être autorisée. Toutefois, en vertu du droit international sur le droit de réunion pacifique, s’il est raisonnable d'exiger des manifestants qu’ils notifient préalablement les autorités de leur rassemblement, la demande d’autorisation est susceptible de constituer un obstacle à la liberté de réunion. Les restrictions à la liberté de réunion ne sont justifiées qu’en cas d’absolue nécessité, et doivent être proportionnées au risque posé.

Les partis d'opposition ont affirmé à Human Rights Watch que leur capacité à faire campagne a été perturbée par la brièveté de la période de la campagne et par le manque d'accès aux médias contrôlés par l’État. « Comment pouvons-nous expliquer les complexités et les défis posés par une nouvelle constitution en sept jours seulement ? » a déclaré un porte-parole de l'opposition.

Deux journaux d'opposition ont été suspendus le 19 octobre 2016 en raison de leur violation d’une directive du Conseil national de la presse (CNP), bien que de nombreux autres journaux d’opposition continuent d’être diffusés. « La suspension m'a empêché de participer au débat autour de la nouvelle constitution et les journaux bleus [affiliés à l'opposition] ont perdu deux de leurs principaux organes de presse », Joseph Gnanhoua Titi, le rédacteur-en-chef de l'un des titres concernés, a déclaré à Human Rights Watch.

Pour justifier sa décision, le CNP assure que les deux titres ont violé une directive en date du 16 juillet 2015, basée sur une décision de tribunal du 3 avril 2015, qui interdit de se référer à un parti politique en usant d’un nom appartenant légalement à une tierce partie. Titi assure ne pas avoir respecté à plusieurs reprises les directives du CNP, qu'il juge excessives, mais que son quotidien n'a pas été suspendu en 2016 jusqu'au 19 octobre. Koné, le porte-parole du gouvernement, a déclaré que le CNP suspend régulièrement des publications et qu'il n'y a rien de suspect quant à la date du 19 octobre.

Des policiers anti-émeute ivoiriens recourent à du gaz lacrymogène pour disperser une marche de partisans de l’opposition tenue le 20 octobre 2016 à Abidjan, Côte d’Ivoire, afin de protester contre le projet de nouvelle constitution.  © 2016 Reuters


Les partis d'opposition affirment aussi qu'ils ont eu un accès limité ou inexistant aux médias d’État. Un journaliste qui surveille la radio et la télévision d'État affirme qu’en dehors de la couverture d’une manifestation de l'opposition contre la constitution, ces médias n’ont consacré presque aucun reportage à la mobilisation contre la constitution. L’article 11 de la loi portant organisation du référendum pour l'adoption de la constitution exige que pendant la période de la campagne référendaire, les partis et groupements politiques ont un égal accès aux organes officiels de presse écrite et audiovisuelle.

Contrairement aux élections présidentielles de 2015, le gouvernement a décidé de ne pas fournir aux partis d'opposition des fonds de campagne. Ceux-ci ont déclaré qu'ils ne disposaient pas des ressources suffisantes pour être sur un pied d'égalité avec la campagne du « oui », qui est animée par le gouvernement. Koné a déclaré que la décision « exceptionnelle » d’accorder aux partis d'opposition des fonds de campagne pour le scrutin de 2015 ne devait pas nécessairement s’appliquer à la campagne référendaire.

Le gouvernement de la Côte d'Ivoire doit veiller à ce que les manifestants opposés à la constitution puissent organiser des rassemblements et des manifestations pendant et après la période de campagne électorale, a déclaré Human Rights Watch. Les groupes d'opposition devraient également avoir accès aux médias d’État, en particulier compte tenu de la brièveté de la période de campagne.

Le gouvernement devrait autant que possible éviter de disperser par la force les manifestations organisées par l’opposition, même si elles ne sont pas autorisées, et faire une priorité du maintien du dialogue avec l'opposition sur les moyens appropriés de faire respecter la loi et l'ordre public. Si la dispersion des manifestants s’avère nécessaire, les forces de sécurité devraient alors faire un usage proportionné de la force, conformément aux Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois. Les partis d'opposition devraient enfin continuer de notifier les autorités des manifestations à venir et rester ouverts au dialogue avec les autorités quant aux itinéraires alternatifs à emprunter et aux procédures de sécurité à suivre.

« Les Ivoiriens doivent être informés des forces et faiblesses de la nouvelle constitution », a conclu Corinne Dufka. « Donner aux partis d'opposition un accès équitable aux médias, veiller au bon fonctionnement des médias d'opposition en l’absence de restrictions injustifiées, et respecter le droit de manifester pacifiquement sont des éléments déterminants de tout processus démocratique ».

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Dans les médias :

Connectionivoirienne.net 27.10.16

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