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Fatou Bensouda

Procureur

Cour pénale internationale

La Haye, Pays-Bas

 

Madame le Procureur,

Nous soussignées, organisations de la société civile africaine et les organisations internationales non gouvernementales présentes en Afrique, vous adressons toutes nos félicitations suite à votre récente nomination comme Procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Le Bureau du Procureur est un élément charnière de la CPI et nous sommes convaincus que vos compétences, votre expérience et votre professionnalisme y seront fort utiles. Nous espérons beaucoup de l’orientation que vous donnerez à ce bureau et de la manière dont vous le dirigerez.

Comme vous le savez, un des défis majeurs auxquels doit faire face le Bureau du Procureur, et d’une manière générale la CPI, tient à ses rapports avec l’Afrique et, en particulier, avec l’Union africaine (UA). Nombre des organisations signataires de cette lettre ont activement soutenu la création de la CPI. Au cours des dernières années, nous avons défendu la CPI de façon collective et collaborative contre les attaques des dirigeants africains, lesquelles ont en grande partie émané de l’UA à la suite du mandat d’arrêt émis par la CPI contre le Président soudanais Omar el-Béchir. Depuis les capitales d’Afrique où nos organisations implantées, nous avons publié des déclarations conjointes, des communiqués de presse et des analyses concernant nos préoccupations communes, comme la nécessité de créer un bureau de liaison à Addis Abeba entre la CPI et l’UA ou les décisions de l’UA visant à refuser toute coopération avec la CPI. En étroite collaboration avec les médias africains, nous avons également pointé du doigt les déplacements que le Président el-Béchir avait prévu de faire dans des pays ayant l’obligation de l’arrêter, ce qui a parfois conduit à l’annulation de ces visites, et véhiculé une idée plus juste des rapports existant entre l’Afrique et la CPI dans la presse.

Malgré les tensions entre la CPI et l’UA, certains signes récents indiquent que de plus en plus de gouvernements africains ont une attitude plus positive envers la CPI. Comme vous le savez, la Présidente du Malawi, Joyce Banda, a fait très clairement savoir, en mai 2012, que le Malawi remplirait ses obligations envers la CPI et procéderait à l’arrestation d’Omar el-Béchir si celui-ci passait les frontières du pays pour assister au sommet de l’UA. D’autres États, dont le Botswana, l’Afrique du Sud, le Burkina Faso et le Niger, ont également réaffirmé publiquement la nécessité d’arrêter les personnes recherchées par la CPI qui se trouveraient sur leur territoire.

Ces avancées prouvent que le Bureau du Procureur et les gouvernements pourraient unir leurs forces pour encourager l’adoption de principes de coopération entre l’UA et la CPI. Dans ce contexte, nous souhaiterions vous adresser les recommandations ci-dessous qui, selon nous, pourraient faciliter le travail de la Cour en Afrique et accroître son efficacité.

1. Mener des actions afin de réaffirmer l’indépendance du Bureau du Procureur et d’expliquer pourquoi la CPI peut ou non agir selon les situations.

L’expérience montre que le Bureau du Procureur, et la CPI en général, sont trop souvent tenus responsables de décisions qui, en réalité, sortent de leur champ de compétence. Cela est particulièrement vrai pour les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui ont trait au renvoi devant la Cour de situations liées à des États non-parties. Comme vous le savez, certains dirigeants africains ont reproché à plusieurs reprises à la CPI de ne pas avoir pris en charge certaines situations qui sortaient de son champ de compétence. Nous pensons que cela est en partie lié à une méconnaissance ou à une mauvaise interprétation des limites et de l’étendue des pouvoirs du Bureau du Procureur et de la CPI.

En raison de votre rôle central au sein de la CPI et de votre pouvoir de décision quant à la prise en charge de situations par la CPI, nous estimons que vous êtes la mieux placée pour apporter à la population et aux dirigeants d’Afrique plus de lisibilité sur le fonctionnement, la structure et les limites juridiques de la Cour. Nous pensons qu’en rappelant le rôle exact de la CPI, il sera possible de dissiper les malentendus et de désamorcer les critiques visant la Cour, qui semblent en partie alimentés par un manque d’information.

La tenue au siège de l’UA du deuxième séminaire technique conjoint entre l’UA et la CPI, la participation de votre Bureau au débat public du Conseil de sécurité sur la paix et la justice consacré à la CPI le mois dernier, votre participation à la Conférence et assemblée générale annuelle de l’Association des procureurs d’Afrique en Namibie, la tenue du séminaire sur la CPI à l’Institut d’études de sécurité en Afrique du Sud, l’organisation des récentes réunions avec différentes parties prenantes au Kenya et d’une manifestation parallèle à la 11e Assemblée des États parties de la CPI sur les initiatives africaines visant à mettre un terme à l’impunité sont des exemples encourageants d’actions qui contribuent à une meilleure compréhension du rôle de la Cour. Dès à présent, nous vous encourageons à clarifier le rôle de la CPI et la manière dont il s’articule avec celui du Conseil de sécurité dans les échanges publics et privés avec les représentants des États et de l’UA.

