(Addis-Abeba, le 21 janvier 2013) – L'Union africaine (UA) devrait placer les droits humains au centre de ses débats sur les moyens de résoudre les crises actuelles en Afrique, lors de son sommet cette semaine en Éthiopie, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui, dans une lettre ouverte à la présidente de la Commission de l'UA, Nkosazana Dlamini-Zuma. Le sommet ordinaire de l'organisation s'ouvre le 21 janvier 2013 à Addis-Abebaet les chefs d'État africains doivent s'y rencontrer les 27 et 28 janvier.
Le sommet de l'UA devrait s'occuper de la situation des droits humains créée par les crises au Mali, en République démocratique du Congo, au Soudan et en Somalie, ainsi que des défis posés aux droits humains par les prochaines élections au Kenya et au Zimbabwe, a affirmé Human Rights Watch. Parmi les sources de préoccupation particulières, figurent les implications potentielles pour les droits humains du déploiement au Mali d'une force militaire internationale soutenue par l'Union africaine et les Nations Unies, et la nécessité de mettre en place des garanties appropriées en matière de protection des civils, ainsi qu'un mécanisme de suivi de la situation des droits humains. La possibilité que des violations soient commises, non seulement par les forces de sécurité maliennes mais aussi par les forces armées des pays qui sont appelés à prendre part à l'opération, donne un caractère d'urgence particulier à la situation, avec la récente reprise des hostilités au Mali.
« Le sommet de l'UA est un important forum régional qui peut être déterminant pour assurer que la problématique des droits humains soit intégrée dans le traitement de chacune des crises», a déclaré Tiseke Kasambala, directrice du plaidoyer auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « L'UA a un rôle essentiel à jouer pour faire en sorte que l'intervention militaire au Mali ne contribue pas à la commission de nouvelles violations des droits humains, dans un environnement qui est déjà peu sûr. Cela signifie qu'il faut respecter le droit international et faire de la protection des civils une priorité.»
Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), une action concertée à l'échelle régionale et internationale est nécessaire pour mettre fin au cycle des violations, a ajouté Human Rights Watch. Au cours des neuf derniers mois, les rebelles du M23 qui sévissent dans l'est de la RDC ont commis des exactions généralisées équivalant à des crimes de guerre, notamment des assassinats de civils, des exécutions sommaires, des viols et des opérations de recrutement d'enfants soldats. Ces rebelles ont reçu un appui logistique et militaire substantiel de la part du Rwanda voisin.
Les pourparlers entre le M23 et le gouvernement congolais, qui avaient commencé en décembre 2012 et ont repris en janvier, semblent offrir des perspectives incertaines et ont fait jusqu'ici très peu de progrès.
« Les violences dans l'est de la RD Congo continuent de causer des pertes effroyables en vies humaines parmi la population civile», a affirmé Tiseke Kasambala. « Le Rwanda devrait cesser immédiatement de soutenir le M23, qui est un groupe rebelle violent, et l'UA devrait insister pour que les commandants du M23 impliqués dans des crimes de guerre soient traduits en justice.»
Les participants aux négociations actuellement en cours en vue du déploiement d'une brigade d'intervention menée par l'Union africaine, dans le cadre de la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RDC, devraient envisager de charger cette force d'appuyer des opérations visant à arrêter les suspects faisant l'objet de mandats d'arrêt nationaux ou internationaux pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, a souligné Human Rights Watch.
Au Soudan, la situation dans les domaines des droits humains et de l'humanitaire s'est détériorée, en particulier dans les zones de conflit du Sud-Kordofan, du Nil bleu et du Darfour. Les combats entre les forces armées soudanaises et les rebelles de l'Armée de libération du peuple soudanais-Nord (ALPS-Nord) dans les États du Sud-Kordofan et du Nil bleu ont affecté près d'un million de personnes, déplaçant de force des centaines de milliers d'habitants des deux États depuis le milieu de 2011. L'armée soudanaise s'est livrée à des bombardements aériens à l'aveugle de zones peuplées, dans les deux États.
Les forces gouvernementales et les milices qui sont leurs alliées sont également responsables d'autres exactions graves à l'encontre des civils dans ces deux États, telles que des attaques de villages, la destruction de réserves de céréales et de sources d'eau qui sont indispensables à la survie de la population, des arrestations arbitraires et des violences sexuelles contre des femmes et des filles. Le Soudan a empêché les organisations humanitaires d'accéder aux zones situées hors des villes controlées par son gouvernement, où les civils ont un besoin urgent d'aide alimentaire.
