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Mémorandum de Human Rights Watch pour la Douzième Session de l’Assemblée des États parties au statut de la Cour pénale internationale

Ci-dessous sont des extraits de “Human Rights Watch Memorandum for the Twelfth Session of the International Criminal Court Assembly of States Parties”. Une version anglaise du document intégral peut être consultée à l’adresse suivante: https://www.hrw.org/news/2013/11/12/ human-rights-watch-memorandum-twelfth-session-international-criminal-court-assembly-

 

Résumé des recommandations pour la Douzième Session de l’Assemblée des États parties au statut de la Cour pénale internationale

L'Afrique et la CPI

  A. Contexte

  B. Décisions prises par l’UA en 2013 à propos de la CPI

  C. Les affirmations selon lesquelles la CPI prend l’Afrique pour cible et l’impact positif de la CPI en Afrique

  D. Inquiétudes concernant l’immunité pour les responsables en exercice

  E. Recommandations pour la présente session de l’Assemblée

 

Résumé des recommandations pour la Douzième Session de l’Assemblée des États parties au statut de la Cour pénale internationale

Dans leurs déclarations lors du Débat général et lors du débat spécial sollicité par l’Union africaine sur « l’inculpation de chefs d’État en exercice », les États parties au Statut de Rome devraient :

·         Affirmerleur attachement à la mission et au mandat confiés à la Cour pénale internationale (CPI) de mettre fin à l’impunité pour les crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale ;

·         Mettre l’accent sur l’indépendance de la CPI et de son procureur et s’engager à protéger la cour contre toute ingérence politique, et souligner le besoin d’éviter ce type d’ingérence dans les activités judiciaires de la cour, tant de la part de l’Union africaine que de tout autre organe politique ; 

·         S’engager à œuvrer pour étendre la portée de la justice pour les victimes, entre autres en accordant une attention accrue au travail d’universalité de l’Assemblée, et faire référence à la session plénière sur les victimes en tant qu’occasion de débattre de mesures que la cour et les États parties peuvent adopter en vue d’apporter un meilleur soutien à la justice rendue par la CPI ;

·         Mettre en avant les effets positifs importants qu’a déjà eus la cour en Afrique à ce jour ;

·         Appeler à des efforts accrus de la cour – et lui fournir des moyens adéquats – pour intensifier ses activités de sensibilisation et d’information du public en Afrique, en particulier dans les pays dont elle examine la situation, afin de promouvoir le dialogue entre la cour et les communautés affectées ainsi qu’une meilleure compréhension du mandat et des activités de la cour ; et

·         Souligner qu’il importe de chercher des points d’entrée supplémentaires pour la CPI en Afrique ; il pourrait notamment s’agir de s’engager à tenir davantage de réunions des États parties dans des capitales africaines, entre autres dans le cadre du travail intersessions de l’Assemblée sur la coopération et la complémentarité ; d’organiser des débats publics en Afrique en vue d’attirer l’attention sur le mandat de la cour et les développements jurisprudentiels, comme moyen de sensibiliser et de favoriser des discussions éclairées ; et d’appeler le gouvernement du pays hôte à œuvrer pour l’ouverture du bureau de liaison de la CPI à Addis-Abeba.

En ce qui concerne la discussion plénière sur les victimes, les États parties devraient :

·         Apporter leur appui à la participation effective des victimes, au travail de sensibilisation, à la présence sur le terrain, au Fonds au profit des victimes et à l’attention consacrée à l’héritage laissé par la cour, autant d’éléments du travail de la cour qui revêtent une importance toute particulière pour les victimes et pour l’impact au sein des communautés affectées, tout en promettant une coopération et un soutien accrus à la cour pour qu’elle mène à bien le mandat qui lui est confié de rendre justice.

