Comité du budget et des finances
Secrétariat de l’Assemblée des États parties
Cour pénale internationale
Boîte postale 19519
2500 CM, La Haye
Pays-Bas
Bruxelles, le 15 septembre 2015
Cher membre du Comité du budget et des finances,
Nous vous adressons le présent courrier en perspective de la 25e session du Comité du budget et des finances. Plus précisément, nous tenons à souligner l’importance que nous attachons à la décision du Greffier de mettre en place de nouveaux « chefs de bureaux extérieurs » de haut niveau après l’achèvement du projet ReVision du Greffe. À nos yeux, la création de ces postes constitue une nouvelle phase cruciale dans le cadre de réformes plus larges nécessaires pour mieux permettre à la Cour pénale internationale (CPI) de mener à bien son mandat, tout en optimisant son impact positif pour les victimes et les communautés affectées.
Importance des bureaux extérieurs pour l’impact de la CPI
La présence de la CPI dans ou près des pays dont elle examine la situation joue un rôle central dans l’exercice d’un vaste éventail d’activités de la cour. Parmi ces activités figurent notamment la conduite des enquêtes, la protection et le soutien apportés aux victimes et aux témoins, ainsi que la facilitation de la coopération des autorités nationales et des partenaires internationaux. Ces activités nécessitent souvent de développer et d’entretenir des relations de proximité sur le terrain.
Mais la présence de la CPI revêt une importance accrue lorsqu’il s’agit de renforcer l’impact positif de ses procédures dans les pays dont elle examine la situation. Les victimes et les communautés affectées sont au cœur du travail de la cour. Pour ces communautés, il est primordial que la justice soit rendue, mais il est également essentiel que cette justice soit de qualité et que sa visibilité soit assurée. Comme expliqué plus en détail dans notre rapport d’août 2015, Pour que la justice compte : Enseignements tirés du travail de la CPI en Côte d’Ivoire, pour parvenir à exercer un impact, les responsables de la cour doivent prendre des mesures visant à garantir que les procédures de la CPI sont pertinentes, accessibles et perçues comme légitimes dans les pays dont elle examine la situation.
Les responsables de la cour ont un certain nombre de missions à assumer pour garantir l’impact local de la CPI, chacune de ces missions requérant un engagement soutenu dans les pays dont la cour examine la situation. Elles comprennent notamment la sensibilisation des communautés affectées, l’assistance apportée aux victimes en vue de leur participation aux procédures de la cour, l’implication des victimes et de la société civile dans des consultations, et la possibilité de mener des procédures in situ. Parmi ces missions figurent également la bonne exécution du double mandat dont est investi le Fonds au profit des victimes, à savoir apporter une assistance aux victimes et mettre en œuvre les réparations ordonnées par la cour. Elles comprennent enfin les initiatives en matière de « complémentarité positive » qui visent à encourager d’autres enquêtes et poursuites sur le plan national, amplifiant l’impact des affaires traitées par la CPI et renforçant sa contribution à long terme.[1]
Bien que la présence de la cour pour appuyer ces activités puisse se concrétiser sous différentes formes, les bureaux extérieurs officiels gérés par le Greffe de la cour et comptant un personnel basé en permanence sur le terrain offrent un certain nombre d’avantages.
Les membres du personnel basés sur le terrain auront sans doute une compréhension plus nuancée de l’environnement dans chaque pays, ce qui pourrait aider la cour à adapter ses activités et à relayer cette approche dans les débats plus larges d’orientation politique de la CPI. Ils peuvent également mener leurs opérations selon un échéancier bien plus cohérent et régulier que si ces opérations incombaient uniquement à du personnel basé à La Haye. Chaque fois que les conditions de sécurité le permettent, les bureaux extérieurs de la CPI connus du public peuvent également jouer un rôle primordial en étant le « visage de la CPI », à savoir le lieu vers lequel les communautés affectées, les médias, les autorités nationales et la communauté internationale peuvent se tourner pour obtenir des informations essentielles sur la CPI. Ils servent à donner à la Cour un côté moins abstrait.
La mise en place de bureaux extérieurs officiels peut présenter un certain nombre de défis sur le plan de la logistique, de la sécurité et des ressources. Mais compte tenu de l’importance cruciale qu’ils revêtent pour appuyer le mandat de la cour, en particulier lorsqu’il s’agit de nouer des contacts rapprochés avec les communautés affectées, Human Rights Watch n’a cessé de prôner la mise en place rapide de bureaux extérieurs dans les pays dont la situation est examinée par la CPI.
