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Cambodge : Témoignages alarmants sur les agressions subies par deux parlementaires

Une attaque effrontée contre deux membres de l’opposition nécessite une enquête de la part des Nations Unies

(Bangkok, le 31 octobre 2015) – Deux membres de l’opposition parlementaire ont décrit avec des détails effarants comment une bande organisée les a traînés hors de leurs voitures et les a battus alors qu’ils tentaient de quitter le siège de l’Assemblée nationale du Cambodge à Phnom Penh le 26 octobre, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le Premier ministre Hun Sen a appelé à la reddition des agresseurs des deux députés du Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), Kung Sophea et Nhay Chmraoen, qui ont été grièvement blessés et sont actuellement soignés dans un hôpital de Bangkok. La police n’a pourtant procédé à aucune arrestation, malgré disponibilité de vidéos et de photos montrant les attaques. 

« La manière effrontée dont été menées ces attaques brutales contre des membres du parlement envoie le message que l’étroit espace démocratique qui reste au Cambodge est sérieusement menacé », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie à Human Rights Watch. « Les gouvernements donateurs devraient signifier clairement que la condamnation des attaques par le Premier ministre Hun Sen n’aura de crédibilité que s’il appelle à une enquête indépendante des Nations Unies. »    

Le gouvernement devrait demander au bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme au Cambodge de mener une enquête indépendante sur les attaques en question et de s’engager à agir en fonction des résultats obtenus, selon Human Rights Watch.

Human Rights Watch a interviewé Kung Sophea et Nhay Chamraoen alors qu’ils se trouvaient dans leurs lits d’hôpital à Bangkok, et a parlé avec d’autres témoins de l’agression.

Kung Sophea, député du parlement cambodgien et membre du Parti du sauvetage national du Cambodge, photographié dans un hôpital de Bangkok le 29 octobre 2015, trois jours après avoir été brutalement agressé près de l’Assemblée nationale à Phnom Penh. © 2015 Human Rights Watch

Les deux hommes ont indiqué à Human Rights Watch qu’à leur arrivée à L’Assemblée nationale le 26 octobre, les barricades de barbelés qui encerclent normalement le bâtiment pour des raisons de protection lors des sessions parlementaires, n’étaient pas mises en place. En pénétrant à l’intérieur du bâtiment, des gardes leur ont dit que les scanners de sécurité ne fonctionnaient pas.   

Plus tard durant cette matinée, plusieurs milliers de « manifestants » se sont rassemblés devant l’Assemblée nationale pour demander la destitution de Kem Sokha, le chef adjoint du parti d’opposition PSNC, de son poste de premier vice-président de L’Assemblée nationale. Des témoins et des photographes ont identifiés des membres de l’unité de gardes du corps du Premier ministre en tenue civile de même que des membres, eux aussi en civil, d’unités appartenant à la Police Municipale de Phnom Penh, parmi lesquels des agents de la police régulière et de la police parallèle.  

Tandis que les manifestations se poursuivaient à l’extérieur, Kung Sophea et Nhay Chmraoen, après avoir effectué leur dernier vote parlementaire de la journée, ont tenté vers midi de quitter l’enceinte de L’Assemblé nationale dans des voitures séparées. Les deux voitures se sont approchées de la porte de sortie habituelle située au côté nord-ouest, mais ils l’ont trouvé fermée. Un garde les a dirigés vers le sud, en direction de la porte ouest principale. Ayant atteint la porte ouest, un autre garde leur a demandés, à nouveau, de faire demi-tour, bien qu’une autre voiture venait d’être autorisée à quitter les lieux juste avant eux. Sophea et Chamraoen se sont alors dirigés vers la sortie « latérale » rarement utilisés, située du côté sud de l’Assemblée nationale.    