En ce qui concerne la discussion plénière sur la coopération, les États parties devraient :

·         Saluer la pratique émergente de l’Assemblée qui consiste à aborder les questions de coopération en identifiant les priorités, en assurant un suivi soutenu au cours de l’année, notamment par le biais de séminaires intersessions d’experts, et en utilisant la session plénière pour attirer au maximum l’attention sur les questions de coopération ;

·         Se déclarer favorables au maintien de la coopération parmi les points permanents à l’ordre du jour de l’Assemblée lors de ses sessions annuelles ; et

·         Contribuer activement et chercher à mieux comprendre les besoins de la cour en ce qui concerne la protection et la prise en charge des témoins et des victimes, procéder à un échange de meilleures pratiques lors de la conclusion d’accords volontaires ou d’autres mesures visant à faciliter les programmes de la cour en matière de protection et de prise en charge des témoins et victimes, et identifier des domaines susceptibles de faire l’objet d’un suivi via la facilitation en matière de coopération au cours de l’année à venir.

Dans leurs déclarations lors du Débat général et lors d’autres discussions pertinentes de l’Assemblée et événements parallèles sur la complémentarité, les États parties devraient :

·         Insister sur le fait que, dans la lutte contre l’impunité, il est important d’appuyer la justice nationale pour les crimes relevant de la CPI, et souligner qu’il est indispensable de fournir une aide visant à renforcer dès que possible la capacité à mener des poursuites au niveau national dans les pays dont la CPI examine la situation afin de traiter les affaires pour lesquelles la CPI n’engagera pas de poursuites ;

·         Partager les expériences en matière d’initiatives prises en vue de promouvoir la justice pour les crimes odieux qui ont été perpétrés, en particulier dans les pays qui font l’objet d’un examen ou d’une enquête de la CPI ;

·         S’engager à intégrer davantage l’importance des initiatives de lutte contre l’impunité auprès du personnel diplomatique et des équipes de développement sur le terrain ;

·         Mettre en avant l’importance de mener des projets de renforcement des capacités qui pourraient appuyer et mesurer à la fois les capacités et la volonté, cette dernière étant définie comme un facteur créant et préservant un climat favorable à la réalisation d’une justice indépendante et impartiale ;

·         Reconnaître un chevauchement productif entre les stratégies d’achèvement de la CPI dans les pays dont elle est saisie de la situation et les initiatives de complémentarité ;

·         Appeler la CPI à poursuivre sa progression dans l’élaboration de stratégies d’achèvement, notamment afin de fournir des indications claires aux États parties à propos des types de capacités renforcées qui seraient les plus pertinents pour les enquêtes et poursuites concernant des crimes relevant de la CPI ;

·         Admettre que la cour est une ressource clé dans les initiatives de complémentarité et reconnaître le rôle important des bureaux extérieurs lorsqu’il s’agit d’élaborer des stratégies d’achèvement pour maximaliser l’héritage laissé par la cour et son impact ;

·         Se déclarer favorables à l’inclusion de la complémentarité parmi les points à l’agenda de la session de l’Assemblée l’année prochaine ;

·         Appeler à l’élaboration d’un solide plan de travail de l’Assemblée sur la complémentarité pour 2014, prévoyant de prêter une attention soutenue à la relation entre l’élaboration de stratégies d’achèvement de la CPI et les initiatives de complémentarité ;

·         Accorder la priorité à une participation aux événements parallèles sur la complémentarité, compte tenu de l’absence de session plénière sur ce thème ; et

·         Nommer un rapporteur chargé de participer à tous les événements parallèles sur la complémentarité afin de préparer un résumé écrit qui peut être distribué à tous les États parties à la CPI. Ce compte rendu devrait également inclure des extraits pertinents de déclarations faites lors du Débat général.

En ce qui concerne une résolution spécifique sur la coopération, l’Assemblée devrait :

·         Adopter l’annexe proposée concernant une feuille de route pour obtenir un « outil opérationnel » permettant de mieux appuyer les stratégies d’arrestation pour la CPI ;

·         Adopter le texte proposé demandant au Bureau de faire rapport à la treizième session de l’Assemblée sur la mise en place d’un mécanisme permanent de coordination des autorités centrales nationales ou des points focaux pour la coopération avec la cour ;

·         Exprimer son soutien au Bureau pour la préparation d’un tel rapport en vue d’examiner les moyens de renforcer la pratique émergente de l’Assemblée en matière de traitement des questions de coopération via la mise sur pied d’un groupe de travail intersessions, parallèlement au mécanisme permanent de coordination des autorités centrales nationales ou des points focaux ;