Besoin de développer davantage la présence du Greffe sur le terrain
La CPI a toutefois mis du temps à développer sa présence sur le terrain. Comme expliqué plus en détail dans notre rapport Pour que la justice compte, après avoir accompli quelques progrès en s’efforçant de transformer les bureaux extérieurs, initialement conçus comme des plateformes logistiques, en antennes capables d’appuyer le travail de sensibilisation, de faciliter la participation des victimes et, dans certains pays, de soutenir les activités du Fonds au profit des victimes, le Greffe s’est trouvé confronté à des difficultés à l’heure de mettre pleinement en œuvre une vision plus stratégique des opérations hors siège.
Plus particulièrement, les décisions du Greffe relatives à l’ouverture, à l’ajustement de l’échelle des présences et aux effectifs des bureaux extérieurs (avec d’importantes conséquences sur la portée et la profondeur des activités du Greffe telles que la sensibilisation et la facilitation de la participation des victimes) semblent en grande partie avoir été guidées par les développements judiciaires. Ce Comité semble également avoir poussé la cour à lier sa présence sur le terrain aux développements judiciaires dans le but de réaliser des économies.[2]
La présence hors siège de la cour devra certes toujours être fonction des procédures judiciaires, mais l’approche actuelle accorde trop d’importance à ce lien. La cour risque ainsi de ne pas saisir les occasions d’approfondir son engagement, d’influencer les perceptions et les attentes, et de répondre aux besoins d’information qui ne découlent pas exclusivement de l’actualité des salles d’audience. L’engagement de la cour sur le terrain devrait tout autant être guidé par le souci de situer l’actualité des salles d’audience dans le contexte général des efforts fournis pour accroître l’impact de la cour sur le terrain. Il s’agit dès lors de veiller à ce que les bureaux extérieurs et les activités de terrain de la cour dans les pays dont elle examine la situation répondent au contexte spécifique de chaque pays.
Par ailleurs, un problème plus fondamental s’est posé, celui de veiller à ce que les bureaux extérieurs de la CPI disposent d’effectifs suffisants pour appuyer les activités principales sur le terrain. En Côte d’Ivoire, par exemple, il aura fallu attendre près de trois ans après l’ouverture de l’enquête pour que l’Unité de la sensibilisation du Greffe dispose des ressources nécessaires pour détacher de façon permanente un membre du personnel dans le pays. Cela a contribué à des approches trop limitées des actions de sensibilisation, réduisant les contacts de proximité de la cour ainsi que l’accessibilité de ses procédures.[3]
Un manque de coordination entre les différentes unités du Greffe sur le terrain pose un défi supplémentaire.[4]
Compte tenu d’une part du rôle central que pourraient jouer les bureaux extérieurs et le personnel de la CPI dans le renforcement de l’impact de la cour, et d’autre part du besoin de faire évoluer davantage l’approche existante de la cour eu égard aux lacunes identifiées plus haut, Human Rights Watch se réjouit de l’accent mis par le projet ReVision du Greffe sur la consolidation de ces bureaux. Une présence plus forte de la CPI sur le terrain contribuera selon nous à davantage recentrer l’attention sur l’importance d’assurer l’impact local de la CPI et, au fil du temps, à améliorer cet impact.
Rôle des chefs de bureaux extérieurs
La création du poste de chef du bureau extérieur est une prochaine étape cruciale qui n’a que trop tardé.
Premièrement, le chef du bureau extérieur supervisera l’ensemble du personnel basé dans un bureau déterminé. Les bureaux extérieurs disposeront non seulement d’un fonctionnaire d’administration et chargé des opérations ainsi que d’un responsable de la sécurité sur le terrain, mais également de « membres du personnel travaillant dans une équipe multidisciplinaire se concentrant sur les questions relatives aux victimes et à la sensibilisation ». À la différence du personnel de l’Unité de la sensibilisation et de la Section de la participation des victimes et des réparations (SPVR) actuellement basé dans les bureaux extérieurs, les effectifs de cette équipe pluridisciplinaire ne seront plus placés sous l’autorité directe de l’Unité de la sensibilisation ou de la SPVR à La Haye mais bien sous celle du chef du bureau extérieur.[5] En supervisant le personnel du Greffe sur le terrain, le chef du bureau extérieur devrait être en mesure d’assurer une coordination entre les différentes missions du Greffe, nécessaire pour mettre en œuvre une stratégie globale sur le terrain visant à asseoir son impact et à surmonter les problèmes de coordination du passé.[6]
Deuxièmement, les chefs de bureaux extérieurs pourraient jouer un rôle central dans la conception et la mise en œuvre, à l’échelle du Greffe, de stratégies d’impact spécifiques à chaque pays. Human Rights Watch a appelé le Greffe de la CPI à élaborer ce type de stratégies afin de définir, dès les toutes premières phases des activités du Greffe dans un pays déterminé, comment les missions du Greffe peuvent contribuer à avoir un impact. Il faudra que ces stratégies soient élaborées en étroite coordination avec le Bureau du Procureur et soient guidées par les développements judiciaires. Mais elles devraient viser à ce que les mandats soient mis en œuvre de manière à assurer un engagement plus profond, reconnaissant que les possibilités d’impact, ainsi que les besoins d’information au sein des communautés affectées, ne seront pas toujours liés aux développements judiciaires.
