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Liban: La vendetta des enlèvements s’accélère près de la frontière

Tandis que des civils décrivent ce qu’ils ont subi, le gouvernement peine à réagir

(Beyrouth) – Le gouvernement libanais a échoué à prendre des mesures à même de protéger les personnes contre les enlèvements commis par vengeance dans les régions frontalières, le long des lignes de démarcation des communautés religieuses, de les dissuader et de les punir, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Human Rights Watch s’est entretenue aussi bien avec des victimes qu’avec des parents qui ont mis à exécution des enlèvements en guise de représailles parce que, selon eux, leurs proches étaient détenus ou enlevés par les forces du gouvernement syrien ou par les groupes d’opposants armés.

Dans certains cas, les autorités libanaises ont joué un rôle dans la remise en liberté de victimes enlevées par des familles au Liban, mais dans les affaires étudiées par Human Rights Watchdans les régions frontalières, elles n’ont pris aucune mesure pour prévenir les enlèvements ni pour traduire en justice les ravisseurs.

« Le gouvernement libanais doit mettre fin à une situation dans laquelle les familles voulant à tout prix faire libérer leurs proches enlevés ou détenus ont recours à de nouveaux enlèvements, mis en œuvre par des groupes d’autodéfense », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait poursuivre ses efforts pour garantir que les victimes soient libérées, mais doit aussi envoyer un message clair : ces kidnappings sont des crimes qui donneront lieu à des enquêtes et à des poursuites judiciaires. »

Les autorités libanaises devraient enquêter, puis arrêter et traduire en justice les responsables des enlèvements, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement devrait poster des forces de sécurité supplémentaires dans les zones frontalières afin d’améliorer la sécurité et d’empêcher les enlèvements de se produire. Dans certains cas, le gouvernement a déjà déployé des forces de sécurité près des frontières pour localiser des civils enlevés, mais leur présence n’a été que temporaire.

Dans la mesure du possible, le gouvernement devrait aussi travailler à favoriser la libération des personnes enlevées par le gouvernement syrien ou par les groupes d’opposants armés, notamment en menant des enquêtes et en exerçant des pressions politiques.

D’après le droit international, un pays viole l’interdiction pesant sur la disparition forcée dès lors que les agents qui le composent placent une personne en détention puis soit nient qu’ils la détiennent, soit refusent de révéler où elle est. Les personnes victimes de « disparition forcée » risquent d’être soumises à la torture. Dans les affaires de disparition forcée présumée, les autorités libanaises devraient ouvrir sans délai des enquêtes criminelles indépendantes.

Un enlèvement a par exemple été organisé dans le nord du Libanle 1er avril 2013 par des parents de Mohammed Hussein Al Ahmad, de Wadi Khaled, qui selon ses proches était détenu par le gouvernement syrien. Ces proches ont enlevé huit employés syriens alaouites à Wadi Khaled dans le but de faire pression sur le gouvernement syrien pour qu’il le relâche.

Les proches ont avoué l’enlèvement. L’un des parents d’Al Ahmad a déclaré à Human Rights Watchau téléphone que la famille pensait que le gouvernement syrien détenait Al Ahmad en Syrie depuis le 2 mars 2012, le jour où on l’avait vu pour la dernière fois, mais que tous leurs efforts pour le faire libérer par les canaux officiels avaient été vains. Ce proche d’Al Ahmad a déclaré :

[Le 2 mars,] il est sorti de chez lui et n’est jamais revenu. La famille a découvert par la suite qu’il était détenu en Syrie. Nous ne savons pas comment il s’est retrouvé en Syrie, mais nos sources sont crédibles et nous sommes sûrs qu’il est là-bas. Son père a porté plainte auprès du bureau du procureur [au Liban] en demandant accès aux données du téléphone de son fils, pour que nous sachions qui l’avait appelé ce jour-là et que nous essayions de comprendre ce qu’il s’était passé, mais nous n’avons jamais eu de réponse. Son père a aussi essayé de contacter plusieurs bureaux et responsables du gouvernement, mais personne ne lui a donné de réponse. Alors la famille a enlevé huit travailleurs alaouites, uniquement des hommes, pour faire pression sur le gouvernement syrien [afin qu’il le libère].

Ahmed Al Ali, vice-président de la municipalité de Hiche à Wadi Khaled, a confirmé à Human Rights Watch l’enlèvement des huit travailleurs. « Nous [la municipalité] sommes opposés à ce genre d’action, et la municipalité n’a rien à voir avec l’enlèvement », a-t-il déclaré, mais il n’a pu donner aucune précision sur d’éventuelles mesures prises par les autorités libanaises.

Le 27 avril, l’Agence nationale de l’information a rapporté que les proches d’Al Ahmad avaient relâché les huit hommes alaouites. Lors d’un entretien téléphonique, le 30 avril, le parent d’Al Ahmad a confirmé cette libération. On est toujours sans nouvelles d’Al Ahmad.     

