Les autorités gouvernementales de la République centrafricaine et les forces internationales de maintien de la paix devraient permettre aux habitants musulmans de chercher protection dans les pays voisins. De nombreux habitants musulmans vivant dans quelques zones fortement gardées subissent des conditions inacceptables, mettant leur vie en danger, et assurent qu’ils veulent partir.
La majorité des musulmans se trouvant encore dans l’ouest du pays sont des nomades appartenant au groupe ethnique peul et vivant dans de petites enclaves – comme à Boda, Carnot et Yaloké – qui sont fortement gardées par les forces de maintien de la paix de l’Union africaine (MISCA) et par les troupes françaises (Sangaris). Du fait des menaces persistantes dirigées contre les Peuls, les forces de maintien de la paix limitent de façon drastique les déplacements des résidents.
« Admettre que de nombreux musulmans menacés en République centrafricaine doivent quitter le pays temporairement est une option de dernier recours, mais il n’existe pas d’autre solution immédiate », a déclaré Peter Bouckaert, directeur de la division Urgences à Human Rights Watch. « De nombreux musulmans dans l’ouest du pays ont exprimé clairement et sans équivoque le souhait de fuir pour se réfugier dans des pays voisins, et ils devraient être autorisés à partir en toute sécurité. »
Depuis septembre 2013, les milices anti-balaka essentiellement chrétiennes et animistes ont mené des attaques répandues et systématiques contre la minorité musulmane en République centrafricaine, faisant des milliers de morts et entraînant la fuite de centaines de milliers de musulmans qui ont été contraints à abandonner leurs maisons. Les 2 000 militaires français de l’Opération Sangaris et les 6 000 forces africaines de maintien de la paix de la mission de l’Union africaine, la MISCA, n’ont pas réussi à stopper ces attaques.
Depuis six mois, les combattants anti-balaka cherchent à se venger des exactions brutales commises par la coalition rebelle Séléka, essentiellement musulmane, qui a renversé le gouvernement de François Bozizé en mars 2013. Des quartiers entiers de la capitale, Bangui, ont été vidés de leurs populations musulmanes. Dans plusieurs grandes villes de l’ouest du pays, où des milliers de musulmans vivaient auparavant, il n’en reste aucun.
À Yaloké, 490 Peuls ayant fui le sud-ouest du pays il y a quatre mois sont hébergés dans trois bâtiments gouvernementaux délabrés au sommet d’une colline dans le centre ville, protégés par des forces de maintien de la paix de la MISCA et par des gendarmes locaux. Les forces anti-balaka attaquaient fréquemment les Peuls alors qu’ils fuyaient le sud-ouest du pays, s’emparant de milliers de têtes de leur bétail. De nombreux Peuls portent des cicatrices de blessures de machette, à la suite des attaques des forces anti-balaka.
Les hommes du groupe de Peuls ne sont pas autorisés à quitter le camp, tandis que les populations locales menacent et insultent régulièrement les femmes peuls qui s’aventurent quelques mètres à l’extérieur en quête de bois pour le feu et d’eau. Nombre d’enfants et d’adultes souffrent de maladies respiratoires et de malnutrition, et sont obligés de dormir en plein air. Au cours de la dernière semaine de mai 2014, lorsque des chercheurs de Human Rights Watch ont rendu visite aux Peuls à plusieurs occasions, au moins quatre enfants, dont deux jumeaux nouveau-nés, sont morts en raison des conditions terribles régnant dans le camp.
En dépit de la vulnérabilité des Peuls, le capitaine commandant le contingent local de maintien de la paix de la République du Congo (Congo-Brazzaville) les a ouvertement menacés en présence des chercheurs de Human Rights Watch, jurant de tirer sur quiconque essaierait de prendre place à bord d’un convoi de camions commerciaux se trouvant à proximité et qui auraient pu les transporter au Cameroun.
