(Dakar, le 22 octobre 2015) – Quatre femmes, qui auraient été soumises en 1988 à l’esclavage sexuel dans un camp militaire situé dans le désert dans le nord du Tchad , ont témoigné du 19 au 22 octobre 2015 lors du procès de l’ancien dictateur Hissène Habré que des soldats y avaient violé de nombreuses femmes à plusieurs reprises, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L'une de ces femmes a affirmé que Habré lui-même l’avait également violée. L’une d’elles n’avait que 13 ans à l'époque, et une autre a confié que des soldats avaient violé sa fille de 13 ans.
Hissène Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, est en procès devant les Chambres africaines extraordinaires au sein du système judiciaire du Sénégal sur des accusations de crimes contre l'humanité, d’actes de torture et de crimes de guerre.
« Ces femmes courageuses ont rompu un long silence pour parler des choses les plus douloureuses qui soient », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch, qui travaille aux côtés des victimes depuis 1999. « L'utilisation de femmes et de filles comme esclaves sexuelles n'a pas toujours reçu l'attention qu'elle mérite, mais après près de trente ans, ce procès offre à certaines d’entre elles la possibilité de témoigner enfin des violations qu’elles ont subies. »
Les quatre femmes – Khadidja Hassan Zidane, Kaltouma Deffalah, Haoua Brahim et Hadje Mérami Ali – ont décrit ce qu’elles ont vécu dans le camp militaire d’Oudi-Doum situé dans le désert, où neuf femmes et filles auraient été forcées de servir les soldats de l'armée de Hissène Habré. Les soldats ont violé à plusieurs reprises la plupart des neuf femmes, selon leurs témoignages. Les documents officiels de la police politique de Hissène Habré, la DDS, récupérés par Human Rights Watch en 2001, confirment que neuf femmes ont été envoyées dans le désert et font état de l'emprisonnement des quatre anciennes détenues qui ont témoigné.
Khadidja Hassan Zidane a également déclaré qu’avant d’être envoyée dans le désert, elle a été emprisonnée dans la résidence présidentielle et que Hissène Habré l’avait violée à quatre reprises. Kaltouma Deffalah a affirmé que Khadidja Hassan Zidane lui avait relaté la même chose lorsque les deux femmes ont été détenues ensemble dans le désert.
Haoua Brahim n’avait que 13 ans quand elle a été arrêtée comme otage pour piéger sa mère, qui vivait à l'étranger. Quand sa mère s’est rendue à N'Djamena, la capitale tchadienne, pour tenter de sauver sa fille, elles ont toutes les deux été envoyées dans le désert. Amnesty International a lancé une campagne en leur nom en 1988, et un grand nombre de lettres adressées à Habré par des membres d'Amnesty International et demandant leur libération ont été retrouvées dans les dossiers de la DDS.
Après que Hadje Mérami Ali ait été arrêtée, sa fille de 13 ans, Azina, a également été arrêtée et elles ont toutes les deux été envoyées à Oudi-Doium où, selon le témoignage de la mère, des soldats ont violé sa jeune fille.
Toutes les femmes ont témoigné qu’avant leur libération, elles ont été contraintes de jurer sur le Coran qu'elles ne parleraient jamais de ce qu’elles avaient vécu.
Les femmes ont témoigné de leurs épreuves avec divers degrés de difficulté et de précision. L’une d’elles, qui avait parlé de son viol dans une déposition provisoire, a déclaré qu’étant donné que le procès est retransmis par télévision au Tchad et en streaming sur Internet, elle ne pouvait pas répéter les détails en public.
Kaltouma Deffalah a affirmé qu'elle était « très fière et forte d'être ici aujourd'hui pour raconter [son] histoire alors que cet homme [Hissène Habré], qui jadis était le dictateur, est assis là en silence ».
En réponse au témoignage des femmes, le « site officiel du président Hissène Habré », qui a présenté la position de Hissène Habré et les déclarations de ses avocats pendant les trois dernières années, a publié une série de communiqués. Un de ces communiqués a traité Khadidja Hassan de « prostituée nymphomane ». Un autre a qualifié Hadje Mérami Ali de « danseuse de cabaret » et de prostituée. Plusieurs des femmes, ainsi que la mère de Haoua Brahim, ont été accusées d'être des espionnes pour la Libye, qui avait été en guerre contre le Tchad. Ce site avait auparavant traité une ancienne détenue de « salope cinglée ». Cette détenue, Fatimé Hachim, avait témoigné lors du procès que Hissène Habré lui avait déclaré alors qu'elle était en prison qu'elle ne sortirait jamais.
Les chambres de première instance ont été inaugurées par le Sénégal et l'Union africaine en février 2013 pour poursuivre « la personne ou les personnes » portant la plus grande responsabilité pour les crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990, la période où Hissène Habré a dirigé le Tchad. Le président de la Chambre de première instance est Gberdao Gustave Kam du Burkina Faso, qui siège aux côtés de deux hauts magistrats sénégalais.
Hissène Habré est accusé de dizaines de milliers d'assassinats politiques ainsi que d’actes de torture systématiques perpétrés durant son règne, de 1982 à 1990. Le procès est le premier dans le monde au cours duquel les tribunaux d'un pays poursuivent l'ancien dirigeant d'un autre pays pour crimes de droits humains allégués.
L'acte d'accusation ne comprend pas d’accusations de viol, d'esclavage sexuel, ni d'autres formes de violence sexuelle de gravité comparable. Les avocats des victimes ont demandé que ces accusations soient ajoutées.
Le procès en est maintenant à sa septième semaine et devrait durer jusqu’en décembre. Jusqu'à présent, 48 victimes et témoins ont témoigné, notamment des experts historiques, le président de la commission de vérité du Tchad, d'anciens membres de la DDS de Hissène Habré, le juge belge qui a effectué une enquête de quatre ans, des chercheurs d'Amnesty International et de Human Rights Watch, ainsi que des experts médico-légaux et graphologues.