(Nairobi) – Les gouvernements africains devraient coordonner leur action pour améliorer les lois, l'éducation, les soins de santé et la sensibilisation du public afin de mettre fin au fléau des mariages d'enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui à l’occasion de la Journée internationale des droits humains, le 10 décembre 2015. Quarante pour cent des filles en Afrique subsaharienne se marient avant l'âge de 18 ans, et les pays africains représentent 15 des 20 pays ayant les taux de mariage d’enfants les plus élevés.
Un nouveau rapport de 20 pages publié par Human Rights Watch, et intitulé « Ending Child Marriage in Africa: Opening the Door for Girls’ Education, Health, and Freedom from Violence » (« Mettre fin aux mariages d’enfants en Afrique : Ouvrir la porte aux filles pour l'éducation, la santé et la liberté de toute violence ») montre combien le mariage des enfants a des conséquences désastreuses tout au long de la vie des jeunes filles, limitant souvent et de manière importante leur capacité à jouir d’un large éventail de droits humains. Le mariage précoce met souvent fin à l'éducation d'une fille, l’expose à des risques de violence domestique et sexuelle, augmente les graves risques de santé ainsi que de décès, en raison de grossesses précoces et du VIH, et l’enferme dans la pauvreté.
« Les chefs de gouvernement à travers l'Afrique tiennent souvent un beau discours concernant le mariage des enfants, mais sans pour autant générer un engagement politique, des ressources et de l'aide sur le terrain qui pourraient mettre fin à cette pratique néfaste », a déclaré Agnes Odhiambo, chercheuse senior spécialiste de l’Afrique au sein de la division Droits des femmes à Human Rights Watch.
Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) estime que sans progrès pour empêcher le mariage des enfants, le nombre de filles mariées pendant leur enfance en Afrique passera de 125 à 310 millions d’ici 2050. En septembre 2015, les dirigeants africains se sont joints à d'autres gouvernements afin d’adopter les Objectifs de développement durable de l'ONU (ODD), qui comprennent un objectif pour mettre fin au mariage d’enfants dans les quinze prochaines années. Les traités sur les droits humains de l'Afrique concernant les droits des femmes et des enfants, adoptés par les États africains, déclarent explicitement que l'âge minimum du mariage devrait être de 18 ans.
Les 26 et 27 novembre derniers, l'Union africaine a tenu le premier Sommet des Filles Africaines sur l’élimination du mariage des enfants afin de mettre en évidence les effets dévastateurs du mariage des enfants, appeler à des réformes juridiques et partager des informations sur les bonnes pratiques. D’autres initiatives à l'échelle du continent africain, notamment la campagne pour mettre fin aux mariages d'enfants, lancée en 2014, ainsi que la nomination d'un rapporteur spécial de l'Union africaine sur le mariage des enfants et d'un ambassadeur de bonne volonté pour la campagne de l'Union africaine pour mettre fin au mariage des enfants, sont toutes des étapes dans la bonne direction, mais pourraient être plus efficaces s’il y avait une meilleure coordination, a déclaré Human Rights Watch.
Les recherches de Human Rights Watch au Malawi, au Soudan du Sud, en Tanzanie et au Zimbabwe ont montré que l'absence de stratégies nationales complètes sur le mariage des enfants ainsi qu’une mauvaise coordination entre les ministères et les organismes gouvernementaux, sapent l'efficacité des efforts faits par les gouvernements.
« Il n'y a pas de solution unique pour mettre fin au mariage des enfants », a déclaré Agnes Odhiambo. « Les gouvernements africains devraient s’engager à provoquer un changement radical qui comprenne une réforme du système juridique, l'accès à une éducation de qualité ainsi que des informations et des services relatifs à la santé sexuelle et reproductive. »
De nombreux facteurs contribuent au mariage des enfants. La pauvreté est souvent citée par les membres des familles qui peuvent considérer le fait de marier leur fille de manière prématurée comme un moyen de survie économique, avec un enfant de moins à nourrir ou à éduquer.
Beaucoup de pays africains ont des systèmes juridiques multiples, dans lesquels les lois civiles, coutumières et religieuses se chevauchent et dans de nombreux cas, se contredisent. Les croyances traditionnelles sur les rôles attribués à chaque sexe et concernant la subordination des filles et des femmes sous-tendent de nombreuses pratiques coutumières, comme le versement d’une dot ou d’une somme d’argent, qui perpétue la pratique du mariage des enfants.
Au moins vingt pays africains permettent aux filles de se marier avant l'âge de 18 ans, par le biais de leurs lois sur l'âge minimum ou bien d’exceptions pour le consentement des parents ou pour l'approbation d’un juge. Une faible application des lois s’est traduite par un impact limité même dans les pays qui ont établi l'âge minimum du mariage à 18 ans pour les garçons comme pour les filles. Il arrive que les policiers ne reçoivent pas de formation adéquate sur le traitement de ces cas, qu’ils ne considèrent pas que le fait d’empêcher les mariages d'enfants fasse partie de leur travail, ou bien qu’ils s’en remettent aux souhaits des parents.
