(Nairobi, le 20 février 2014) – Le projet de loi anti-homosexualité actuellement en instance d’adoption en Ouganda viole les obligations de ce pays en matière de droits humains, et représente un frein aux efforts en faveur d’objectifs de santé publique pourtant cruciaux, a affirmé aujourd'hui Human Rights Watch. Les partenaires et bailleurs internationaux de l'Ouganda devraient énoncer clairement et publiquement les conséquences qu'aura le projet de loi anti-homosexualité sur leurs relations avec l'Ouganda, s'il est promulgué. Le parlement a adopté ce texte le 20 décembre 2013, et le Président Yoweri Musevini a fait connaître son intention de le ratifier.
Le projet de loi renforcerait les sanctions applicables à certaines formes de relations sexuelles entre adultes consentants, restreindrait des droits liés à la vie privée, à la vie familiale et à l'égalité pourtant protégés par la constitution, et violerait le droit à la liberté d'association et d'expression. Au pouvoir depuis 28 ans, le gouvernement de Museveni a progressivement intensifié la répression de la liberté de réunion, d'expression et d'association, ainsi que les menaces contre les organisations de la société civile qui travaillent sur certains enjeux tels que la corruption, la gestion des terres, le pétrole et la bonne gouvernance. Ce projet de loi est le dernier exemple en date du manque de respect particulièrement préoccupant dont font preuve les autorités à l'égard des protections des droits humains, a affirmé Human Rights Watch.
« Si Museveni signe le projet de loi anti-homosexualité, cela représentera une atteinte de plus aux droits humains fondamentaux en Ouganda », selon Daniel Bekele, directeur de la division Afrique chez Human Rights Watch. « Les partenaires internationaux de l'Ouganda doivent afficher sans équivoque que si ce projet de loi est promulgué, leurs relations avec le gouvernement de ce pays ne pourront pas se maintenir en l’état. »
La constitution ougandaise prévoit dans son article 29 de solides protections de la liberté d'expression, de conscience et de culte. La Commission nationale des droits de l’homme et le Barreau (Uganda Law Society) de l’Ouganda, ainsi que la Fondation pour l’Initiative des Droits Humains (Foundation for Human Rights Initiative) ont toutes publiquement critiqué le caractère anticonstitutionnel du projet de loi anti-homosexualité. Parce que ce projet de loi pénalise la « promotion » de l’homosexualité sans définir celle-ci, il aura des conséquences énormes bien au-delà de sanctions plus sévères pour les rapports sexuels entre personnes du même sexe, selon Human Rights Watch. Si la loi est promulguée, on pourra emprisonner une personne pour avoir simplement exprimé une opinion. Les campagnes en faveur de la santé publique et les efforts de prévention ciblant les groupes « à risque » pourraient se voir restreints, et les éducateurs en santé ou les personnes qui assurent des soins pourraient faire l’objet de poursuites pénales.
Les organisations non-gouvernementales locales et internationales qui mènent un travail de plaidoyer sur les droits humains pourraient également être en danger. Divers programmes financés par d’autres pays, notamment dans les secteurs de la santé et des droits humains, seraient susceptibles de se voir contraints à mettre un terme à leurs activités sous peine de subir des sanctions pénales, car la pénalisation de la promotion prévue par le projet de loi limite de façon flagrante le droit à la liberté d’expression de tous en Ouganda, étrangers compris.
Les partenaires internationaux de l’Ouganda, parmi lesquels figurent les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, ont régulièrement condamné ce projet de loi, qui était en instance depuis de nombreuses années au parlement ougandais. Le 17 février, le Président Barack Obama a affirmé que la promulgation de la loi « compliquerait » les relations entre les États-Unis et l’Ouganda, mais n’a pas explicité précisément la nature des conséquences. Les États-Unis et les autres bailleurs internationaux travaillent régulièrement avec le gouvernement ougandais sur une série de questions liées à la sécurité et à la lutte antiterroriste sur tout le continent africain.
Les États-Unis devraient manifester avec fermeté leur inquiétude relative à la détérioration de la situation des droits humains en Ouganda en rappelant temporairement à Washington l’ambassadeur des États-Unis ainsi que le directeur pour l’Ouganda de l’Agence pour le Développement International américaine, pour consultations stratégiques, a déclaré Human Rights Watch. La Coalition de la société civile pour les droits humains et le droit constitutionnel de l’Ouganda (Civil Society Coalition for Human Rights and Constitutional Law), composée de 51 organisations non-gouvernementales locales qui s’opposent au projet de loi, a également recommandé de rappeler ces responsables.
Les États-Unis devraient également contrôler les aides financières qu’ils versent à l’Ouganda pour s’assurer que les fonds américains ne pourront pas servir à poursuivre qui que ce soit dans le cadre de la loi. Les financements destinés à la police devraient notamment faire l’objet d’un examen approfondi, puisque celle-ci serait alors mandatée légalement pour faire appliquer cette loi. Tous les programmes de recherches financés par les États-Unis, et notamment ceux qui ont trait au VIH, pourraient également nécessiter un réexamen par des comités d’éthique, afin d’évaluer les risques de conséquences négatives de la loi sur les participants à ces recherches, et les menaces de poursuites qui pourraient peser sur le personnel de santé.
« Il y a une véritable urgence à présent que Museveni a affirmé son intention de signer le projet de loi », selon Daniel Bekele. « Les États-Unis devraient rappeler temporairement leur ambassadeur afin de mener des consultations stratégiques à propos de leur relation avec l’Ouganda, tout en exprimant clairement les nombreuses inquiétudes soulevées par ce nouveau retour en arrière pour les droits humains dans ce pays. »