·         Adopter le texte proposé qui prévoit d’une part de maintenir à l’examen les procédures de l’Assemblée relatives à la non-coopération afin de garantir leur efficacité, et qui souligne d’autre part l’importance d’une notification rapide aux États parties des possibilités d’éviter une non-coopération;

·         Se déclarer favorables à ce que l’Assemblée, dans le cadre de cet examen, développe les modalités effectives, au-delà d’une résolution de l’Assemblée, d’une « réponse officielle » qu’apporterait l’Assemblée à la suite du dialogue avec un État dont la cour aurait conclu à la non-coopération;

·         Réexaminer la question des « contacts non essentiels » lors des consultations de l’année prochaine afin d’identifier un texte qui traduit mieux toute l’importance des contacts non essentiels pour promouvoir au final la remise de suspects et faire preuve de respect à l’égard des victimes ;

·         Adopter le texte proposé demandant au Bureau de faire rapport à l’Assemblée, lors de sa treizième session, sur la mise en œuvre des promesses faites à la conférence de révision de Kampala ; et

·         Se déclarer favorables à ce qu’un tel rapport identifie également un cadre plus durable permettant aux États de rendre compte de leur mise en œuvre et de faire de nouvelles promesses, en vue de son examen et adoption lors de la treizième session de l’Assemblée.

En ce qui concerne le Groupe de travail sur les amendements, les États parties devraient :

·         Maintenir le défaut de pertinence de la qualité officielle énoncé à l’article 27 du Statut ;

·         Examiner les propositions d’amendement au Règlement de procédure et de preuve en ce qui concerne la présence de l’accusé au procès, tout en gardant à l’esprit le besoin de garantir des consultations suffisantes au sujet des propositions ainsi que la conformité avec le Statut de Rome, et examiner si l’adoption d’un amendement serait prématuré compte tenu de l’évolution des pratiques à la cour.

En ce qui concerne l’adoption d’un budget 2013 pour la Cour pénale internationale, les États parties devraient :

·         Veiller tout particulièrement à ce que le Bureau du Procureur dispose des ressources supplémentaires nécessaires pour renforcer sa capacité à enquêter, tout en marquant leur soutien dans les années à venir à un investissement dans d’autres domaines où la cour continue de disposer de moyens insuffisants pour mener à bien son mandat et pour préserver le principe de l’égalité des armes.

 

L’Afrique et la CPI

Les relations de la Cour pénale internationale (CPI) avec certains gouvernements africains et l’Union africaine (UA) se sont heurtées à des défis accrus en 2013. Dans ce contexte, le Débat général ainsi que le débat spécial prévu lors de la session de l’Assemblée et sollicité par l’Union africaine sur « l’inculpation de Chefs d’État et de gouvernement en exercice et ses conséquences sur la paix, la stabilité et la réconciliation » constituent des occasions importantes pour les États parties africains de réaffirmer leur soutien à la CPI, tout en exprimant leurs préoccupations dans le respect des paramètres définis dans le Statut de Rome à propos de l’autorité de la cour et de l’Assemblée.

Cette discussion s’avère également être une excellente occasion pour les États parties à la CPI, africains et autres, de s’engager à œuvrer pour étendre la portée de la justice pour les crimes graves, d’affirmer qu’il importe de protéger la cour contre toute ingérence politique dans ses activités judiciaires indépendantes, et de mettre en lumière les effets positifs importants de la CPI en Afrique.

En amont de cette session, le gouvernement kényan a proposé des amendements au Statut de Rome, entre autres à son article 27. Les articles 121 et 122 du Statut de Rome définissent la procédure à suivre pour les amendements au Statut de Rome, et l’Assemblée a également mis sur pied un Groupe de travail sur les amendements chargé d’examiner et de formuler des recommandations sur les propositions d’amendement.[1] Le délai de notification de 90 jours requis aux termes du Statut de Rome pour l’examen d’amendements au Statut exclut l’adoption de tout amendement au Statut lors de la présente session de l’Assemblée. Néanmoins, comme expliqué plus loin, pour ce qui est du bien-fondé d’une telle proposition, autoriser l’immunité pour des responsables en exercice serait en contraction tant avec l’objectif que poursuit le Statut de Rome de garantir la justice pour les crimes les plus graves qu’avec le droit et la pratique internationaux. Cette proposition ne devrait dès lors pas être adoptée.