Là où la CPI dispose de bureaux extérieurs, les chefs de ces bureaux seront bien placés pour fournir des conseils stratégiques de haut niveau, basés sur une connaissance approfondie de la situation du pays, lors de l’élaboration de ces stratégies. À nos yeux, l’absence de poste de haut niveau dans les bureaux extérieurs de la cour—après la non-approbation de requêtes antérieures introduites par la cour pour financer la création de ce type de postes—a contribué à mettre exagérément l’accent sur les développements judiciaires et à appliquer une approche stratégique incomplète dans le cadre des opérations hors siège.[7]
Troisièmement, la présence d’un membre du personnel de haut niveau du Greffe sur le terrain pourrait en soi être un moteur pour l’application d’approches plus sensibles à l’impact dans le cadre des activités de la cour. Elle devrait permettre de mieux faire entendre la voix du personnel de terrain, plutôt ignorée dans le passé, dans les débats politiques de la cour.[8]
Enfin, compte tenu de leur ancienneté, les chefs de bureaux extérieurs pourraient être à même d’inciter les autorités et les partenaires internationaux à coopérer avec la cour dans les pays dont elle examine la situation et, point essentiel, de les impliquer dans des programmes de renforcement des capacités au sein du secteur judiciaire national. Bien que la Cour ne soit pas une agence de développement, le personnel de la Cour peut contribuer de diverses façons aux efforts de renforcement des capacités, y compris en partageant avec des professionnels nationaux son expertise en matière de droit pénal international, d’enquêtes et de protection des témoins. Étant donné que la CPI ne jugera probablement qu’un nombre limité d’affaires dans chaque pays dont elle examine la situation, les efforts qu’elle déploiera pour encourager les poursuites au niveau national pourraient être un élément essentiel servant à accroître l’impact de la cour et sa contribution à long terme.
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Human Rights Watch poursuivra ses démarches auprès du Greffe à propos des changements qu’il envisage pour les bureaux extérieurs de la cour, ainsi qu’en ce qui concerne les domaines où d’autres changements peuvent s’avérer nécessaires pour renforcer les perspectives d’impact de la CPI sur le terrain. Par exemple, il conviendrait peut-être d’examiner plus en profondeur les moyens de renforcer l’engagement et l’impact de la CPI dans les pays où la cour n’a pas encore établi de bureau extérieur ou dans lesquels les bureaux ne disposeront pas, du moins au départ, de chef de bureau extérieur. Il pourrait également se révéler nécessaire d’analyser plus en détail la meilleure manière d’aboutir à des décisions concernant l’ouverture de nouveaux bureaux.[9] La création de postes de chefs de bureaux extérieurs constituera néanmoins un pas en avant significatif et encourageant en ce qui concerne la présence de la cour sur le terrain.
Vous remerciant d’avance pour l’attention que vous porterez à la présente, nous vous prions d’agréer, cher membre du Comité du budget et des finances, l’expression de notre haute considération.
Elizabeth M. Evenson
Juriste senior
Programme de Justice internationale
Human Rights Watch
[1] Outre ces activités, la sélection des affaires et la définition des priorités par le Bureau du Procureur auront une influence significative sur l’impact de la cour au sein des communautés affectées. Ces décisions permettent de mesurer, de la manière la plus rapide et la plus visible, si la cour traitera les souffrances infligées aux victimes et comment elle fera, et elles créent le cadre dans lequel les autres acteurs de la cour assument leurs responsabilités. Voir Human Rights Watch, Pour que la justice compte : Enseignements tirés du travail de la CPI en Côte d’Ivoire, août 2015, https://www.hrw.org/fr/report/2015/08/04/pour-que-la-justice-compte/enseignements-tires-du-travail-de-la-cpi-en-cote, pp. 16-17, 38-48. Même si une présence accrue sur le terrain, comprenant des consultations avec les victimes et des enquêtes qui reposent sur une connaissance approfondie du pays, est susceptible de mieux étayer certains éléments des décisions prises en matière de sélection, ces décisions diffèrent des autres activités examinées ici, lesquelles seront de préférence réalisées principalement à travers une présence de la cour sur le terrain.
