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Liban: Au moins 45 couvre-feux imposés localement aux réfugiés syriens

Dans certains cas, il s’agirait de représailles faisant suite aux affrontements et aux exécutions du mois d’août

(Beyrouth) — De plus en plus de municipalités libanaises imposent un couvre-feu aux réfugiés syriens, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces couvre-feux restreignent la circulation des réfugiés et entretiennent un climat de discrimination et de représailles à leur encontre. Human Rights Watch a identifié au moins 45 municipalités ayant ainsi mis en place des couvre-feux à travers le Liban.

Certains de ces couvre-feux s’inscrivent dans une série de mesures de représailles ciblant directement les réfugiés syriens en réponse aux affrontements qui ont eu lieu en août 2014 à Arsal, au Liban, entre l’armée libanaise et des groupes extrémistes agissant depuis la Syrie, ainsi qu’à l’exécution d’au moins trois soldats libanais enlevés par l’État islamique et Jabhat al-Nosra. De tels couvre-feux enfreignent la législation internationale des droits humains et semblent également être illégaux au regard du droit libanais. Dans de nombreux cas c’est la police municipale qui fait respecter les couvre-feux, mais Human Rights Watch a été informé de la constitution de groupes locaux d’autodéfense qui assument cette tâche, ce qui soulève des inquiétudes concernant des abus.

« Les autorités n’ont fourni aucune preuve de la nécessité des couvre-feux imposés aux réfugiés syriens pour le maintien de l’ordre public ou de la sécurité au Liban », a commenté Nadim Houry, directeur adjoint pour le Moyen-Orient chez Human Rights Watch. « Le seul effet de ces couvre-feux est d’entretenir l’hostilité à l’encontre des réfugiés syriens dans le pays. »

Le gouvernement libanais devrait enjoindre aux municipalités de supprimer les couvre-feux et de protéger les Syriens se trouvant au Liban contre les représailles, a affirmé Human Rights Watch. Le gouvernement national ne devrait pas déléguer ses responsabilités concernant les réfugiés à des municipalités qui ne sont pas suffisamment équipées ou compétentes pour faire face au défi que représente l’augmentation du nombre de réfugiés dans le pays.

Le Liban compte près de 1,2 million de réfugiés syriens enregistrés ou en cours d’enregistrement. Malgré l’augmentation constante de ce chiffre, le gouvernement du pays n’a pas adopté de politique nationale visant à accueillir ou à gérer autrement cet afflux de réfugiés. Il n’a pas non plus fourni aux municipalités de directives adéquates pour la prise en charge de l’arrivée massive de réfugiés dans leur communauté, ou pour superviser les politiques locales afin de veiller au respect des obligations du Liban en matière de droits humains internationaux, a observé Human Rights Watch.

Certaines municipalités ont mis en place des couvre-feux depuis plus d’un an, mais d’autres n’en ont instauré que suite aux affrontements d’Arsal. L’instauration de ces couvre-feux est généralement annoncée dans une grande affiche placée dans une rue principale, qui stipule les horaires lors desquels les Syriens, les étrangers ou les travailleurs étrangers ne sont pas autorisés à se trouver à l’extérieur ni à se réunir en groupes importants. Les affiches évoquant les « étrangers » et les « travailleurs étrangers » sont clairement comprises comme faisant référence aux Syriens.

Le 18 août, Human Rights Watch a visité deux villages de la région d’Akkar, dans le nord du Liban, où des couvre-feux ont été instaurés après que les affrontements ont éclaté à Arsal. Le directeur de la clinique du ministère des Affaires sociales dans le village chrétien de Rahbe, Akkar, a raconté à Human Rights Watch que le 8 août, la municipalité locale avait imposé un couvre-feu à partir de 20 heures. Contrairement aux déclarations des autorités municipales de Rahbe, selon lesquelles ce couvre-feu visait les motos – très utilisées par les Syriens – et non les Syriens en général, les habitants de Rahbe ont dit à Human Rights Watch qu’ils comprenaient que le couvre-feu s’appliquait de façon globale aux Syriens.

Dans la ville voisine de Tikrit, majoritairement sunnite, un résident syrien et un résident libanais local ont tous deux déclarés qu’un couvre-feu avait été imposé autour du 8 août. Le directeur adjoint de la municipalité de Tikrit n’a pas admis qu’il s’agissait d’un couvre-feu général, affirmant que seuls les motocyclistes étaient ciblés.