Des propositions d’amendement au Règlement de procédure et de preuve, qui ne sont pas soumises au même délai de notification de 90 jours, sont également attendues lors de cette session ; elles sont examinées au chapitre III.

Le contexte et l’analyse des récentes décisions prises par l’UA, les affirmations selon lesquelles la CPI prend l’Afrique pour cible, les incidences positives de la CPI en Afrique, ainsi que les inquiétudes quant à l’immunité des responsables en exercice sont examinés ci-après. Nous formulons par ailleurs des recommandations aux États parties à la CPI pour que des mesures soient adoptées lors de cette session de l’Assemblée en vue de promouvoir des relations solides, fondées sur des principes, entre l’Afrique et la CPI.

 

A.     Contexte

Suite à l’élection en mars 2013 d’Uhuru Kenyatta à la présidence du Kenya et de William Ruto à la vice-présidence, tous deux soupçonnés de crimes par la CPI, les dénonciations de la cour par certains dirigeants africains et par l’UA se sont multipliées.[2] Les affirmations selon lesquelles la CPI prend l’Afrique pour cible se sont considérablement intensifiées, tandis que des questions ont été soulevées, en particulier dans les médias, quant au risque de voir le Kenya et d’autres États africains parties à la CPI envisager leur retrait du Statut de Rome.[3]

Il est important de souligner qu’aucune mesure concrète en vue d’un retrait n’a en fait été prise et le Kenya a démenti qu’il cherchait à se retirer.[4] Toutefois, de récentes décisions de l’UA mettent en question le rôle judiciaire indépendant de la cour et la justice pour les victimes des violences survenues au Kenya en 2007-2008. Pendant ce temps, les États africains parties à la CPI ont en grande partie gardé le silence face aux attaques visant la cour, à l’exception notable du Botswana.

 

B.    Décisions prises par l’UA en 2013 à propos de la CPI

En mai, l’UA a adopté une décision qui appelle au renvoi des affaires traitées par la CPI sur le Kenya devant le système national kényan.[5] Cependant, un renvoi ne peut avoir lieu qu’après une décision prise par les juges de la CPI en réponse à une exception d’irrecevabilité soulevée en vertu de l’article 19 du Statut de Rome, et uniquement sur la base de procédures nationales crédibles. En 2011, les juges de la CPI ont rejeté une contestation de la recevabilité de ces affaires introduite par le gouvernement kényan, n’ayant trouvé aucun élément démontrant que les autorités nationales avaient engagé des enquêtes et poursuites véritables.[6] Aucune contestation de la recevabilité de ces affaires n’est actuellement en instance.

En octobre, l’UA a convoqué un sommet extraordinaire sur la CPI, au cours duquel elle a adopté une décision établissant qu’ « aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef d’Etat ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat » ; demandant « la suspension des procès » de Kenyatta et de Ruto « jusqu’à la fin de leur mandat », et affirmant queKenyatta « ne comparaîtra pas devant la CPI tant que le Conseil de sécurité des Nations unies et la CPI ne tiendront pas compte, comme il convient, des préoccupations exprimées ».[7]

Il n’existe aucune base juridique permettant à l’UA d’ôter au procureur de la CPI toute possibilité d’action dans des affaires ou de passer outre aux dispositions du Statut de Rome. De surcroît,l’article 143(4) de la constitution kényane, adopté en 2010, interdit expressément l’immunité présidentielle face à des poursuites judiciaires pour « un ou des crimes pour lesquels le Président peut être poursuivi en vertu de tout traité auquel le Kenya est partie et qui interdit cette immunité ».[8]

Kenyatta ne fait l’objet d’aucun mandat d’arrêt délivré par la CPI et il comparaît volontairement devant la cour. Il s’est engagé antérieurement à continuer de coopérer. Dans l’éventualité où  Kenyatta ne se présente pas au procès, la cour pourrait être amenée à délivrer un mandat d’arrêt, que les États parties seraient tenus d’exécuter conformément à leur obligation de coopérer avec la cour aux termes du chapitre 9 du Statut de Rome.