Kung Sophea a déclaré que son chauffeur lui a dit qu’après avoir tourné le coin juste à la sortie de l’Assemblée, il a vu un homme à l’autre bout de la rue, qui portait un chapeau rouge, parlait dans un talkie-walkie et gesticulait en direction de leur voiture. Un peu plus loin, leur chemin a été barré par un autre homme tenant un talkie-walkie. Bientôt, une foule d’environ 20 à 30 personnes a entouré leur voiture. L’homme au chapeau rouge a ouvert la porte de la voiture et, secondé de deux autres, a tiré Sophea hors de la voiture et a commencé à lui donner des coups de poing et de pied à la tête, à la poitrine et au dos.

En tout, les hommes ont battu Sophea à trois reprises pendant qu’il rentrait dans sa voiture et en était retiré à nouveau. Une vidéo montre les deux dernières fois que Sophea a été tiré de sa voiture, subissant les coups de pied de ses agresseurs alors qu’elle est étendue sur le sol. Ils n’ont cessé de le battre que quand ils sont partis agresser Nhay Chamraoen.

Nhay Chamraoen a déclaré à Huma Rights Watch que lorsqu’il est sorti de la porte dans son véhicule, il a pu voir Sophea en train d’être attaqué  à environ 10 mètres devant lui. Des agents de police se tenaient debout à environ cinq mètre de la voiture de Sophea, observant la violence sans tenter d’y mettre fin.

Nhay Chamraoen, député du parlement cambodgien et membre du Parti du sauvetage national du Cambodge, photographié dans un hôpital de Bangkok le 29 octobre 2015, trois jours après avoir été brutalement agressé près de l’Assemblée nationale à Phnom Penh. © 2015 Human Rights Watch

Les agresseurs ont encerclé la voiture de Chamraoen. L’un d’eux a brisé la vitre à l’aide d’un talkie-walkie, a ouvert la porte et tiré Chamraoen hors de la voiture. Il se rappelle avoir vu un homme le désignant du doigt de l’extérieur de la voiture en disant : « Celui-là aussi ! » L’homme a commencé à lui donner des coups de poing et de pied au visage, aux bras et au dos. Une vidéo montre la fin de l’attaque contre Chamraoen, alors qu’un agresseur piétinait sa poitrine. Tandis qu’il luttait manifestement pour demeurer conscient, des personnes l’ont aidé à retourner à l’intérieur de l’Assemblé nationale.

Plus tard cette même journée, plusieurs centaines d'hommes sont arrivés à la résidence de Kem Sokha dans le nord de Phnom Penh et ont lancé des pierres et des bouteilles sur son domicile. Sokha et sa femme ont appelé le ministère de l’Intérieur sans obtenir de réponse durant plus de cinq heures. La femme de Sokha était cachée à l’intérieur de la maison, terrifiée. 

Les blessures de Sophea et Chamraoen ont été graves. Sophea a eu une fracture du nez et des zébrures et des contusions à la tête. Des coups de pied répétés aux dos ont induit une douleur persistante au bas du dos. Il a subi une entorse au doigt et son tibia a été contusionné. Son tympan droit a été déchiré, nécessitant une opération. Il est difficile de savoir s’il retrouvera l’audition complète de son oreille. Chamraoen a eu trois fractures à son poignet droit. Il a subi une intervention chirurgicale de cinq heures sur l’orbite de son œil, car un os cassé en dessous de l’œil était en train de pénétrer l’orbite en poussant vers le haut, ce qui mettait l’œil en danger. Il a eu aussi un nez fracturé, une dent antérieure brisée, le poignet gauche contusionné et des douleurs thoraciques considérables. 

Les deux membres du parlement ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils craignent pour leur sécurité s’ils rentrent au Cambodge.

Les violences du 26 octobre à Phnom Penh sont survenues quelques jours après un rassemblement de manifestants à Paris afin de protester contre la visite de Hun Sen pour rencontrer le président français François Hollande. Hun Sen avait déjà mis en garde contre des attaques visant le PSNC si le ralliement contre lui se déroulait comme prévu.   