Un réfugié syrien vivant à Zalka, dans le district de Metn, a raconté qu’à la fin du mois d’août, la police municipale l’avait empêché d’aller chercher des médicaments pour son enfant malade dans une pharmacie proche de son domicile, à 20 h 45 :

La police municipale m’a stoppé dès que je suis arrivé dans la rue. Ils m’ont dit : « Vous êtes syrien, vous ne devez pas sortir après 20 h. Il y a un couvre-feu et aucun Syrien n’est autorisé à sortir après 20 h. » Je leur ai répondu : « Je le sais, mais je vais seulement chercher des médicaments pour mon enfant. » Ils ont répliqué : « Non, vous devez rentrer chez vous. » Je suis rentré chez moi et n’ai pas pu acheter les médicaments pour mon enfant.

Un travailleur humanitaire qui surveille la protection des réfugiés pour le compte d’une organisation internationale installée dans la Bekaa a indiqué à Human Rights Watch que la municipalité de Hermel a imposé aux réfugiés syriens un couvre-feu quotidien de 20 h à 7 h, depuis la première semaine d’août. À Bcharré, au nord-est du Liban, la municipalité a imposé un couvre-feu en août pour limiter la circulation des réfugiés syriens à moto après 19 h, selon ce travailleur humanitaire.

Les modalités de l’application des couvre-feux municipaux varient selon les rapports, mais ils sont généralement établis par la police municipale. Human Rights Watch a interrogé neuf fonctionnaires municipaux sur leurs couvre-feux, et six ont déclaré qu’ils étaient appliqués par la police ou des gardes municipaux. Dans certains cas cependant, comme à Aley, les média ont rapporté que des groupes d’autodéfense locaux, parfois armés, ont été constitués pour patrouiller dans les rues durant la nuit, à la recherche de Syriens dehors après le couvre-feu. Des habitants de Tikrit, dans la région d’Akkar, ont raconté qu’un groupe d’autodéfense avait été formé avec l’appui des autorités municipales pour appliquer le couvre-feu et assurer la sécurité dans la ville.

Human Rights Watch s’est entretenu avec un Syrien qui accompagnait à l’hôpital un ami déclarant avoir été agressé par plusieurs hommes libanais dans la ville de Rawda, vers 22 h le 23 septembre. Il a dit à Human Rights Watch que son ami avait été arrêté par un groupe d’hommes affirmant qu’il n’avait pas le droit de sortir la nuit car il était syrien. Il a également raconté à Human Rights Watch que lorsque son ami eut expliqué qu’il voulait simplement faire quelques achats, les hommes l’avaient poignardé à plusieurs reprises. Human Rights Watch n’a pas pu s’entretenir directement avec la victime en raison de l’étendue de ses blessures.

Le gouvernement libanais ne devrait pas ignorer le développement de milices qui, même si elles bénéficient du soutien tacite des autorités locales, sont en dehors de toute structure officielle susceptible de garantir qu’elles agissent en conformité avec la législation du pays et des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les groupes d’autodéfense de ce type devraient être démantelés et tout soutien reçu des municipalités locales ou d’autres autorités devrait cesser.

« La dernière chose dont le Liban a besoin, ce sont des milices armées arpentant ses rues », a affirmé Nadim Houry. « La véritable sécurité relève d’institutions nationales garantissant que la loi est appliquée de manière équitable à tous, c’est-à-dire aussi bien aux résidents locaux qu’aux Syriens. »

Deux Syriens servant d’intermédiaires entre les réfugiés et des organisations humanitaires à Zgharta et Meryata ont décrit la manière dont les couvre-feux sont appliqués. Ils ont rapporté que la police adresse des avertissements aux personnes qui enfreignent le couvre-feu, et que des exceptions sont faites pour les personnes munies d’une autorisation préalable qui ont besoin de sortir la nuit pour leur travail ou pour répondre à des situations d’urgence. Cinq fonctionnaires municipaux ont également indiqué à Human Rights Watch que la municipalité remet des laissez-passer aux travailleurs dont l’activité nécessite de se trouver dehors pendant le couvre-feu.