La décision prise par l’UA en octobre demande également que les États africains parties à la CPI inscrivent à l’ordre du jour de l’Assemblée la question de « l’inculpation » de chefs d’État et qu’ils demandent des amendements au Statut de Rome, probablement en ce qui concerne la question des immunités. Enfin, la décision prévoit un sommet de suivi vers la fin du mois de novembre.[9]

 

C.     Les affirmations selon lesquelles la CPI prend l’Afrique pour cible et l’impact positif de la CPI en Afrique

Certains dirigeants africains affirment avec persistance que la CPI prend l’Afrique pour cible.[10] Les faits ne corroborent pas cette conclusion : la majorité des situations dont est saisie la cour sont la conséquence soit d’une demande émanant de gouvernements africains ayant sollicité l’intervention de la CPI, soit du défèrement de la situation à la cour par le Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU).[11] En même temps, il convient d’admettre que la justice internationale est appliquée de façon inégale : certains gouvernements puissants et leurs alliés sont capables de se soustraire au champ d’application de la justice internationale en n’adhérant pas à la CPI ou en menaçant de recourir au droit de veto dont jouissent les membres permanents du Conseil de sécurité.

Il est indispensable que tous les États parties à la CPI réclament instamment la justice pour les crimes graves, quel que soit l’endroit où ils sont commis, en particulier lorsque des considérations politiques menacent de bloquer l’engagement de poursuites, par exemple pour rendre justice pour les crimes perpétrés en Syrie,[12] et ces blocages doivent être reconnus. Mais ce n’est pas parce qu’il n’est pas encore possible de garantir la justice dans toutes les situations qu’elle devrait être compromise là où elle peut être rendue.

La société civile africaine a maintes fois souligné que les gouvernements devaient s’employer à étendre la portée de la justice et elle a relevé qu’il était important que les États africains parties à la CPI apportent leur soutien à la cour en tant que seul tribunal permanent agissant en dernier ressort.[13]

Il faudrait également noter que la CPI a un impact positif considérable en Afrique. Elle apporte notamment une certaine justice aux victimes de crimes réprimés par la cour dans les situations visées par ses enquêtes, entre autres grâce à son système novateur de participation des victimes qui offre à certaines victimes l’occasion de faire valoir leurs points de vue et préoccupations devant la cour. Par ailleurs, le Bureau du Procureur s’attelle à catalyser les efforts visant à garantir que les auteurs de crimes graves répondent de leurs actes devant des tribunaux nationaux en vertu du principe de complémentarité, comme c’est le cas en Guinée.[14]

En outre, le Fonds de la CPI au profit des victimes est un mécanisme sans précédent en justice internationale, qui à ce jour a offert une assistance aux victimes dans le nord de l’Ouganda et en République démocratique du Congo, en particulier aux enfants affectés par le conflit et aux personnes ayant subi des violences sexuelles. Selon les estimations du Fonds, 42 300 victimes bénéficient directement de projets dans ces deux pays, qui comprennent notamment une prise en charge psychologique et une formation professionnelle destinées aux ex-enfants soldats et aux victimes de violence sexuelle, un soutien aux coopératives agricoles pour aider les personnes qui avaient été déplacées à reconstruire leurs communautés, et une chirurgie réparatrice pour les victimes de mutilation.[15] Certains pays africains—dont le Burkina Faso, les Comores, l’Ouganda, le Kenya, l’Afrique du Sud, la République centrafricaine, Maurice et le Sénégal—ont également adopté une loi de mise en œuvre du Statut de Rome, qui contribue à étendre la portée potentielle de la justice en criminalisant le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité au regard du droit national.

 

D.    Inquiétudes concernant l’immunité pour les responsables en exercice

Bien que tout État puisse proposer des amendements à la CPI en vertu de l’article 121, le défaut de pertinence de la qualité officielle énoncé dans l’article 27 du Statut de Rome fait partie intégrante de la mission de la cour basée sur le principe que « les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis ».[16] L’alternative risque de créer un espace d’impunité aux plus hauts niveaux et d’avoir pour effet pervers d’inciter des criminels présumés à s’accrocher au pouvoir indéfiniment ou d’accéder au pouvoir afin d’éviter toute poursuite.