« Cette attaque rappelle malheureusement l’attaque à la grenade du 30 mars 1997 contre le leader de l’opposition Sam Rainsy qui a tué 16 personnes et blessé plus de 150, lorsque la police s’est contenté de ne rien faire et que l’unité de gardes du corps de Hun Sen a été impliqué », a déclaré Brad Adams. « Les responsables de l’attaque de 1997 n’ont jamais été poursuivis ; les donateurs du Cambodge devraient donc envoyer un message clair que l’implication du gouvernent dans l’attaque contre des membres du parlement aura des conséquences sur leur relation et leur assistance. »  

Le 30 octobre, le Parti du peuple cambodgien (PPC), actuellement au pouvoir, a organisé une séance de l’Assemblée nationale pour démettre Kem Sokha de ses fonctions de vice-président du parlement. La séance a été boycottée par le PSNC. Sokha a été désigné à ce poste dans le cadre de l’accord entre PCC et le PSNC en vertu duquel le PSNC a accepté de mettre fin à son boycott de l’Assemblée nationale après des élections fondamentalement viciées en 2013.  

« La destitution de Kem Sokha de son poste parlementaire par le parti au pouvoir est une tentative flagrante d’effrayer l’opposition et de diviser ses rangs afin de la rendre soumise », a déclaré Brad Adams. « Un jour, Hun Sen dit qu’il veut travailler avec l’opposition, puis le lendemain, ils sont destitués de leurs positions aux parlement. Aucun accord avec Hun Sen ne vaut le papier sur lequel il est écrit. »    

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Annexe : témoignages des deux députés


1. Les déclarations de Kung Sophea

D’habitude, quand j’arrive pour les réunions parlementaires, je vois des barricades de barbelés encerclant le bâtiment de l’Assemblée nationale. J’ai pensé que c’était étrange qu’on ne les avait pas installées ce matin. Lorsque je suis arrivé au scanner de sécurité, j’ai remarqué que les six ou sept gardes habituellement positionnés à l’entré étaient moins nombreux. Cette fois-ci, il y avait peu d’homme près des scanners et ils m’ont dit que les scanners de sécurité étaient endommagés ce jour-là.

Après avoir effectué mon dernier vote au parlement, je n’ai pas attendu que ma voix soit compté, je me suis dirigé vers la sortie  et quitté l’immeuble et j’ai été récupéré par mon chauffeur. Nous nous sommes dirigés vers la première porte à la droite de la porte principale et nous avons vu que la porte était déjà fermée. On nous a dirigés vers  la porte principale et nous avons vu une voiture passer devant nous, mais les gardes nous ont dit de faire demi-tour et ne nous ont pas laissés passer. Nous sommes finalement sortis par la porte latérale et je me rappelle que mon chauffeur me disait, alors que nous sortons du bâtiment, qu’il a vu un homme portant un chapeau rouge à l’autre bout de la rue, près de l’ambassade australienne, qui parlait dans un talkie-walkie et pontait notre voiture du doigt.

Tout à coup, je vois un homme debout en face de notre voiture et tenant un talkie-walkie dans sa main. Notre chauffeur arrête pour éviter de leur heurter. Un groupe d’environ 20-30 hommes encerclent la voiture et l’homme au chapeau rouge, que mon chauffeur avait vu à l’autre bout de la rue, ouvre ma porte et me tire hors de la voiture avec l’aide de deux autres hommes.

Je me rappelle que l’un d’eux disait, alors qu’ils me donnaient des coups de poing à l’intérieur de la voiture et m’y tiraient dehors : « Tu crois donc que tu es fort, hein ? »

Je parviens à me libérer de leur emprise et à rentrer dans la voiture, mais peu après, je suis à nouveau traîné dehors et je reçois encore une fois des coups de poing et de pied. Je commence à éprouver un vertige et ne me rappelle pas les détails exacts qui ont suivis mais je me rappelle avoir été tiré hors de ma voiture à trois reprises. La dernière fois qu’ils m’en ont tiré, ils ont déchiré mon pantalon et arraché ma poche afin d’obtenir mon portefeuille.