Le faible accès à l'éducation peut également contribuer au mariage des enfants. Lorsque les écoles sont trop chères ou trop éloignées, ou bien quand l’éducation offerte est de mauvaise qualité, un grand nombre de familles peuvent retirer leurs filles du système éducatif, les exposant ainsi à un plus grand risque de se retrouver mariées. Des infrastructures d'approvisionnement en eau et des installations sanitaires insuffisantes peuvent dissuader les filles d'aller à l'école, surtout une fois qu'elles commencent à avoir leurs règles.
« Les gouvernements devraient fixer l'âge minimum du mariage à 18 ans et s’assurer que cette règle soit entièrement respectée, notamment au moyen de la formation des policiers et des fonctionnaires qui émettent des certificats de mariage », a déclaré Agnes Odhiambo. « Étant donné que les représentants du gouvernement ne peuvent pas à eux seuls changer les choses, ils devraient travailler avec les dirigeants religieux et communautaires qui jouent un rôle influent dans l'élaboration de normes sociales et culturelles. »
Les grossesses des adolescentes en dehors du mariage, ou la crainte que les adolescentes puissent tomber enceintes, contribuent également à augmenter le nombre de mariages d’enfants. L'accès limité aux informations et aux services de santé reproductive pour les adolescentes célibataires et mariées concourt à cette situation.
Les complications résultant de la grossesse et de l'accouchement constituent la deuxième cause principale de décès dans le monde chez les filles âgées de 15 à 19 ans. Le stress de l’accouchement dans d’autres cas peut causer des fistules obstétricales, une déchirure entre le vagin et le rectum d'une fille qui se traduit par des fuites urinaires et de matières fécales constantes. Les filles souffrant de cette pathologie sont souvent ostracisées par leurs familles et leurs communautés. Le mariage des enfants expose les filles et les jeunes femmes à des violences, notamment au viol conjugal, à la violence sexuelle et domestique ainsi qu’à la violence psychologique.
« Les filles et les garçons ont besoin d'informations sur leurs corps, la grossesse, la planification familiale et les relations saines », a conclu Agnes Odhiambo. « La sexualité des adolescents est souvent un sujet tabou, mais doter les jeunes d’informations et d'accès aux services est essentiel pour la lutte contre le mariage des enfants et la violence de genre. »
Témoignages tirés du rapport de Human Rights Watch :
« J’ai été confrontée à beaucoup de problèmes dans le cadre de mon mariage. J’étais jeune et je ne savais pas comment être une épouse. J’étais enceinte, je devais m'occuper de mon mari, faire le ménage, faire face à la belle-famille et travailler dans la ferme. Mon pire moment a été quand j’étais enceinte ; je devais faire tout cela et faire face à une grossesse alors que je n'étais moi-même qu’une enfant. »
– Elina V., 19 ans, mariée à l’âge de 15 ans avec un homme de 24 ans ; Malawi, district de Mangochi ; septembre 2013
« Cet homme est allé chez mes oncles et a payé une dot de 80 vaches. J’ai résisté au mariage. Ils m’ont menacée. Ils m’ont dit : ‘Si tu veux que tes frères et sœurs soient pris en charge, tu épouseras cet homme.’ J’ai répondu qu'il était trop vieux pour moi. Ils ont dit : ‘Tu vas épouser ce vieil homme que tu le veuilles ou non parce qu'il nous a donné de quoi manger.’»
– Aguet N., mariée à l’âge de 15 ans avec un homme de 75 ans ; Soudan du Sud
« J’ai eu des complications pendant l'accouchement. Je ne pouvais pas pousser et j’étais faible, sans énergie. Les infirmières ont dit que j’avais des complications parce que mon corps n'était pas pleinement développé. Pour faire sortir le bébé, les infirmières ont enfoncé leurs mains à l'intérieur de mon corps et extrait le bébé. J’ai eu tellement mal que je n’ai pas pu marcher pendant tout un mois après l'accouchement. »
– Aisha S., mariée à l’âge de 17 ans ; Kahama, Tanzanie ; avril 2014
« Après moi, il a pris deux autres épouses. Ses autres femmes ne voulaient pas de moi – elles m’ont chassée mais quand j’ai essayé de revenir dans ma famille, ma tante et ma mère m’ont également rejetée en disant qu'elles avaient déjà accepté sa lobola (dot). Il me battait et me criait dessus. Il a refusé de me laisser continuer mes études. Après deux ans de mariage, la vie était tellement difficile pour moi que j’ai essayé de me tuer en buvant de la mort-aux-rats. J’ai passé une semaine à l'hôpital, après quoi ma famille m'a finalement reprise. Le mariage d’enfants m’a ruiné la vie. Maintenant, je ne travaille pas et je ne peux pas trouver un emploi parce que j’ai arrêté d’aller à l'école. »
– Confidence S., 2