2. Mettre l’accent sur le besoin de complémentarité dans les échanges publics et privés, ainsi que sur le rôle des États africains et de l’UA dans la promotion de cette complémentarité.

Comme vous le savez, la complémentarité est l’un des aspects essentiels du système de la CPI. De notre point de vue, il s’agit d’un moyen efficace pour obtenir que justice soit faite, notamment en Afrique, et pour démontrer que la CPI ne compte pas uniquement sur les tribunaux internationaux pour juger les auteurs de crimes.

Ces dernières années, plusieurs États africains ont mis leur législation en conformité avec les normes énoncées dans les Statuts de la CPI, mais leur nombre est encore insuffisant. Au dernier recensement, moins de dix États d’Afrique avaient adapté leur législation. Cependant, de nombreux pays ont soumis des projets de loi allant dans ce sens à leur parlement.

Nous prenons note des déclarations que vous avez prononcées, en Guinée et au Nigéria notamment, sur l’importance de la recherche des responsabilités au niveau national. Nous pensons qu’il conviendrait, dans les échanges publics et privés avec les pays où des crimes graves ont été commis, mais également avec l’UA et l’ensemble des gouvernements africains, que vous rappeliez systématiquement la nécessité de renforcer la capacité des tribunaux nationaux à sanctionner les violations les plus graves du droit international, y compris par l’adoption de lois qui rendent ces crimes répréhensibles au niveau national. Cela permettrait non seulement d’établir un climat de confiance vis-à-vis des interventions de la CPI en Afrique, mais aussi de mieux faire appliquer la justice de manière générale.

3. Renforcer et améliorer les actions de sensibilisation et d’information du public.  

Au cours des dix dernières années, certaines de nos organisations ont largement soutenu le travail de la Cour en diffusant des informations sur le rôle du Bureau du Procureur et sur celui de la CPI de manière générale. Nous croyons qu’un renforcement des actions de sensibilisation et d’information du public menées par le Bureau du Procureur, en collaboration avec le bureau extérieur de la CPI, du niveau local jusqu’au niveau de l’UA, est essentiel pour améliorer les relations avec les États africains et faire mieux comprendre l’engagement de la CPI en Afrique.

Nous encourageons également votre Bureau à mettre régulièrement à contribution la société civile dans les pays où la CPI a ouvert des enquêtes. Nous croyons que cette démarche permettra aux membres de votre Bureau non seulement de mieux comprendre les inquiétudes des communautés les plus touchées par les crimes, mais aussi de diffuser des informations qui répondent aux préoccupations locales sur les situations relevant de la compétence du Bureau du Procureur, améliorant ainsi l’impact de la Cour. Votre récent déplacement au Kenya illustre bien le type d’actions que nous souhaitons voir se développer ; il s’agit à présent de continuer dans cette voie.

Nous espérons que ces réflexions et ces recommandations vous seront utiles et nous vous souhaitons un franc succès dans l’exercice de vos fonctions au sein du Bureau du Procureur et dans la conduite de la Cour vers la pleine réussite de sa mission.

Nous vous prions d’agréer, Madame le Procureur, l’expression de notre respectueuse considération.

  1. Association Congolaise pour l'Accès à la Justice, République démocratique du Congo
  2. Association pour les Droits de l'Homme et l'Univers Carcéral, République démocratique du Congo
  3. Centre for Accountability and Rule of Law, Sierra Leone
  4. Children Education Society, Tanzanie
  5. Club des Amis du droit du Congo, République démocratique du Congo
  6. Coalition Béninoise pour la CPI, Bénin
  7. Coalition Burundaise pour la CPI, Burundi
  8. Coalition Congolaise pour la CPI, République démocratique du Congo
  9. Coalition for the International Criminal Court, bureaux du Bénin et de la République démocratique du Congo
  10. Coalition Ivoirienne pour la CPI, Côte d’Ivoire
  11. Human Rights Watch, bureaux de la République démocratique du Congo, du Kenya, du Rwanda et de l’Afrique du Sud
  12. International Commission of Jurists, Kenya
  13. International Crime in Africa Programme, Institute for Security Studies, Afrique du Sud
  14. Legal Defence and Assistance Project, Nigéria
  15. Ligue pour la Paix, les Droits de l'Homme et la Justice, République démocratique du Congo
  16. Media Foundation for West Africa, Ghana
  17. Nigerian Coalition on the ICC, Nigéria
  18. Southern Africa Litigation Centre, Afrique du Sud
  19. Vision Sociale, République démocratique du Congo
  20. West African Bar Association, Nigéria

 

Les organisations qui ont signé cette lettre figurent parmi les participants les plus actifs d'un réseau informel d'organisations de la société civile africaine sur tout le continent africain et d’organisations internationales ayant une présence en Afrique qui œuvrent pour la justice en matière de crimes internationaux. 

 

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