Depuis les procès de Nuremberg qui se sont tenus après la Deuxième Guerre mondiale, le défaut de pertinence de la qualité officielle a été une composante régulière des tribunaux internationaux, notamment des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone.[17] Permettre à la qualité officielle d’empêcher les poursuites constituerait dès lors un important recul sur le plan du droit pénal international et de la pratique de ce droit.

Par ailleurs, plutôt que d’entraver les négociations ou une transition pacifique, le fait de ne pas transiger sur l’importance de la justice – ou du moins de laisser ouverte la possibilité que justice soit rendue – peut se révéler bénéfique à brève et longue échéance. En Bosnie-Herzégovine, l’inculpation de Radovan Karadzic par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie passe pour avoir contribué au succès des négociations de Dayton qui ont mis fin à la guerre en Bosnie en marginalisant un dirigeant responsable d’exactions. De même, la levée des scellés sur le mandat d’arrêt du Président libérien Charles Taylor lors de l’ouverture des pourparlers visant à mettre un terme à la guerre civile au Liberia a en fin de compte été considérée comme ayant servi à faire progresser les négociations.

Au Kenya, tout comme dans des pays aussi divers que l’Afghanistan et la RDC, la situation d’impunité a donné lieu à des cycles de violence. Les assassinats politiques commis sous le gouvernement dirigé par le Président Jomo Kenyatta après l’indépendance, tout comme l’utilisation de la torture contre les opposants politiques et l’usage excessif de la force par les services de sécurité sous le Président Daniel arap Moi, n’ont pas donné lieu à des poursuites. Les violences électorales de 2007-2008 avaient été précédées d’épisodes semblables de violence au moment du scrutin de 1992 et de 1997.  Des commissions gouvernementales ont cité des noms, y compris de politiciens de premier plan, mais personne n’a été poursuivi. Nombreux sont ceux qui estiment que cette impunité profondément enracinée a encouragé les politiciens à croire en 2007 qu’ils pouvaient pratiquement tout se permettre pour atteindre leurs objectifs politiques.

 

E.     Recommandations pour la présente session de l’Assemblée

Sur la base de l’analyse ci-dessus et tout particulièrement compte tenu des récentes questions soulevées par le possible retrait de certains États africains parties à la CPI, nous prions les États africains parties à la CPI de tirer parti du débat spécial sollicité par l’Union africaine, ainsi que du Débat général, pour affirmer leur engagement à l’égard de la cour.

Par ailleurs, nous demandons instamment aux États parties à la CPI, africains et autres, lors de la discussion plénière, du Débat général et autres moments phare de cette session, de:

·         Souligner le besoin d’éviter toute ingérence dans les activités judiciaires de la cour, tant de la part de l’UA que de tout autre organe politique ;

·         S’engager à œuvrer pour étendre la portée de la justice pour les victimes, entre autres en accordant une attention accrue au travail d’universalité de l’Assemblée, et faire référence à la session plénière sur les victimes en tant qu’occasion de débattre de mesures que la cour et les États parties peuvent adopter en vue d’apporter un meilleur soutien à la justice rendue par la CPI ;

·         Mettre en avant les effets positifs importants qu’a eus la cour en Afrique à ce jour ;

·         Appeler à des efforts accrus de la cour – et lui fournir des moyens adéquats – pour intensifier ses activités de sensibilisation et d’information du public en Afrique, en particulier dans les pays dont elle examine la situation, afin de promouvoir le dialogue entre la cour et les communautés affectées ainsi qu’une meilleure compréhension du mandat et des activités de la cour ; et

·         Souligner qu’il importe de chercher des points d’entrée supplémentaires pour la CPI en Afrique ; il pourrait notamment s’agir de s’engager à tenir davantage de réunions des États parties dans des capitales africaines, entre autres dans le cadre du travail intersessions de l’Assemblée sur la coopération et la complémentarité ; d’organiser des débats publics en Afrique en vue d’attirer l’attention sur le mandat de la cour et les développements jurisprudentiels, comme moyen de sensibiliser et de favoriser des discussions éclairées ; et d’appeler le gouvernement du pays hôte à œuvrer pour l’ouverture du bureau de liaison de la CPI à Addis-Abeba.