[2] Le Comité a invoqué l’absence de développements judiciaires dans la situation examinée dans le nord de l’Ouganda pour justifier une révision de la structure des effectifs du bureau extérieur de Kampala, avec éventuellement une réduction de ces effectifs. Voir Assemblée des États Parties (AEP), « Rapport du Comité du budget et des finances sur les travaux de sa treizième session », ICC-ASP/8/15, 16 novembre 2009, http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP8/ICC-ASP-8-15-FRA.pdf (consulté le 11 septembre 2015), paras. 78, 83-85.
[3] Voir Human Rights Watch, Pour que la justice compte, partie V (« Actions de sensibilisation »).
[4] Bien que les principaux bureaux extérieurs de la cour soient dirigés par un directeur de bureau extérieur, il s’agit d’un poste d’échelon intermédiaire axé sur le soutien logistique et opérationnel. Le titulaire de ce poste n’a aucune autorité sur le personnel des autres unités du Greffe basé dans le bureau. Par conséquent, les circuits de communication pour le personnel hors siège sont « verticaux » ; en d’autres termes, les membres du personnel sur le terrain communiquent presque exclusivement avec leurs collègues de service et leurs superviseurs à La Haye, même lorsqu’il est question de la coordination au sein d’un même bureau extérieur. Voir Human Rights Watch, Une Cour pour l’Histoire : Les premières années de la Cour pénale internationale à l’examen, juillet 2008, https://www.hrw.org/reports/2008/icc0708/icc0708frweb.pdf, pp. 125-127.
[5] Voir AEP, « Rapport relatif à l’examen de la structure organisationnelle du Greffe : Résultats de la Phase 4 du projet ReVision - Décisions relatives à la structure du Greffe », ICC-ASP/14/18, 4 mai 2015, (consulté le 11 septembre 2015), paras. 26-31. Une exception sera faite pour le personnel de la Section d’aide aux victimes et aux témoins, lequel continuera d’être placé sous l’autorité du directeur de ladite section à La Haye.
[6] Le Greffe devrait néanmoins prendre des mesures visant à garantir que la réunion des activités en matière de sensibilisation et de participation des victimes au sein d’une seule équipe multidisciplinaire ne réduira pas, au lieu de l’accroître, l’attention portée à chacune de ces missions importantes et séparées. Cela pourrait être le cas, par exemple, si ces équipes ne disposent pas d’effectifs suffisants pour appuyer ces deux missions.
[7] Human Rights Watch avait déjà appelé ce Comité et les États parties à la Cour pénale internationale (CPI) à appuyer la mise en place de « responsables du Greffe sur le terrain » (tels que désignés initialement dans le projet de budget de 2010) ou de « coordonnateurs des services du Greffe sur le terrain » (tels que désignés dans le projet de budget de 2011). Voir, par exemple, Lettre de Human Rights Watch au Comité du budget et des finances, AEP, 15 avril 2010 (archives de Human Rights Watch). Ces postes ressemblaient à bien des égards au poste de « chef de bureau extérieur » créé aujourd’hui. Les États parties, sur les conseils de ce Comité, n’avaient toutefois pas approuvé l’allocation de ressources pour ces postes, et la cour n’avait pas insisté sur la création de ces postes au sein de ses bureaux extérieurs dans les projets de budget ultérieurs. Le groupe de travail de la CPI basé à Nairobi et opérant depuis le Bureau des Nations Unies à Nairobi dispose cependant d’un coordonnateur des opérations hors siège du Greffe P-4 depuis 2011.
[8] Voir Human Rights Watch, Une Cour pour l’Histoire, pp. 123-125.
[9] Dans le projet de budget de la cour pour 2016, des chefs de bureaux extérieurs sont prévus pour les bureaux ou antennes de la CPI en République centrafricaine (Bangui), en Côte d’Ivoire (Abidjan), en République démocratique du Congo (Kinshasa) et au Kenya (Nairobi), mais pas pour ses bureaux en Ouganda (Kampala) ni au Mali (Bamako). La CPI ne dispose pas actuellement de bureau extérieur pour la situation en Libye ou pour la situation au Darfour (Soudan). La cour a en outre une antenne sur le terrain à Bunia, en République démocratique du Congo et le projet de budget indique qu’elle a l’intention d’établir une antenne à Gulu, dans le nord de l’Ouganda.