(Nairobi) – Au Somaliland, un nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux sont envoyées de force dans des institutions, où elles subissent de graves abus et des conditions déplorables. Les autorités du pays devraient réglementer et contrôler les établissements de santé mentale, interdire que les malades soient enchaînés, et mettre en place des services de santé mentale communautaires, où les personnes présentant des troubles mentaux puissent être soignées avec leur consentement.
Abuses Against People with Psychosocial Disabilities in Somaliland
Le rapport de 81 pages, intitulé « Chained Like Prisoners’: Abuses Against People with Psychosocial Disabilities in Somaliland » (« Enchaînés comme des prisonniers : Abus à l’encontre de personnes présentant des handicaps psychosociaux au Somaliland ») met en évidence les maltraitances dont sont victimes les individus atteints de handicaps psychosociaux —réels ou perçus comme tels— dans des établissements de santé mentale tant publics que privés : mesures de contrainte physique, violences et traitements sans consentement, le tout dans des établissements bondés. La plupart des patients sont internés contre leur gré et n’ont aucun moyen de contester leur internement. Dans les établissements privés, en particulier, les individus présentant des troubles du comportement sont attachés ou enchaînés de façon prolongée, et soumis à des mesures de confinement, d’isolement ou de contrainte sévère de leurs mouvements. Le rapport montre l’importance des services de santé mentale dans une région qui a subi une guerre civile. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Somaliland présente un taux élevé de handicap psychosocial.
« Au lieu de fournir des soins appropriés et de faciliter la réinsertion, ces établissements soumettent les patients à des règlements dignes d’une prison, à des mesures de contrainte et d’isolation, et à des traitements sans consentement », a déclaré Laetitia Bader, chercheuse sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités du Somaliland devraient agir rapidement pour mettre fin aux abus dans les établissements de santé mentale. »
Pour ce rapport, Human Rights Watch a mené des recherches à Hargeisa, Berbera et Gabiley, et a rencontré plus de 115 personnes, dont 47 personnes considérées comme atteintes de troubles du comportement et placées dans des institutions. La plupart ont été victimes de mauvais traitements. Les droits des patients et les possibilités de recours judiciaire sont inexistants. Les recherches se sont principalement concentrées sur des établissements privés situés à Hargeisa. Du fait que la majorité des patients internés sont des hommes, le rapport insiste sur leur situation ; toutefois des femmes atteintes de troubles du comportement souffrent également de maltraitance.
Pour ce rapport, Human Rights Watch a mené des recherches à Hargeisa, Berbera et Gabiley, et a rencontré plus de 115 personnes, dont 47 personnes considérées comme atteintes de troubles du comportement et placées dans des institutions. La plupart ont été victimes de mauvais traitements. Les droits des patients et les possibilités de recours judiciaire sont inexistants. Les recherches se sont principalement concentrées sur des établissements privés situés à Hargeisa. Du fait que la majorité des patients internés sont des hommes, le rapport insiste sur leur situation ; toutefois des femmes atteintes de troubles du comportement souffrent également de maltraitance.
Le Somaliland ne dispose pas de statistiques officielles sur la prévalence des troubles mentaux, mais les recherches existantes tendent à mettre en évidence un taux inquiétant de troubles du comportement dus à la violence et au traumatisme de la guerre civile, au manque de services de santé et à l’usage généralisé du khat, une substance de la famille des amphétamines. Cela fait des années que les personnes atteintes de troubles psychologiques sont abandonnées à elles-mêmes face à la stigmatisation sociale, ou au mieux sont dépendantes de familles qui sont souvent mal informées sur les problèmes de santé mentale et ne savent vers qui se tourner.
En 2014, le Somaliland a approuvé un plan d’action identifiant la santé mentale comme priorité nationale et prévoyant l’adoption d’une législation conforme à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Mais ce projet n’a pas été mis en œuvre, et la contribution internationale aux services de santé a largement ignoré la santé mentale. À l’heure actuelle, le Somaliland compte deux psychiatres pour 3,5 millions d’habitants.
Depuis quelques années, pour satisfaire à une demande croissante en matière de santé mentale, nombre d’établissements payants ont ouvert à Hargeisa pour suppléer aux quelques établissements publics, sous-financés et dilapidés, ayant des services psychiatriques. En revanche, les services de santé mentale communautaires restent pratiquement inexistants.