De plus, toute proposition d’amendement au Statut de Rome devrait maintenir le défaut de pertinence de la qualité officielle énoncé à l’article 27 dudit Statut.

Enfin, il convient de noter que les appels au renvoi des affaires traitées par la CPI dans la situation au Kenya ne relèvent pas de la compétence de l’Assemblée. Ils devraient être adressés au Conseil de sécurité car les renvois ne peuvent être accordés que par le seul Conseil de sécurité de l’ONU dans des circonstances exceptionnelles.

 

[1] AEP, « Rapport du Groupe de travail sur les amendements », ICC-ASP/11/36, 13 novembre 2012, http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP11/ICC-ASP-11-36-FRA.pdf (consulté le 29 octobre 2013), Annexe II (« Projet de cadre de référence »).

[2] Ce fut la suite d’une période de plusieurs années de tensions entre l’UA et la CPI dans la foulée de la délivrance par la cour de mandats d’arrêt à l’encontre du  Président soudanais Omar el-Béchir pour des crimes commis au Darfour alors que l’UA avait demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de reporter les poursuites à son égard conformément à l’article 16 du Statut de Rome. Assemblée de l’UA, Treizième Session ordinaire, « Décision sur le rapport de la réunion des États africains parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) – Doc. Assembly/AU/13 (XIII) »,Assembly/AU/Dec.245(XIII) Rev.1,Syrte, 3 juillet 2009, http://www.africa-union.org/root/AU/Conferences/2009/july/summit/docs/DECISIONS/ASSEMBLY%20AU%20DEC%20243%20-%20267%20%28XIII%29%20_F.pdf (consulté le 7 novembre 2013), para. 9.

[3] Voir, par exemple, « African Union accuses ICC of ‘hunting’ Africans », BBC, 27 mai 2013, http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-22681894 (consulté le 23 octobre 2013) ; « African Union summit on ICC pullout over Ruto trial », BBC, 20 septembre 2013, http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-24173557 (consulté le 23 octobre 2013) ; « AU summit to decide whether to exit from ICC », AFP, 9 octobre 2013, http://www.africareview.com/News/AU-summit-to-decide-whether-to-exit-from-ICC-/-/979180/2024850/-/36lgvvz/-/index.html (consulté le 23 octobre 2013).

[4] Voir Edmund Blair, « Kenya says not lobbying Africans to quit Hague court », Reuters, 9 octobre 2013, http://uk.reuters.com/article/2013/10/09/uk-kenya-icc-africa-idUKBRE9980KU20131009 (consulté le 23 octobre 2013) ; voir également Aaron Maasho, “African leaders to hold summit on Kenya's ICC cases,” Reuters, 19 septembre 2013, http://www.reuters.com/article/2013/09/19/us-kenya-icc-trial-idUSBRE98I0GD20130919 (consulté le 23 octobre 2013).

[5] Assemblée de l’UA, Vingt-et-unième Session ordinaire, « Décision sur la compétence internationale, la

justice internationale et la cour pénale (CPI) – Doc. Assembly/AU/13(XXI) », Assembly/AU/Dec.482(XXI), Addis-Abeba, 27 mai 2013, http://summits.au.int/en/sites/default/files/Assembly%20AU%20Dec%20474-489%20%28XXI%29%20_F.pdf (consulté le 23 octobre 2013), para. 7.

[6] Situation en République du Kenya, Cour pénale internationale (CPI), ICC-01/09, “Arrêt relatif à l’appel interjeté par la République du Kenya contre la Décision relative à l’exception d’irrecevabilité de l’affaire soulevée par le Gouvernement

Kényan en vertu de l’article 19-2-b du Statut rendue par la Chambre préliminaire II le 30 mai 2011 » (Chambre d’Appel), 30 août 2011, http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc1223134.pdf (consulté le 23 octobre 2013).