Au cours d’un autre incident, les proches d’Hussein Kamal Jaafar, 45 ans, conducteur de poids-lourds et père de cinq enfants, ont mené à bien un enlèvement après que lui-même avait été enlevé par des hommes armés. Jaafar était en train de conduire pour livrer du diesel à Arsal, au Liban, le 24 mars vers 19 heures, lorsqu’il est tombé dans une embuscade et a été enlevé. Deux hommes dans une jeep Grand Cherokee ont arrêté son camion, et trois autres hommes armés sont apparus, a-t-il raconté plus tard à Human Rights Watch. Les hommes lui ont ordonné de sortir de son camion. Jaafar, qui a été libéré le 12 avril, à déclaré à Human Rights Watch:

 Ils m’ont demandé si j’étais sunnite ou chiite. J’ai dit que j’étais sunnite, alors que je suis chiite. Je leur ai dit que je m’appelais Khaled. L’un deux a communiqué avec Arsal sur son talkie-walkie. Il a dit : « C’est l’un des nôtres », mais la personne à qui il parlait a dit non et lui a ordonné de m’emmener. J’ai commencé à courir, mais ils m’ont rattrapé, mis dans la voiture et bandé les yeux.

Jaafar a déclaré que ces hommes l’avaient emmené dans une maison située de l’autre côté de la frontière, à Yabroud, en Syrie :

Ils m’ont enfermé dans une chambre qui n’était éclairée que par une bougie et où il y avait un gros homme chauve qui m’a demandé si j’étais un terroriste. J’ai dit non. Alors il m’a donné un coup de genou dans les côtes. Il m’a frappé tellement fort que depuis le dimanche jusqu’au vendredi je n’ai pas pu manger. Je suis tombé quand il m’a frappé, je ne pouvais plus bouger.

Quand Human Rights Watch a rencontré Jaafar, le 16 avril, il ne pouvait toujours pas marcher normalement car il avait toujours mal aux côtes après son passage à tabac.

Jaafar a déclaré que ses ravisseurs l’avaient battu par intermittence tout au long de sa détention et qu’ils l’avaient forcé à appeler les membres de sa famille pour qu’ils puissent exiger une rançon d’un million de dollars. « Ils ont dit qu’ils faisaient partie de l’Armée syrienne libre, mais en fait c’était juste une bande de malfaiteurs terroristes », a déclaré Jaafar. « Certains d’entre eux étaient des transfuges, mais je ne les ai jamais vus partir réellement se battre avec l’Armée syrienne libre ».

Lors d’un de ces appels téléphoniques au sujet de la rançon, Jaafar avait appris que sa famille avait enlevé six hommes sunnites à Arsal pour venger son propre enlèvement. Il a finalement été libéré grâce à une collecte des gens d’Arsal, qui ont réuni 140 000 US$ pour que ses ravisseurs le libèrent. Après sa libération, sa famille à son tour a relâché les six hommes qu’elle avait enlevés, a-t-il raconté. 

Jaafar a déclaré à Human Rights Watch que ses proches avaient pris les choses en main parce qu’ils se pensaient pas que le gouvernement ou les forces de sécurité soient capables de faire quoi que ce soit pour garantir sa libération.

Un autre homme du clan Jaafar, Khedir Hussein Jaafar, a déclaré à Human Rights Watch que sa famille avait également organisé un enlèvement après que des hommes armés l’avaient kidnappé en Syrie pendant sept jours, en mai 2012. Il était avec un Syrien chiite, Abdullah Zein, dans la ville de Zeita en Syrie, où Khedir Jaafar possède des terres. Lui et ses proches ont déclaré à Human Rights Watch que sa famille avait enlevé à peu près 70 hommes sunnites au Liban en guise de représailles pour garantir sa libération. Comme dans le cas de Hussein, un membre de sa famille a dit qu’ils l’avaient fait parce qu’ils ne croyaient pas le gouvernement libanais ou les forces de sécurité capables de faire libérer Jaafar. 

Khedir Jaafar a rapporté à Human Rights Watch que ses ravisseurs s’identifiaient comme membres du bataillon Al Farouq de l’Armée syrienne libre et qu’ils l’avaient durement frappé lors de sa captivité. Les ravisseurs ne demandaient pas d’argent, a-t-il déclaré. Il pense que les ravisseurs les ont choisis, lui et Zain, parce qu’ils étaient chiites.

Ces récents enlèvements s’inscrivent dans une tendance globale inquiétante, soulignant qu’il est urgent que les autorités libanaises enquêtent et lancent des poursuites, a déclaré Human Rights Watch.

En août 2012, Human Rights Watch a publié un communiqué sur les enlèvements de dizaines de ressortissants syriens et d’un Turc par des membres de la grande famille libanaise Al Meqdad. Des membres de cette famille avaient déclaré que ces enlèvements visaient à faire pression sur un groupe armé en Syrie, qui se disait membre de l’Armée syrienne libre, afin qu’il libère un de leurs proches, le Libanais Hassan Al Meqdad.

Dans un autre épisode, après l’enlèvement par des inconnus de Suleiman Mohammed Al Ahmad, un Sunnite, le 9 juin à Hisah au Liban, et son transfert illégal vers des geôles syriennes, ses proches pour se venger avaient enlevé au Liban des hommes libanais et syriens, chiites et alaouites.

« Alors que le conflit en Syrie déborde de plus en plus de l’autre côté de la frontière, le gouvernement libanais ne fait pas suffisamment d’efforts pour maintenir l’état de droit dans les régions frontalières », a conclu Nadim Houry.
 

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