Certains agents ont déclaré que les personnes qui enfreignent le couvre-feu reçoivent un avertissement et peuvent parfois être arrêtés et interrogés par la municipalité. Rawad Shemsedeen, conseiller municipal de Benih à Aley, a indiqué que les personnes qui enfreignent le couvre-feu de la ville reçoivent un premier avertissement, et sont sanctionnées en cas de récidive. Il n’a toutefois pas précisé le type de sanctions encourues. Selon un rapport de NBC news, les Syriens qui enfreignent le couvre-feu à Ramallah, dans le district de Baabda, reçoivent un avertissement les deux premières fois, mais sont détenus quelques heures dès la troisième ou la quatrième violation.          

Alors que les officiels locaux justifient souvent les restrictions de la liberté de circulation des réfugiés syriens en les assimilant à des mesures de sécurité nécessaires, leurs explications s’appuient souvent sur des clichés et entretiennent la discrimination ambiante, a commenté Human Rights Watch. Human Rights Watch a demandé à sept fonctionnaires de différentes municipalités de fournir des exemples précis ou des données démontrant que les incidents de sécurité ont diminué après la mise en place des couvre-feux. Aucun ne l’a fait, bien que quatre d’entre eux aient insisté sur le fait que la sécurité s’était améliorée après l’instauration du couvre-feu.

Les quatre fonctionnaires municipaux interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que les couvre-feux étaient organisés sans coordination avec le gouvernement national, et sans directives de sa part. L’un a affirmé, à tort : « Cela [le couvre-feu] ne concerne pas le gouvernement. C’est une prérogative de la municipalité de prendre des mesures de sécurité pour la protection de ses habitants. »

Par ailleurs, l’application des couvre-feux n’est prévue par aucune loi, ce qui est contraire aux obligations du Liban en matière de droits humains internationaux, et qu’elle se fasse à l’initiative des municipalités enfreint la législation du Liban.

En avril 2013, Marwan Charbel, alors ministre de l’Intérieur, a été cité par le quotidien al-Sharq al-Awsat pour avoir affirmé que les couvre-feu n’avaient pas de fondement légal et que les municipalités locales n’avaient pas le droit d’empiéter sur l’autorité des forces de sécurité de l’État – quelle que soit la situation – notamment en imposant des couvre-feux locaux. L’organisation non gouvernementale à but non lucratif Legal Agenda basée à Beyrouth a elle aussi dénoncé publiquement les couvre-feux, les qualifiant de punition collective et de violation des droits humains. En juillet, le Conseil norvégien pour les réfugiés a également émis une circulaire destinée aux avocats à propos des couvre-feux, indiquant qu’ils ne reposent sur aucune base juridique dans la législation libanaise.

Quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un pays a le droit d’y circuler librement. Ce principe est inscrit à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Liban a ratifié. Les pays peuvent, dans certaines circonstances, restreindre la circulation des personnes, mais ces restrictions doivent alors être prévues par la loi et nécessaires « pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. » Qui plus est, la restriction de la circulation doit être proportionnée, et notamment tenir compte des secteurs où elle s’applique, de la durée, du nombre de personnes concernées et de son incidence sur leur vie quotidienne, en considération de l’objectif visé par la loi. Le Liban n’a aucune loi de ce type, a déclaré Human Rights Watch. Des restrictions des droits ne doivent pas être imposées sur une base discriminatoire, y compris reposant sur la nationalité. C’est un principe fondamental de la législation sur les droits humains qui s’applique même dans les situations d’urgence. L’interdiction de la discrimination implique que toute différence de traitement reposant sur la nationalité doit être justifiée de manière très stricte. Il est extrêmement rare qu’un traitement défavorable réservé à une nationalité isolée soit justifiable, a remarqué Human Rights Watch.

Tout en continuant de soutenir généreusement les efforts du gouvernement libanais pour répondre aux besoins des réfugiés syriens et des populations locales, les bailleurs de fonds devraient vérifier si les municipalités qui bénéficient de leur aide imposent des restrictions illégales et discriminatoires sur les réfugiés syriens et, le cas échéant, envisager de mettre un terme à cette assistance, a déclaré Human Rights Watch.

« Le gouvernement libanais doit faire passer aux municipalités et aux citoyens du Liban le message qu’une justice milicienne n’a rien à voir avec la justice », a conclu Nadim Houry. « Les municipalités devraient cesser d’imposer ces couvre-feux qu’elles n’ont aucune autorité pour exiger, et mettre en terme aux pratiques qui entretiennent un climat de discrimination et de stigmatisation des Syriens au Liban. »

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