[7] Assemblée de l’UA, Quinzième Session extraordinaire, « Décision sur les relations entre l’Afrique et la Cour pénale internationale (CPI) - Ext/Assembly/AU/Dec.1(Oct.2013) », Addis-Abeba, 12 octobre 2013, http://www.au.int/en/sites/default/files/Ext%20Assembly%20AU%20Dec%20&%20Decl%20_F.pdf (consulté le 23 octobre 2013), paras. 10(i)-(ii), 10(xi).

[8]« The Constitution of Kenya »,Édition révisée 2010, http://www.kenyaembassy.com/pdfs/The%20Constitution%20of%20Kenya.pdf (consulté le 12 novembre 2013), para 143(4).

[9] Assemblée de l’UA, Quinzième Session extraordinaire, « Décision sur les relations entre l’Afrique et la Cour pénale internationale (CPI) - Ext/Assembly/AU/Dec.1(Oct.2013) », para. 10(xii).

[10] Voir, par exemple, « Remarks by H.E. Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, Minister of Foreign Affairs of the Federal Democratic Republic of Ethiopia and Chairperson of the Executive Council of the African Union at the 15th Extraordinary Session of the Executive Council », Addis-Abeba, 11 octobre 2013, http://summits.au.int/en/speeches/remarks-he-dr-tedros-adhanom-ghebreyesus-minister-foreign-affairs-federal-democratic-republic-of-ethiopia (consulté le 23 octobre 2013).

[11] Les situations en Ouganda, en République démocratique du Congo, en République centrafricaine, en Côte d’Ivoire et au Mali ont fait l’objet d’une saisine de la cour à la suite de demandes introduites par les États où les crimes avaient été perpétrés ; deux autres situations (la Lybie et le Darfour) ont été déférées par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le Kenya est la seule situation où le Bureau du Procureur de la CPI a agi entièrement de sa propre initiative, mais uniquement après que le Kenya se fut mis en défaut de prendre des mesures visant à garantir la justice au niveau national et avec l’approbation d’une chambre préliminaire de la CPI.

[12] Voir « Conseil de sécurité de l’ONU: Il faut obtenir justice en Syrie », communiqué de presse de Human Rights Watch, 17 septembre 2013, https://www.hrw.org/fr/news/2013/09/17/conseil-de-securite-de-lonu-il-faut-obtenir-justice-en-syrie.

[13] Voir, par exemple, « 130 groups across Africa call for countries to back ICC », communiqué de presse du Southern Africa Litigation Centre, 7 octobre 2013, http://www.southernafricalitigationcentre.org/2013/10/09/news-release-13... (consulté le 23 octobre 2013).

[14] Voir Human Rights Watch, Guinea - Waiting for Justice, décembre 2012, https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/guinea1012forUpload_0_0.pdf, pp. 47-50.

[15] Voir « The Trust Fund for Victims Projects », http://www.trustfundforvictims.org/projects (consulté le 24 octobre 2013). Les projets en République centrafricaine ont avorté en raison des conditions de sécurité dans le pays. Voir http://www.trustfundforvictims.org/news.

[16] Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome), A/CONF.183/9, 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er  juillet 2013, préambule, para. 4.

[17] Voir Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al-Bashir, CPI, Affaire No. 02/05, « Decision Pursuant to Article 87(7) of the Rome Statute on the Failure by the Republic of Malawi to Comply with the Cooperation Requests Issued by the Court with Respect to the Arrest and Surrender of Omar Hassan Ahmad Al-Bashir », 12 décembre 2011, http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc1287184.pdf(consulté le 24 octobre 2013), paras. 22-43 ; Conseil économique et social de l’ONU,« Ensemble de principes actualisé pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité », E/CN.4/2005/102/Add.1, 8 février 2005, http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/TexteONU17.pdf (consulté le 7 novembre 2013), principe 27. Voir également,par exemple, « Le président Milošević et quatre autres hauts responsables de RFY mis en accusation pour meurtre, persécutions et expulsions au Kosovo », communiqué de presse du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, 27 mai 1999, http://www.icty.org/sid/7765 (consulté le 7 novembre 2013) ; et « Charles Taylor is subject to criminal proceedings before the Special Court », communiqué de presse du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, 31 mai 2004, http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=Yss7mvKkrsM%3d&tabid=113 (consulté le 24 octobre 2013).

 

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