Au lieu de fournir des soins appropriés avec le consentement des patients, ces établissements privés sont des lieux de détention et de solitude. La plupart des résidents interrogés par Human Rights Watch se sont avérés y avoir été placés contre leur gré par leur famille. Certains sont détenus depuis de longues années, jusqu’à cinq ans, sans aucun moyen de recours. Nombre de résidents sont issus de la diaspora.
Dans ces établissements privés, des gardes et d’autres personnels restreignent les résidents dans un environnement quasi-carcéral, les soumettant à des mesures de représailles, des horaires rigides, des périodes de confinement et de contrainte prolongées, notamment au moyens de chaînes, et des coups. Les résidents ont presque systématiquement les pieds enchaînés, parfois par mesure de représailles mais aussi dès leur admission par mesure de contrôle. Ces pratiques sont généralisées dans les centres privés et ont également été constatées, dans une moindre mesure, au service psychiatrique de l’Hôpital général de Berbera.
« C’est la règle, tous les nouveaux arrivants sont enchaînés », a affirmé un homme de 27 ans qui a passé deux mois dans un centre privé où ses parents l’avaient placé sans son consentement. « J’ai eu des chaînes aux pieds pendant les deux mois que j’ai passés là-bas. J’ai eu l’impression qu’on m’ôtait la liberté. »
D’après les constatations de Human Rights Watch, le seul établissement à ne pas recourir aux chaînes est le service psychiatrique de Hargeisa Group Hospital. Les autres établissements devraient être encouragés à suivre son exemple.
Les chercheurs de Human Rights Watch ont également constaté que les gardes battent parfois les résidents qui refusent de prendre leurs médicaments, ne suivent pas les ordres ou ont un comportement agressif.
« Hier, un patient s’est battu avec un des gardes et alors ils l’ont frappé », a témoigné un patient dans un établissement privé. « Il voulait qu’on lui enlève ses chaînes. Ils lui ont donné cinq ou six coups de ceinture. »
Certains résidents, que ce soit dans les établissements publics ou privés, sont soumis à des traitements sans leur consentement, de force ou sous sédation. Des médicaments psychotropes sont largement prescrits, souvent sur la base d’un examen médical bâclé. Les patients sont rarement informés de leur diagnostic.
Les établissements ne préparent pas la réinsertion de leurs patients dans la communauté. Ils n’offrent que peu d’activités. Dans la plupart des établissements privés, les résidents passent toute la journée dans leur chambre, souvent avec des chaînes aux pieds et derrière les verrous, parfois même dans l’obscurité.
Des efforts importants seront nécessaires pour résoudre la crise de la santé mentale au Somaliland. Les autorités devraient commencer par interdire l’emploi de chaînes, réglementer et contrôler tous les établissements qui accueillent des personnes atteintes de troubles psychiatriques et s’assurer que les patients internés ont des voies de recours.
Le Somaliland devrait également mettre fin à la tendance favorisant l’internement de longue durée dans des institutions et travailler avec les personnes atteintes de troubles psychosociaux, leurs familles et leurs communautés, y compris la diaspora, pour combattre la stigmatisation sociale associée aux troubles mentaux. Le gouvernement devrait s’efforcer de permettre aux personnes atteintes de troubles psychosociaux de vivre dans leurs propres communautés dans la dignité, l’indépendance et la sécurité.
Au vu du nombre de personnes internées à cause de leur consommation de khat, les autorités devraient mettre en place des services de santé communautaires pour les utilisateurs de drogues psychotropes.
Le Somaliland et ses partenaires internationaux, qui passent actuellement en revue les programmes de santé du pays, devraient saisir cette opportunité pour inclure les soins de santé mentale dans leur planification et leurs budgets.
Le Somaliland, avec l’aide de ses partenaires internationaux, devrait recruter et former davantage de travailleurs sociaux et de personnels médicaux spécialisés en santé mentale, inclure la santé mentale dans le cadre des soins de santé primaire, garantir l’accès aux soins sur la base du libre consentement informé du patient, et réguler la fourniture de médicaments psychotropes. Le gouvernement devrait également renforcer ses politiques en matière de santé mentale et les mettre en œuvre, en conformité avec les normes internationales des droits humains.
« L’internement à long terme de personnes présentant des handicaps psychosociaux est discriminatoire, constitue une violation de leurs droits humains, et un déni d’accès aux services dont ils ont besoin », a conclu Laetitia Bader. « Mais le Somaliland a l’opportunité de mettre en place un système de soins pour les personnes atteintes de handicaps psychosociaux qui assure à la fois leur protection et leur autonomie. »