Après que les chercheurs de Human Rights Watch ont protesté, le capitaine a déclaré qu’il avait « seulement essayé d’effrayer [les Peuls] ». Mais il a insisté sur le fait qu’il ne les autoriserait pas à monter dans les camions, indiquant que les autorités de transition du pays s’étaient fermement opposées à tout nouveau départ des musulmans hors du pays.
Des membres de la communauté peul pris au piège à Yaloké ont confié à Human Rights Watch qu’ils souhaitaient tous se réfugier au Cameroun. Ils ont affirmé qu’ils étaient retenus à Yaloké contre leur volonté après que les autorités locales leur aient dit qu’ils seraient autorisés à se rendre au Cameroun.
Human Rights Watch s’est entretenu avec des sources humanitaires, diplomatiques et gouvernementales qui ont expliqué que les autorités de transition de la République centrafricaine ont commencé à s’opposer au départ des musulmans après que les troupes des Nations Unies et de la MISCA ont soutenu le 27 avril l’évacuation de 1 300 musulmans qui se trouvaient pris au piège dans la zone PK12 de Bangui, la capitale. Des combattants anti-balaka ont attaqué le convoi et tué deux musulmans qui s’enfuyaient. Les autorités de transition ont alors déclaré qu’elles n’avaient pas approuvé l’évacuation, et ont insisté sur le fait qu’il ne devrait pas y avoir d’autres évacuations sans le consentement du gouvernement.
Les chercheurs de Human Rights Watch ont également pu constater les conditions épouvantables régnant dans la ville de Boda, dans le sud-ouest du pays, spécialisée dans le commerce de diamants et où environ 11 000 musulmans sont pris au piège. Les attaques contre les musulmans se poursuivent, malgré la présence des forces africaines de maintien de la paix et des troupes françaises. À Carnot, 800 à 900 musulmans sont toujours réfugiés dans l’église catholique locale dans des conditions déplorables. Certains d’entre eux s’y trouvent depuis trois mois. Des forces anti-balaka les ont attaqués récemment, le 24 mai.
Même si certaines organisations humanitaires internationales sont présentes dans la capitale, peu travaillent dans les zones rurales, ce qui aggrave la situation des Peuls qui s’y trouvent. Un nombre inconnu de nomades peuls se trouvent toujours dans des zones rurales avec le restant de leurs troupeaux, essayant d’éviter les violences des anti-balaka.
Le droit international octroie à chaque personne le droit « de quitter tout pays, y compris le sien ». La population musulmane de la République centrafricaine a également le droit à la liberté de mouvement à l’intérieur du pays. Les restrictions imposées par les autorités de transition sur les déplacements volontaires des communautés musulmanes menacées ne sont pas conformes avec ces obligations légales internationales, et montrent la nécessité d’une approche plus durable pour garantir la sécurité des populations musulmanes.
Les autorités de transition devraient accorder aux résidents musulmans la liberté de mouvement et respecter leur droit de rechercher la sécurité à l’étranger, selon Human Rights Watch. Les autorités de transition, les Nations Unies, les forces de maintien de la paix de la MISCA et les troupes françaises Sangaris devraient également collaborer pour aider les musulmans pris au piège, notamment en assurant la sécurité contre les attaques des forces anti-balaka à ceux qui sont résolus à partir afin de trouver une protection dans les pays voisins de la RCA. Les autorités de transition et la communauté internationale devraient prendre l’engagement ferme de créer les conditions aussitôt que possible pour permettre aux musulmans d’exercer leur droit au retour vers leurs lieux d’origine.
« Les communautés musulmanes en République centrafricaine sont confrontées à des menaces persistantes depuis six mois, mais les autorités n’ont toujours pas mis en place une réponse adaptée à leur misère », a conclu Peter Bouckaert. « Forcer des musulmans désespérés à rester dans des enclaves étroitement surveillées et dans de terrible conditions n’est pas du tout la manière appropriée de gérer cette situation. »