Mon chauffeur me ramène alors à ma maison, mais je décide d’aller directement au siège du PSNC au lieu d’entrer dans ma résidence.

J’ignore ce qui pourrait m’arriver si je retourne au Cambodge.

2. Les déclarations de Nhay Chamraoen

J’entre toujours tôt à l’Assemblée nationale, lorsque le parlement se réunit vers 6h du matin. J’ai pensé que c’était étrange que l’on me dise que les scanners de sécurité à l’entrée du bâtiment étaient endommagés. J’avais entendu dire que Kem Sokha ne viendra pas au parlement aujourd’hui à cause des manifestations.

Plus tard ce matin-là, vers 11h, j’ai reçu un message d’un bon ami me disant d’être prudent car il y avait des manifestations à l’extérieur. Je suivais la situation sur Facebook grâce à mon téléphone afin de me tenir au courant de ce qui se passait à l’extérieur.

J’ai effectué mon dernier vote aux alentours de midi et je n’ai pas attendu le compte des voix. J’ai été récupéré par ma fiancée, qui était mon chauffeur ce jour-là, et nous avons suivis la voiture de Kung Sophea en direction de notre sortie habituelle située du côté nord-ouest de l’Assemblée nationale. J’ai vu leur voiture être dirigé par un garde et la porte fermée, alors nous les avons suivis vers la porte principale, la porte ouest. De nouveau, on nous a signifié avec des gestes de faire demi-tour. Nous avons alors emprunté le chemin menant vers la sortie latérale, située du côté sud de L’Assemblée, en direction de l’ambassade australienne.

Tout cela m’a semblé un peu étrange, alors j’ai essayé d’appeler mon ami à partir de mon téléphone mais j’ai reçu un message disant que le système était bloqué.

Une fois sortis par la porte latérale, nous avons pris à droite et j’ai vu Sophea en train d’être attaqué par des hommes alors qu’il était à l’intérieur de sa voiture. Ils étaient environ à 10 mètres de distance. Je me rappelle avoir vu deux policiers à environ 5 mètres de distance, se tenant tout simplement debout et sans rien faire pour mettre fin à l’attaque.

Ma fiancée a tenté de faire un retour en arrière mais nous étions bloqués par d’autres voitures qui essayaient de quitter par la même sortie derrière nous.

Bientôt, au moins 10 personnes avaient entouré ma voiture. Ils tenaient des objets que je n’ai pas pu identifier. Je me rappelle qu’ils criaient : « Ouvre la porte ! Ouvre la porte !... Celle-là aussi ! » tandis qu’ils me pointaient du doigt. L’un des hommes avait un talkie-walkie et l’a utilisé pour briser ma fenêtre, puis il a ouvert ma porte et m’a traîné dehors. Ma fiancée a été frappée à l’arrière de la tête. Elle était terrifiée mais ils l’ont laissée seule dans la voiture.    

Je suis tombé par terre et je me rappelle seulement d’une rafale de coups de pied et de coups de poing. J’ai essayé de me couvrir du mieux que je pouvais mais j’étais incapable d’arrêter les coups. J’ai perdu conscience. J’ai vu dans la vidéo postée que quelqu’un piétinait ma poitrine mais je ne me suis pas rappelé que cela avait eu lieu.

Je me rappelle que des gens m’ont traîné à l’intérieur du bâtiment de l’Assemblée nationale, à la salle médicale. Nous avons attendu le médecin pendant deux heures environ, mais il n’est pas venu.

Nous somme finalement partis ensemble à l’aide d’une rangée de voitures pour membres du parlement. Nous nous sommes retrouvés au quartier général du PSNC où j’ai reçu un traitement médical.

Ils doivent encore enlever des fils de mon  poignet droit pour essayer de réparer trois fractures à cet endroit. J’ai peur de ce qui m’arrivera lorsque je reviendrai au Cambodge. J’ignore s’ils me ciblaient spécifiquement ou s’ils voulaient juste s’attaquer à n’importe quelle personne de l’opposition sortant de l’Assemblée nationale à ce moment-là.        

 

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