Au Darfour, le conflit armé entre les forces gouvernementales et les milices d'une part et les groupes rebelles d'autre part se poursuit, parallèlement aux affrontements inter-ethniques motivés par le contrôle des ressources. Ce conflit a fait des quantités de morts et les soldats de la Mission conjointe de l'ONU et de l'UA au Darfour (MINUAD) ont été attaqués de nombreuses fois. Le gouvernement soudanais limite les possibilités de déplacement des soldats de la MINUAD et des membres des organisations non gouvernementales, les empêchant d'accéder à de vastes secteurs de la région. L'UA devrait insister pour que le gouvernement soudanais accorde immédiatement aux organisations humanitaires un accès sans limite aux zones affectées par les conflits du Darfour, du Nil bleu et du Sud-Kordofan, a déclaré Human Rights Watch.
« Une solution d'urgence est nécessaire pour résoudre la crise humanitaire et des droits humains au Soudan», a ajouté Tiseke Kasambala. « L'UA devrait exiger que le gouvernement soudanais cesse immédiatement ses bombardements aériens aveugles et ses autres violations des droits humains et du droit humanitaire international dans les États du Sud-Kordofan et du Nil bleu.»
Au cours de l'année écoulée, un nouveau gouvernement a remplacé l'autorité de transition en Somalie et les troupes de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM) ont obtenu d'importants succès militaires dans les régions jusqu'alors tenues par le groupe armé islamiste Al-Shabaab. Néanmoins, la situation des droits humains en Somalie demeure mauvaise, a indiqué Human Rights Watch. Les forces de sécurité gouvernementales ont été impliquées dans de graves violations des droits humains fondamentaux, ce qui contribue à maintenir un climat d'insécurité parmi la population. Ces violations comprennent des meurtres de journalistes dans les zones contrôlées par le gouvernement, des viols et de sévères restrictions à l'accès à la nourriture et aux logements temporaires pour les personnes déplacées.
Les forces étrangères, notamment les forces kenyanes placées sous commandement de l'AMISOM, ainsi que les forces éthiopiennes, ont également commis des exactions dans certaines régions du sud et du centre de la Somalie lors d'opérations militaires, notamment des pilonnages d'artillerie effectués sans discernement.
« L'UA devrait exhorter les autorités somaliennes à mettre fin aux violations commises par les forces de sécurité de l'État», a déclaré Tiseke Kasambala. « L'UA devrait également faire en sorte que le respect du droit humanitaire international et l'établissement des responsabilités pour les violations commises lors d'opérations militaires de l'AMISOM soient considérés comme des priorités.»
Le déploiement à partir de mars prochain par l'Union africaine d'une mission de longue durée qui sera chargée d'observer les préparatifs et le déroulement des élections au Kenya, est un facteur important devant contribuer à ce que ces élections soient libres et équitables, mais la possibilité que les scrutins s'accompagnent de violences suscite des préoccupations croissantes, a averti Human Rights Watch. Pendant l'année écoulée, 400 personnes ont été tuées et plus de 200.000 ont été déplacées lors d'incidents violents motivés par des questions d'ethnicité, d'accès aux ressources naturelles ou politiques, dans la région côtière du nord du Kenya et dans certains quartiers de la capitale, Nairobi. Les violences pré-électorales ont atteint l'un de leurs pires niveaux au Kenya depuis 1992.
Très peu des responsables des violences consécutives aux élections de 2007 au Kenya ont été traduits en justice, ce qui fait craindre que certains d'entre eux puissent récidiver en 2013.
« Les violences actuellement commises et le déni de justice pour les victimes de violations des droits humains lors des élections de 2007 créent la nécessité impérieuse que l'UA adresse un message de fermeté aux autorités kenyanes, selon lequel les graves violations ne doivent pas rester impunies», a conclu Tiseke Kasambala.
Enfin, l'UA devrait assurer le déploiement rapide et en nombre suffisant d'observateurs électoraux de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et de l'UA au Zimbabwe, où l'absence de réformes des institutions et du système judiciaire fait planer la menace de violences et d'autres violations des droits humains lors des élections qui doivent se tenir en 2013. L'UA devrait maintenir ces observateurs sur place après les élections, assez longtemps pour décourager les recours à la violence et aux intimidations.